Initiative citoyenne, squat pour mineurs isolés à la Croix-Rousse

À la Croix-Rousse, un squat a ouvert en mai 2021 pour venir en aide aux mineurs isolés expulsés du collège Maurice Sève. Ce squat, bâtiment vétuste regroupant initialement quatre appartements de quatre chambres, peut accueillir 37 personnes. Pourtant, ils sont aujourd’hui 50 à occuper les lieux par manque de moyens.

Ce squat, destiné aux jeunes garçons immigrés, a été ouvert pour les héberger le temps qu’ils soient jugés et reconnus comme mineurs isolés. Ils arrivent ici après s’être vu refuser leur statut de mineur par le Forum Réfugiés. En attendant leur jugement, ils sont dans un vide juridique qui ne leur donne droit à aucune prise en charge. La métropole ne considère pas que leur situation est de son ressort puisqu’ils ne sont pas encore reconnus comme mineurs et les institutions attendent le jugement pour les prendre en charge. Lisa, voisine et bénévole présente le parcours de la plupart de ces jeunes : « Ils arrivent souvent d’Italie ou d’Espagne et se présentent au Forum Réfugiés qui est censé leur faire passer une évaluation permettant de savoir s’ils sont mineurs. S’ils se voient refuser le statut de mineur, ils peuvent faire un recours et passer devant le juge des enfants. La plupart du temps, celui-ci reconnait leur minorité. Mais en attendant ce jugement, ils ne sont pas pris en charge, ils sont à la rue et ils ne parlent pas toujours la langue. » Ce statut, où ils ne sont ni reconnus comme mineurs ni reconnus comme majeurs, ne leur donne pas accès à une couverture santé ou à la scolarisation. L’association AMIE se charge de leur venir en aide pour le coté administratif, « ils font venir leurs papiers de leur pays d’origine, ils leur trouvent un avocat pour le jugement ». Cette procédure peut aller de quatre à six mois, « c’est souvent le temps de regrouper les papiers » explique la jeune femme. Le squat, qui s’est créé à l’initiative de citoyens, a pour but de les héberger durant cette période.

« Le but, ce n’est pas qu’ils restent ici mais plutôt qu’ils soient réellement pris en charge »

Cette histoire remonte au collège Maurice Sève. L’établissement était occupé légalement par 350 migrants au moment de la crise sanitaire mais ils ont fini par être expulsés. Des campements ont alors commencé à se former et, quelques temps après, le squat s’est ouvert. Les propriétaires, des bailleurs sociaux, souhaitaient détruire le bâtiment pour en faire des logements sociaux. Les locaux étaient cependant déjà occupés et un procès a eu lieu en novembre à l’issue duquel les mineurs se sont vus accorder le droit de rester pendant un peu plus d’un an. Lisa rappelle que « le but, ce n’est pas qu’ils restent ici mais plutôt qu’ils soient réellement pris en charge ». Le squat peut accueillir 37 personnes, « avant, on avait mis des tentes dans la montée de la Grande-Côte et quand une place se libérait, ils venaient ici. Ceux qui partaient, c’était souvent parce qu’une autre place se libérait dans les locaux de la Part-Dieu prêtés par la mairie centrale qui bénéficient de conditions plus confortables (ici on n’a pas eu l’électricité jusqu’au 23 décembre) » précise-t-elle. « Il en restait encore dehors mais on a bourré un peu ici et aujourd’hui on loge 50 jeunes (certains sont six dans une chambre). » Pour autant, ce n’est pas un puit sans fond, au fur et à mesure le nombre d’occupants s’équilibre, certains arrivent à être placés, ils sont entre 120 et 150. Ceux qui n’ont pas de place pour dormir vont le soir à la Marmite (salle de la municipalité de la mairie de Lyon 1).

Le squat est tenu essentiellement par des initiatives citoyennes. « Il y a notamment l’association CUM (coordination urgence migrants) qui s’occupe du procès, qui gère la cagnotte. » Les mineurs ne sont pas livrés à eux-mêmes, « en tout, on est une trentaine de personnes ». Il y a toujours quelques adultes en présentiel et aussi d’autres personnes qui viennent plus ponctuellement, pour des travaux par exemple. Certains s’occupent uniquement du coté administratif. « Il y a ceux qui gèrent la vie quotidienne (faire des courses, aider pour les lessives), d’autres la logistique ou encore la mobilisation médiatique et militante pour essayer de faire bouger les institutions en plus. Il nous faut gérer urgence sur urgence ». Elle continue : « Il y a une belle mobilisation citoyenne » et, comme pour illustrer son propos, Lisa déclare : « Tout ce qui est ici, livres, nourritures, chaises ce sont des dons ». Sur sa page Facebook, le squat met chaque semaine ce dont il a besoin et des personnes viennent selon les besoins. « On a aussi la chance d’avoir un couple de médecins à la retraite qui vient une fois par semaine. Ils ont réalisé une grande campagne de vaccination pour le Covid et font des dépistages de maladies pulmonaires. » Malgré tout, il y a un manque de personnel et la bénévole rappelle les limites de ce système : « On n’est pas éducateurs spécialisés, infirmiers ou profs ». Ces jeunes font face à l’ennui et l’inactivité. Ils n’ont droit qu’à deux heures de cours par jour et ne peuvent guère se balader. Ils n’ont souvent pas de quoi se payer un tiquet TCL et n’aiment pas frauder.

Salle à manger du squat. Crédit photo : Inès Pallot

Un quotidien difficile, raconté par les jeunes

Zidane, 15 ans, habite dans le squat depuis 3-4 mois et explique leur quotidien là-bas : « Y’a des gens qui sortent chaque jour du forum réfugiés. Par exemple, hier il y avait neuf personnes qui sont sortis d’un coup en une soirée. Ici, les conditions de vie ne sont pas très adéquates, pas très faciles. Mais de jour en jour ça va mieux ; avant il n’y avait pas l’électricité, il n’y avait pas de chauffage, on était tout le temps dans le froid. Les douches étaient froides ou sinon pour prendre les douches, on était obligé d’aller dans un stade. Maintenant, il y a des bouilloires et le micro-onde pour chauffer l’eau. Ça prend du temps, parce qu’il n’y a que trois bouilloires, c’est un peu compliqué. Il n’y a pas de chauffage dans la douche. Pour préparer la nourriture, on a maintenant du gaz à la cuisine et le micro-onde. On prépare un repas par jour. La cuisine est ouverte à partir de 16 heures, pour préparer la nourriture pour la soirée. » Quand on leur demande ce qu’ils cuisinent, Dave, un jeune du squat, répond instinctivement : « Du riz ! Sur 31 jour, on mange du riz ». Du riz avec de la sauce graine, du riz avec de la sauce oignon, du riz avec de la sauce d’arachide.

Ils nous expliquent leur journée type dans cette vieille maison abandonnée : le matin, ils se rendent à leur cours d’une heure trente à Jean Macé, à tour de rôle, à raison d’une vingtaine par cours. Puis, ils vont manger au restaurant social municipal près de la place Guichard.

Zidane : « C’est la routine, c’est comme ça chaque jour. On va, on vient. » Le reste de la journée, ils s’occupent ; certains jouent au foot, d’autres font de la boxe. Et puis la musique a aussi une place importante dans leur vie : « Il y a en qui font de la musique wolof, il y a des rappeurs », explique Dave. « Il y a des jeunes ici qui rappaient bien », précise Lisa, avant d’ajouter : « Avant, on organisait tous les dimanches le « dimanche solidaire » à côté du campement. On vendait à manger, préparé par les jeunes, et certains faisaient des concerts ». Beaucoup écrivent leurs textes de rap, certains même apprennent la guitare, comme un ancien habitant du squat, Amara.

Il arrive aussi pour certains d’arriver à être scolarisé, dans un collège ou dans un lycée. « Ils ont un entretien au Centre d’informations et d’orientation. Ils envoient ensuite leur dossier au rectorat qui les convoquent à passer des tests dans différentes écoles. La plupart passent en UPE2A, classe pour les primo-arrivants et selon leur niveau, ils les font basculer dans des classes « normales » », explique Lisa.

Une des salles de bain du squat. Crédit photo : Inès Pallot

Pour la métropole, « ça fait tache de savoir qu’il y a des mineurs dans un lieux à zéro degré »

Lisa se sent démunie face aux institutions : « On ne sait plus quoi faire pour attirer leur attention. Au début, on a alerté la Métropole mais, comme nos gars ne sont pas reconnus comme mineurs, ce n’est pas à eux de gérer ça. C’est plutôt du ressort de l’État ». Elle pense qu’il y a un manque de volonté de la part des institutions. Il y a beaucoup de lieux vacants à Lyon et les mettre à disposition ne réclame pas beaucoup de moyens. Pour avoir du chauffage, ils ont dû batailler. La Métropole a ouvert le débat avec ICF, le bailleur social du bâtiment. Mais la bénévole ne se berce pas d’illusions, « s’ils ont fait cela [la Métropole], c’est parce que ça fait tache de savoir qu’il y a des mineurs dans un lieux à zéro degré. Puis le débat a duré de longues semaines ; au 23 décembre, l’hiver était déjà bien entamé ». C’est la fondation Abbé Pierre qui a financé les travaux. La qualité de vie est très médiocre, le bâtiment allait être détruit lorsqu’il a commencé à être occupé et on observe de la moisissure au mur à cause du manque de chauffage.

Malgré ces conditions de vie déplorables, les jeunes font preuve de générosité les uns envers les autres, « ils sont très solidaires et bienveillants entre eux. Depuis plusieurs années, ils sont sur les routes, sans famille ni ami. Ils ont souffert de la privation et pourtant ils ne laisseront jamais personne avoir faim. Ils se taquinent, se chamaillent mais il n’y a jamais d’humiliation. »

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