Critique Cinéma : Ozon, ou l’art de la transgression

L’art se doit de tout dire, le cinéma se doit de tout dépeindre, avec justesse et sans artifice.

Sujet clivant actuel, les abus sexuels sur mineurs dans l’Eglise catholique ont donc inspiré une figure du cinéma : François Ozon. Il s’était imposé peu à peu dans le paysage cinématographique français grâce à des films comme Jeune et Jolie (2013), inscrits dans une veine réaliste et brute. Un brin d’anticonformisme, une satire subtile, une once de sexualité, et des dialogues crus et mordants, et vous obtenez un réalisateur corrosif et plaisant qui dépeint les drames délicieux du quotidien, avec une habileté captivante.

Ainsi, son nouveau long-métrage Grâce à Dieu, l’événement cinématographique controversé de ce début d’année relate, à partir de faits réels, trois histoires de vie brisées par la pédophilie. Le film, qui a failli ne pas sortir en salles puisque deux actions en justice ont tenté d’empêcher sa projection, était donc très attendu. Les victimes des agressions sexuelles de Bernard Preynat, un prêtre du diocèse lyonnais qui sera d’ailleurs jugé le 7 mars [NDLR : la date correspond en réalité au procès du Cardinal Barbarin], sont à l’honneur dans ce film aux traits documentaires et journalistiques. De la reconstruction post-traumatique à la résilience pieuse, de l’impunité décadente au déni et à la culpabilité des proches, de l’omerta à la parole libérée ; François Ozon, dénué de sa provocation habituelle dessine avec justesse, objectivité et sobriété les multiples facettes et impacts de tels actes. Melvil Poupaud, Denis Ménochet et Swann Arlaud forme un trio d’acteurs exceptionnels et bouleversants qui interprètent respectivement un bourgeois lyonnais établi et fervent catholique qui sera le premier à parler, un homme en apparence guéri, et un homme sans attache ni projet, perdu dans des souffrances inéluctables après le drame de sa jeunesse. Ce trio fictif, d’une complexité psychologique saisissante, confère à ce film toute sa puissance, en lui évitant de sombrer dans un mélodrame misérabiliste et accusateur.

Une véritable réussite, également grâce à l’entremêlement exquis de l’individuel et du collectif. En effet, les trois hommes attendent de cette poursuite judiciaire des réponses différentes mais tous en ont le même besoin, un besoin qui les pousse à créer une association pour les victimes, avec cet adage en tête : « l’union fait la force ». De plus, Ozon parvient à aborder des thèmes bien plus généraux tels que la prescription, le pardon ou encore les réactions familiales parfois déroutantes face à ces crises. Ce film d’une grande intelligence, clairvoyant et captivant, que ce réalisateur insaisissable et multiple revendique comme un « film citoyen » et non pas « à charge contre l’Eglise » apparaît donc comme le meilleur moyen d’éradiquer un silence intenable tant à l’échelle personnelle que politique.

Une fois de plus, le cinéma est donc parvenu à s’emparer d’un sujet de société, afin d’éveiller les consciences, opérer des changements et réaffirmer la liberté d’expression.

Louise HOT

 

Note du LBB : Depuis le procès du Cardinal Barbarin, ce dernier a été condamné à six mois de prison avec sursis. Il a également annoncé qu’il allait remettre sa lettre de démission au Pape. 

La rédaction

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