Un documentaire réalisé par quinze habitants de Vaulx-en-Velin âgés de 14 à 24 ans a pris vie sur grand écran, ce mercredi 7 mai. Fruit de leur engagement depuis 2021, il revient sur les lieux, les rencontres et les réflexions qui ont rythmé leur plongée dans l’histoire de ceux qui ont combattu l’occupant nazi.
« Se souvenir, c’est résister ». C’est ce que Dana Saaf retient des quatre dernières années passées à retracer les pas des oubliés de la Résistance. Aux côtés de quatorze autres jeunes Vaudais, elle a découvert le parcours de l’un de ces héros de la Seconde Guerre mondiale : Maurice Luya. Le groupe a porté sa mémoire à l’écran avec le documentaire Les Résistants Vaudais. La veille du 80e anniversaire de la Libération, il a été projeté au cinéma Pathé Carré de Soie. L’initiative, menée à bien grâce aux associations locales Canopée Formation et Espace Projets Interassociatifs (EPI), n’est « pas seulement un film » précise Nicolas Damon. Pour celui qui se démène depuis 2017 pour relever ce défi, « c’est un cheminement, une aventure collective ».
« Une belle leçon d’espérance »
Nicolas raconte « la claque » qu’il s’est prise en explorant YouTube, alors que cette démarche n’en était encore qu’à ses balbutiements. Il tombe sur des vidéos négationnistes au sujet de cette période pourtant sombre qui a marqué l’humanité. « J’ai compris qu’on ne pouvait plus laisser ces récits toxiques occuper l’espace » se remémore-t-il, convaincu que la jeunesse était la clé pour y parvenir. Sofiane Bahri, autre pilier du projet, partage cet avis. Il souligne la nécessité de « faire une vraie place dans le récit national » à la nouvelle génération, au-delà « des plaques commémoratives qu’on regarde de loin sans se sentir concerné ». Leur combat prend d’autant plus de sens dans les quartiers populaires. Comme le rappelle Sofiane, les résidents y « grandissent avec des récits familiaux complexes et parfois douloureux, marqués par la migration, par des discriminations ».

Le duo « ne pensait pas remplir cette salle de 250 places ». Les onze jeunes présents pour partager le fruit de leur travail lors de cette soirée non plus. Certains sont pris par le trac, en révisant les discours qu’ils ont chacun rédigés pour les spectateurs. D’autres s’affichent plus sereins. Tous sont en revanche fiers de se voir enfin à l’affiche, alors que les cadets n’avaient que 14 ans au moment de s’embarquer dans ce périple. Sur les fauteuils rouges du premier rang les écoutent la directrice de cabinet de la Préfète du Rhône et trois vice-présidents de la Métropole de Lyon, dont Hélène Geoffroy, la maire de Vaulx-en-Velin. Cette dernière a applaudi la « belle leçon d’espérance » offerte par cette « jeunesse des quartiers populaires souvent regardée au travers des difficultés qu’elle peut rencontrer, ou pire, dont on dit qu’elle est l’autrice ».

Sans le soutien de la ville, le groupe aurait pu ne jamais voir le jour. C’est en unissant leurs forces avec Chérazade Smahi et Zohra Khellas, des services Jeunesse et Sports, que Nicolas et Sofiane l’ont vu se former. Les futures animatrices de la bande étaient alors investies dans le dispositif « Vaudaises en Sport », encourageant les femmes à pratiquer une activité physique chaque dimanche. Elles ont fait part de ce projet émergeant de mémoire aux jeunes bénévoles qui gardaient les enfants des participantes. Ensuite, « les copains, les copines, les frères, les sœurs » ont suivi, raconte Chérazade. « On se voyait essentiellement en soirée, le week-end et très souvent les jours fériés, poursuit-elle, encore le 1er mai, nous étions dans une session de travail ».
De nouveaux passeurs de mémoire
Le mémorial de la prison de Montluc, le Centre d’Histoire de la Résistance et de la Déportation, le camp des Milles, Paris lors de la panthéonisation des époux Manouchian, Bad Sulza pour un échange interculturel avec des Allemands… Ensemble, ceux qui se font appeler « Les Résistants Vaudais » ont visité de nombreux lieux. Ils entament notamment une randonnée dans le Vercors en mai 2024, en profitant pour arpenter le Mémorial de Vassieux. La longue marche leur permet de faire vivre l’héritage des maquisards qui ont combattu dans ce massif montagneux. Sur la route, ils tâchent aussi de se mettre dans la peau des déportés contraints de participer aux « marches de la mort » à l’évacuation des camps de concentration nazis. Sans pour autant oublier « qu’eux n’avaient pas bu et mangé depuis des semaines, et qu’ils faisaient ce chemin sous la pression et la peur » signale l’une des jeunes, Latyssia Abid.

Maurice Luya faisait d’ailleurs partie des rares survivants de ces déplacements forcés. La petite troupe a pu discuter avec sa femme Marie-Claude, veuve depuis 2014. Une manière de « découvrir l’histoire sous un autre angle » témoigne Colline Didier, « plus vivant et captivant ». La trajectoire de cet homme l’a beaucoup touchée, « parce qu’il est une figure marquante de Vaulx-en-Velin et qu’il avait notre âge lorsqu’il a rejoint la Résistance ». Des rencontres mémorables, il y en a eu d’autres. Parmi elles, celle de Jean-Olivier Viout, procureur adjoint lors du procès du « boucher de Lyon », Klaus Barbie. Si toutes n’ont pas trouvé leur place dans les 50 minutes du moyen métrage, elles ont ouvert la voie pour que ces nouveaux acteurs deviennent à leur tour des passeurs de mémoire. Ils iront jusqu’à prendre la parole lors de la commémoration tenue le 8 mai 2024 au Parc de la Tête d’Or.

Des 20 heures d’images tournées, Dana tire une conclusion. « Aujourd’hui, nous, enfants d’immigrés ou petits-enfants d’anciens combattants, avons le devoir de perpétuer cet héritage, déclare-t-elle, de combattre l’ignorance et les divisions, car cette ignorance peut parfois tuer ». Elle cite le nom d’Aboubakar Cissé, un Malien de 22 ans assassiné le 25 avril alors qu’il priait dans une mosquée du Gard. L’étudiante invite sa génération à « prendre le relais » pour « construire une France plus juste, consciente et unie ». Mais pour ces Vaudais, l’aventure est loin d’être finie. Ils prévoient de se rendre au camp de Buchenwald, près de Weimar, où Maurice Luya a été déporté. L’expérience leur a même donné envie d’explorer d’autres histoires, cette fois liées à la colonisation, confie la dernière des jeunes à prononcer son discours, Célina Mohli. Face à ces thématiques qui résonnent dans leurs familles et leurs quartiers, ils ressentent le « besoin de comprendre pour avancer ».
Article signé par Cecilia Adrián Tonetti