« Sais-tu pourquoi je saute » : L’autisme non verbal éclairé par l’immersion cinématographique

Hier a eu lieu l’avant-première mondiale du documentaire « Sais-tu pourquoi je saute » (« The Reason I jump » en version originale) au cinéma Le Comoedia, dans le cadre du Festival International du Film sur les Handicaps (FIFH). Réalisé par Jerry Rothwell, il plonge les spectateurs dans les pensées et les sensations de jeunes autistes non-verbaux à travers le monde.

Le documentaire américain « Sais-tu pourquoi je saute », présenté en avant-première pour le Festival International du Film sur les Handicaps, est inspiré du livre éponyme écrit par Naoki Higashida, autiste non-verbal, alors qu’il avait 13 ans. Publié en 2007 au Japon, il a été traduit en anglais par Keiko Yoshida et son époux l’auteur britannique David Mitchell, qui ont eux-mêmes un enfant autiste. L’originalité du documentaire réside dans le travail fait autour de l’image et du son afin de faire expérimenter au spectateur la perception du monde singulière que recouvre l’autisme non-verbal.

Emmanuel Rossi, distributeur du film, met en valeur la puissance immersive du film : « Sa vraie particularité, c’est qu’il utilise le langage du cinéma pour que l’on puisse ressentir ce qu’il se passe dans la tête et dans le corps de ces autistes. C’est vraiment une expérience à vivre dans une salle de cinéma puisque le son a été mixé pour cela ». Ce documentaire n’est donc pas une série de témoignages classiques mais une véritable expérience cinématographique afin de mieux comprendre les sensations et les pensées des autistes non-verbaux.

La séance s’est également déroulée en présence de Dominique Franc, président de l’association Sésame Autisme Rhône-Alpes (SARA) qui gère les établissements et les services accueillant des personnes concernées par toutes les formes d’autisme. Il souligne que le film est enrichissant car « la qualité du cinéma permet de nous rapprocher de ce que ces personnes peuvent ressentir, notamment par l’exagération des bruits, de la lumière, des formes. En tant que spectateur, vous pourrez être en empathie avec ce que ces personnes peuvent ressentir face à des situations de tous les jours ».

Un rapport à soi et au monde complexe

Le film dresse le portrait de cinq jeunes autistes : Amrit (Inde), Joss (Royaume-Unis), Jestina (Sierra-Leone), Ben et Emma (États-Unis). Ils ont en commun une perception accrue des détails. Les couleurs, la lumière, l’eau ou les sons de divers ordres deviennent alors source d’un émerveillement ou d’une anxiété plus intense. Parmi les citations du livre de Naoki Higashida qui ponctuent le documentaire, certaines célèbrent ce rapport brut à l’environnement qui s’apparente presque à une médiation de pleine conscience, même si la sérénité est rarement de mise. Néanmoins, ils partagent ce constat universel : contrairement aux autres humains, seule la nature ne remet pas en cause la légitimité de l’existence et s’offre simplement à la contemplation et à l’expérience. A ce propos, Dominique Franc indique les progrès qui ont été fait dans la construction des établissements d’accueil. « Ce qu’on voit dans le film est compris depuis pas mal d’années sur tout ce qui concerne la sensorialité. Les structures d’accueil travaillent sur l’architecture, on soigne l’environnement sensoriel : les formes, les couleurs, le bruit, le sol. On fait attention à ce qu’il n’y ait pas de scintillement, de reflet qui puissent troubler ».

Un autre stéréotype est détruit : les autistes non-verbaux n’apprécient pas être seuls mais préfèrent comme tout un chacun la compagnie de leurs proches et de leurs amis. Les personnes qui les côtoient parviennent à vivre pleinement l’instant présent et apprennent à se concentrer sur l’essentiel. La sœur d’une femme autiste aujourd’hui âgée de 50 ans se confie : « Pour l’instant, en dehors de l’intuition, il m’était difficile de répondre à la question « est-ce que ta sœur comprend ce qui se passe, qu’est-ce qu’elle réalise ? ». Je n’avais pas de réponse alors que je suis médecin de formation. Le film est une véritable ouverture. Tous les moments passés ensembles ont été des expériences de vie qu’elle a pu comprendre, métaboliser, vivre pleinement ». Dominique Franc insiste : « On se rend compte qu’on se trompait bien sur leur capacité à comprendre qui est beaucoup plus grande que ce qu’on imaginait ».

Le film aborde également la question du temps. Par exemple, on observe que des souvenirs extrêmement clairs peuvent ressurgir et submerger la personne autiste. « On travaille beaucoup sur des bandes de séquençage aujourd’hui pour positionner la personne dans le temps et qu’elle parvienne à replacer ce qui était aujourd’hui, hier, demain », explique Dominique Franc.

Une communication et une compréhension qui s’améliorent

Le documentaire souligne les nouveaux moyens de communication mis en place pour comprendre les personnes autistes non-verbales. On observe notamment qu’ils peuvent pointer les lettres de l’alphabet sur un clavier ou une feuille prévue à cet effet. Ils épèlent alors les phrases avec l’aide d’une autre personne qui la dit à haute voix. C’est grâce à cette technique que Naoki a pu écrire son livre. Une maman se réjouit que l’on mette en avant ces avancées : « Je ne pensais pas qu’on verrait autant dans ce film la CA, c’est-à-dire la communication alternative et améliorée. On peut communiquer autrement que par le langage oral comme le clavier numérique, des applications… On leur fournit aujourd’hui la possibilité de communiquer, c’est l’apprentissage d’une autre langue. Ma fille a appris de la lecture globale, mais on peut aussi exprimer les émotions par la danse, le dessin. ». Les outils numériques donnent un bon moyen d’améliorer leur inclusion dans la société.

Dominique Franc met lui aussi en valeur la compréhension de plus en plus fine du fonctionnement de ces personnes et de la qualité de leur accompagnement. Cependant, il regrette que « notre environnement ne bouge pas assez vite pour les inclure. C’est aussi pour cela qu’on parle de personnes en situation de handicap. Elles n’ont pas un handicap intrinsèque. Elles ont un handicap du fait qu’elles sont placées dans un environnement qui ne leur est pas approprié ». Une maman rappelle l’importance des associations : « Ce film montre le combat des parents pour que les enfants soient reconnus. C’est grâce aux associations de parents que ces enfants sont sortis de l’oubli et qu’on s’agite pour leur créer un monde adapté ».

Malgré la lenteur des changements qui est à déplorer, un documentaire comme « Sais-tu pourquoi je saute » permet d’éclairer jusqu’aux parents des enfants. Un père déclare : « Le comportement des autistes paraît parfois complètement incohérent. On ne sait pas pourquoi ils se mettent à gémir ou avoir des crises de nerfs qui sont ingérable. Le film montre qu’il y a une certaine cohérence dans tout cela ».

Ce documentaire révèle, par une expérience cinématographique unique, la poésie du rapport au monde propre aux individus autistes. Ces personnes chez qui on identifie un handicap invisible s’interrogent comme chacun d’entre nous sur l’écart entre les pensées et leur expression. Ils ressentent également ce désir irrésistible de s’arracher au monde tout autant que le souhait d’être soi et pas quelqu’un autre. Finalement, le film semble nous suggérer que nous poursuivons la même quête perpétuelle : celle d’un endroit propice à s’épanouir sans inquiétude.

Si vous allez le voir en salle, n’oubliez pas qu’il a besoin de relais pour faire d’autres projections. Emmanuel Rossi le précise bien : « Si des gens sont dans la salle et ne connaissent pas l’autisme, je pense qu’ils seront quand même convaincus par le film, mais l’enjeu, c’est de les faire venir. On compte sur vous ».

Aurore Ployer

La rédaction

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