« Le train-train de la zonzon »

 

train train zonzon

Toujours dans l’optique d’une immersion dans le monde carcéral, le LBB propose un déroulé d’une journée type en détention. Bien que des activités sportives, scolaires ou encore de travail rémunéré soient possibles, celles-ci feront l’objet d’articles prochains. La description sera celle d’un jour sans activités particulières, dans une maison d’arrêt. Nous sommes loin de la série « 24 h chrono »…

Toujours dans l’optique d’une immersion dans le monde carcéral, le LBB propose un déroulé d’une journée type en détention. Bien que des activités sportives, scolaires ou encore de travail rémunéré soient possibles, celles-ci feront l’objet d’articles prochains. La description sera celle d’un jour sans activités particulières, dans une maison d’arrêt. Nous sommes loin de la série « 24 h chrono »…

Le quotidien dans un établissement pour longues peines, ou centrale, est sensiblement le même. La différence majeure réside dans le fait que l’ensemble de la journée se passe la porte de la cellule ouverte, de 7h00 à 18h00.

Récit d’un jour sans activités particulières

6h50 : Un bruit de serrure se fait entendre dans l’aile où se trouve la cellule du détenu lambda.

7h00 : Un surveillant ouvre la porte. Il en profite pour prendre les plis et enveloppes dans la boîte aux lettres adossée à la porte. Ces courriers peuvent être destinés à la correspondance extérieure, tout autant que pour les diverses demandes en interne. Chaque besoin de visite médicale, d’entretien avec le chef de détention ou de visite à l’aumônier, doit passer par cette boîte. Le surveillant ne refermera la porte que lorsque le(s) détenu(s) le saluent en retour. Il s’agit de vérifier que les résidents sont vivants. Le « bonjour » devient une preuve de vie.

7h15 : Un second surveillant passe avec un « auxi ». L’ « auxi » est un détenu qui travaille. Il pousse un chariot contenant deux bassines, l’une avec du lait chaud, et la seconde avec du café. C’est la version pénitentiaire de l’ami Ricoré.

9h00

: Arrive l’heure de la promenade. Selon les établissements, elle peut durer de 45 minutes à 1 heure. La porte s’ouvre, et le détenu est « libre » de sortir ou non, car la promenade n’est pas obligatoire. Lorsqu’il se trouve sur le pas de la cellule, le surveillant procède à une palpation, afin de s’assurer que le détenu sort sans armes. Des piles dans une chaussette, des lames de rasoirs soudées sur le plastique fondu d’une bosse à dents, ou encore une cuillère dont le manche est affûté, sont quelques exemples de ce qu’il peut trouver comme armes en détention.
La promenade est l’un des rares moments durant lequel les détenus peuvent courir, jouer au foot, ou simplement discuter avec d’autres détenus que ceux de leur cellule.
Il est notable de souligner que, quel que soit l’établissement, la circulation en rond dans la cour de promenade se fait toujours dans le sens inverse des aiguilles d’une montre. Il serait intéressant de voir s’il en est de même dans l’hémisphère sud.

10h00 : Fin de la sortie du matin, et retour en geôle.

12h00 : Le déjeuner est servi en cellule. Toujours actionnée par le surveillant, la porte s’entrouvre pour un plateau repas, servi donc par un « auxi ». Nous sommes très loin des films américains, avec d’immenses réfectoires où l’ensemble des prisonniers prennent leur repas. Pour des raisons évidentes de sécurité, il n’est pas nécessaire qu’un regroupement se fasse les jours « d’épinards croûtons »… De moins en moins de prisons possèdent leur propre cuisine, et désormais, ce sont des plateaux repas provenant d’entreprises privées, qui font l’ordinaire. Le contenu des repas est conçu pour lutter contre l’obésité, pour être immangeable la plupart du temps.

15h00 : Sonne l’heure de la promenade de l’après midi. C’est reparti pour 1 heure de marche sous la force de Coriolis, et l’on remonte le temps à ressasser des souvenirs.
Une légende urbaine voudrait que la prison soit l’école du crime. Il faut apporter un bémol à ce dicton. En effet, un détenu donnant des conseils sur comment commettre un délit ou un crime serait comparable à idiot qui vendrait de l’intelligence, sans avoir d’échantillon sur lui. Les vrais délinquants et criminels sont ceux qui ne se font pas attraper. D’ailleurs, les détenus se ventant de leurs méfaits passent rapidement pour des « mytho » du crime.

16h00 : Retour à la case départ.

17h45 : Le repas du « soir » arrive. C’est le moment ou les détenus se font passer des cigarettes, des livres, du sel ou toutes autres choses réglementaires, après l’accord du surveillant. L’« auxi » de cuisine se transforme ainsi en facteur avant le tombé de rideau.

18h00 : Dernier passage du surveillant pour la distribution d’un éventuel courrier, ainsi qu’une vérification de présence, puis c’est la fermeture de la cellule jusqu’au lendemain.

En l’absence d’une autorisation d’activités sportives, ou scolaires, toujours sous le pouvoir discrétionnaire du directeur, ou encore d’une visite au parloir, le prisonnier aura passé 22 heures sur 24 enfermé dans une cellule de 9m².

Si la justice est aveugle, la pénitentiaire elle, est sourde…

La journée n’est pas finie pour autant, et passé cet horaire de 18h00, un nouvel invité prend sa place : le bruit. Quant ce n’est pas la musique à fond le ballon, se sont des conversations qui se tiennent par les fenêtres, ou encore d’autres détenus qui s’amusent à frapper à grand coups de pieds dans la porte ou les murs, quelle que soit l’heure. Sans parler de torture, le manque de sommeil rajoute une tension supplémentaire à un quotidien déjà délétère. Si la justice est aveugle, la pénitentiaire elle, est sourde…

Pour le reste, c’est la nuit que drogue, argent, téléphone ou même nourriture passent par le « yoyo ». Le « yoyo » n’est pas la double injonction d’un rappeur, mais est une ficelle servant à échanger par la voie des airs. Cette corde est faite avec des lambeaux de tissus reliés entre eux pour constituer un ersatz de corde. L’un des deux détenus fait sortir son bras à l’extérieur de la fenêtre. Le second attache le « colis » à la ficelle, qu’il fait tourner puis qu’il envoie sur le bras tendu. Comme quoi, le bonheur, c’est simple comme un coup de fil…

Parmi les « loisirs » nocturnes, il y a aussi la pêche. Le « yoyo » est relié à une fourchette dont les dents sont recourbées. Le jeu consiste à récupérer les colis venus, cette fois, de l’extérieur, par dessus le mur d’enceinte. Dextérité et précision sont requises car il n’est pas question que le colis soit retrouvé le lendemain par les surveillants. Habituellement, lorsqu’elle est sportive, on parle de pêche au gros, là on entend plus souvent : « eh, gros, tu vas à la pêche ? »

S’agissant de l’hygiène ?

Hormis les très rares prisons possédant des cellules équipées, il faut parfois attendre une semaine le jour de la douche. Encore moins fréquemment, toutes les 2 semaines, la porte s’ouvre pour le changement de draps. A l’instar d’une éclipse, il arrive parfois que ces deux journées coïncident, et l’on vérifie alors qu’il faut savoir se mouiller pour finir dans de beaux draps…

Dans les maisons d’arrêt ayant plus de 50 ans, les toilettes sont dans un coin de la cellule. Pour peu que celle-ci soit occupée par 4 à 5 détenus, et l’on constate qu’effectivement « le bruit et l’odeur » peuvent indisposer… Par pudeur, un drap est tendu sur un fil, vérifiant que pour une fois, on fait en sorte de ne pas voir la lunette… Pour l’anecdote, il est conseillé de mettre une planche sur les toilettes à la prison de la Santé, et ce afin d’éviter la visite intempestive de rats par trop curieux de spéléologie… Les maisons d’arrêt plus modernes ont bien un réduit servant aux commodités, encore faut-il faire abstraction de la gêne causée.

Pour la bibliothèque, une visite par quinzaine est la norme, pour un nombre d’emprunt limité. La encore, la privation de liberté s’impose en contrecarrant l’évasion par la lecture.

En définitive, on constate qu’une journée de prison, en maison d’arrêt, s’apparente à un jour sans fin. S’il n’y avait pas la télévision et la radio, il serait presque impossible de distinguer un jour de semaine d’un autre. Hors activités, toutes à la discrétion du directeur, un détenu passant un mois de détention aura passé 682 heures sur 744 dans 9m². Cela limite fortement l’horizon de la réinsertion. D’ailleurs, dans la plupart des cas, il s’agit en amont, d’un défaut d’insertion.

Il serait court d’accabler l’administration pénitentiaire, qui doit gérer de plus en plus de détenus, avec de moins en moins de personnels. Par ailleurs, la gestion des allers et venues en détention relèvent d’un défi quotidien, sachant que la priorité du directeur d’une maison d’arrêt est d’assurer, en premier lieu, la sécurité des surveillants, puis celle des détenus. La réinsertion et le travail de socialisation se limitent ainsi à éviter des émeutes.

David Vallat

J’ai déjà été manutentionnaire, préparateur de commande, soudeur, métallier, dépanneur, serrurier, éboueur, administrateur des ventes export, déménageur, négociateur immobilier, métreur dans le bâtiment, fleuriste, kébabiste, démineur, agent d’entretien, figurant pour des courts métrage, carrossier peintre, mécanicien auto, consultant en explosif pour le cinéma, chasseur alpin au 159 de Briançon, peintre en bâtiment, formateur sur armes légères et fusils d’assauts, pointeur mortier lourd, poseur de charpentes métalliques, restaurateur, conseiller juridique, gréviste de la faim, arbitre d’épreuve pour le brevet de moniteur de ski, comptable dans une association de malfaiteur, traducteur anglais arabe, écrivain public, élagueur pour l’office national des forets, négociant en matériel de toutes sortes, chef de chantier, conducteur de travaux. (Liste non exhaustive). Au Lyon Bondy Blog depuis mars 2012. Ma devise serait : « Mieux vaut passer pour un ignorant, mais ne pas le rester, plutôt que de le cacher, et continuer à l’être. »

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