La plateforme de livraison de repas à domicile a revu à la baisse la grille tarifaire de ses livreurs. La rémunération minimum par commande a en effet été supprimée au profit d’un algorithme obscur. Alors que la révolte gronde à Paris, la lutte s’organise plus timidement à Lyon. Nos livreurs ne sont pourtant pas épargnés.
Depuis plusieurs mois, Deliveroo revoit régulièrement à la baisse la rémunération de ses livreurs. Pour éviter l’indigestion, la plateforme grignote leurs revenus les uns après les autres.
En octobre, les livreurs lyonnais percevaient un minimum de 4,40€ par commande et touchaient en plus un bonus en fonction de la distance parcourue. Le minimum a ensuite été revu à la baisse et est passé à 4,30€. A cette période, les livreurs recevaient également des primes s’ils travaillaient les dimanches soir ou s’ils honoraient plus de 15 commandes en 4 heures. Ces primes ont diminué progressivement jusqu’à disparaître complètement. Par temps de pluie, les courses étaient initialement majorées de 1€. Cette prime se fait elle aussi de plus en plus rare, contrairement à la pluie (les aoûtiens lyonnais peuvent en témoigner !). La suppression de la rémunération minimum apparaît alors comme un coup de grâce pour les livreurs.
Un algorithme obscur
Désormais, la tarification est uniquement calculée sur un algorithme inconnu. Les facteurs pris en compte seraient le temps, la distance, le dénivelé, … Toutefois, cet algorithme est totalement opaque pour les livreurs. Selon Deliveroo, cette nouvelle tarification permet de favoriser les commandes les plus longues. Pour les livreurs, elle se fait surtout au détriment des courses les plus courtes. Bien en dessous des 4,30€, les livreurs ne perçoivent désormais que 2 ou 3 €. En plus de cela, l’augmentation de la rémunération des courses les plus longues ne permet pas de compenser le manque à gagner sur les commandes les plus courtes. Pour Ludovic Rioux, livreur et membre du comité CGT Précaires et Privés d’Emploi de Lyon, cette nouvelle tarification pose un double problème. Il confie : « Comme on ne connaît pas l’algorithme, on n’a aucun moyen de vérifier ce qu’ils nous disent. Ils peuvent nous faire croire ce qu’ils veulent. » Puis il poursuit : « A partir de maintenant le problème c’est que s’ils veulent baisser les rémunérations, rien ne les empêchera de descendre le plus bas possible vu qu’il n’y a plus de minimum. »
Un système économique à repenser
Les livreurs Deliveroo ne sont pas salariés mais prestataires. Le statut d’auto-entrepreneur permet aux plateformes de faire passer des baisses sans aucune négociation. De plus, ce statut permet à Deliveroo de faire des économies au détriment des livreurs. Comme ils ne sont pas salariés, les livreurs doivent payer eux-mêmes leurs cotisations (chômage, retraite, …). En cas d’accident, les coursiers sont également livrés à eux-mêmes. Deliveroo leur fournit une assurance Axa mais pour Ludovic Rioux, celle-ci est très imparfaite. Les accidents ne sont pas considérés comme accident de travail. Les coursiers n’ont dès lors pas la sécurité d’avoir un revenu de remplacement et leur matériel n’est pas remboursé. Abdel, livreur chez Deliveroo depuis 1 an, confie à ce sujet : « Il y a 3 mois, j’ai eu un accident. J’ai dû payer quasiment tous les frais et, malgré l’assurance, mon revenu a été divisé par deux. Mon budget a vraiment rétréci, c’était très dégradant. » De plus, en cas de rupture de contrat, les livreurs n’ont aucun recours possible. Comme il ne s’agit pas d’un licenciement, ils n’ont pas droit au chômage. Ainsi, à partir du moment où les coursiers ne peuvent plus livrer, à cause d’un accident ou d’une rupture de contrat, la précarité se manifeste. Pour Ludovic Rioux : « C’est vraiment le statut d’auto-entrepreneur qui permet cela. Indépendamment du contournement du code du travail, Deliveroo contourne aussi une part du salaire social qui est extrêmement importante. »
« Être payé pour notre travail »
Pour Ludovic Rioux, Deliveroo a la volonté de mettre en compétition les livreurs entre eux. « Il y a cette idée que si on ne gagne pas assez, c’est parce qu’on est trop nombreux et que par conséquent, il n’y a pas assez de commandes par rapport au nombre de coursiers. On imagine que les commandes sont faites pour favoriser un tel ou un tel. C’est pour cela qu’on a monté une action syndicale avec le Comité des Privés d’Emploi et Précaires de la CGT. En avril-mai dernier, on a réfléchi à des revendications et on s’est mis d’accord sur l’idée d’une rémunération à l’heure. Aujourd’hui quand on travaille, on est seulement rémunérés à la tâche. Si on n’avait pas un statut d’auto-entrepreneur, cela serait d’ailleurs interdit par le droit du travail. Si on n’a pas de commandes pour des raisons qui nous sont extérieures, c’est nous qui en faisons les frais. Quand ils se sont implantés en France, Uber et Deliveroo payaient les livreurs à l’heure en plus de la commande. C’est ce à quoi nous voulons revenir. On souhaiterait être payés 10€ de l’heure en plus d’une rémunération à la commande. Cela permettrait que l’on soit payés pour notre travail : quand on livre des commandes, on travaille ; quand on est connectés sur l’application et qu’on attend dans la rue, on travaille aussi. »
La lutte lyonnaise, « une princesse capricieuse »
A Paris, les livreurs Deliveroo se sont mobilisés mercredi dernier afin de protester contre la baisse tarifaire. A Lyon en revanche, il n’y a pas eu d’appel à la grève. Ludovic Rioux admet : « A part ces revendications d’il y a quelques mois, il n’y a rien eu de particulier, certainement à cause de l’organisation du travail à Lyon. C’est une ville où les zones de livraison sont immenses contrairement à Paris où elles sont organisées par quartiers. A Lyon, on peut livrer jusqu’en banlieue proche. Cela crée un turnover important. Des gens partent, d’autres reviennent. Par conséquent, on n’a pas réussi à se mettre d’accord autour d’un mouvement de grève ou quoi que ce soit. A titre indicatif également, sur les livreurs qui se sont syndiqués, il y en a beaucoup qui ne travaillent plus ni pour Uber ni pour Deliveroo alors que ça fait seulement 4-5 mois que cette activité syndicale existe à Lyon. C’est un métier où il y a tant de précarité qu’on y est que de passage. » Pour Jérôme Pimot, porte-parole du Collectif des livreurs autonomes de Paris, la lutte lyonnaise est « une princesse capricieuse qui veut ‘rester au pieu’ ». Il rappelle que Lyon « a pourtant été la première à s’engager dans la lutte en 2016, avant même Bordeaux et Paris. Mais le manque de leadership a fini par avoir raison des mouvements de cette époque et la gronde lyonnaise s’est endormie comme une princesse de contes de fées. Ludovic essaye d’embrasser la cause pour la réveiller. »
Malgré notre sollicitation, Deliveroo n’a pas souhaité s’exprimer à ce sujet.