Rencontre avec la Ministre de la justice Christiane Taubira, lors de la journée commémorative des 30 ans de la Marche, au Sénat. Interview obtenue par Presse & cité (merci à Erwan) et avec Afriscoop, Radio HDR de Rouen, Kaina TV et le Lyon Bondy Blog. La Garde des Seaux revient pour nous sur la Marche. Elle regrette notamment l’absence d’un grand événement national sur le sujet.
Le rapport annuel de la Commission nationale consultative des droits de l’homme, publié en mars, note une augmentation des actes antisémites de 58% et une augmentation des actes contre les musulmans de 30%. Ces chiffres sont alarmants. L’Etat se donne-t-il les moyens de lutter contre le racisme ?
Le racisme est un enjeu essentiel. Un enjeu essentiel de protection des personnes qui sont incivisés par ces actes. Un enjeu essentiel aussi pour le lien social, pour la capacité que peut avoir la société française à accepter les croyances, les différences et la singularité de chacun.
En tant que Garde des Sceaux et ministre de la Justice, dès mon arrivée aux responsabilités en juin 2012, j’ai diffusé une circulaire pour attirer l’attention. Même si je suis persuadée que ce n’était pas nécessaire, c’était mieux de l’écrire et d’attirer l’attention des parquets. Et que tout ce qui est possible soit fait pour lutter contre ces actes racistes, antisémites, xénophobes et contre toutes les formes de discriminations. Dans cette circulaire diffusée le 27 juillet 2012, je demande en particulier aux parquets d’informer régulièrement les associations, les élus, les victimes bien entendu, mais aussi les institutions professionnelles. De façon à ce que sur les territoires, localement, on ait connaissance de la situation et qu’on puisse en débattre et organiser les différentes réponses : pénale, judiciaire et les autres. Comme par exemple les stages de citoyenneté qui expliquent l’histoire et la naissance de ces conceptions nauséabondes que sont le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie et les rejets de toutes les différences, les croyances et de tout ce qui fait que nous vivons ensemble.
Les modifications que nous avons apportées à la loi de 1881 ont modifié le délai de prescription. Celui-ci est passé de trois mois à un an.
Interview réalisée au Sénat, le 1er décembre dernier. Interview organisée par le réseau Presse & cité. |
Ont participé à l’interview : Carole Dietrich (Afriscoop)Moise Gomis (HDR Rouen)Erwan Ruty (Presse & cité)Mohad Ait Ali Bouch (Kayna TV) Sébastien Gonzalvez (Lyon Bondy Blog) |
On peut maintenant déposer plainte sans constitution de partie civile. Ce qui facilite l’engagement des procédures.
Evidemment ça ne suffit pas. J’ai donc aussi demandé à l’Ecole nationale de la magistrature (ENM) d’organiser des sessions de formation pour les magistrats, les policiers, les gendarmes et les avocats. De façon à ce que chacun sache comment recueillir la plainte, la faire prospérer, développer les procédures et faire en sorte que nous sachions déjà mesurer les phénomènes.
Beaucoup de personnes ne portent pas plainte. Il faut les y inciter même lorsque la procédure judiciaire ne peut pas aboutir. Car souvent, on ne connait pas l’auteur. Donc même s’il y a des blocages, ou des inconvénients qui ne facilitent pas l’aboutissement de la procédure judiciaire, nous devons connaître l’ampleur du phénomène.
« Ce n’est pas la justice du plus fort, c’est la justice du droit. »
J’ai par ailleurs vérifié que, dans toutes nos cours d’appel, nous avions bien un pôle anti discrimination. Là où il n’y en avait pas, je l’ai fait ouvrir. Dans tous nos tribunaux de Grande Instance, j’ai nommé un magistrat référent contre les discriminations lorsqu’il n’y en avait pas.
Trois ministères – le mien, celui de l’Intérieur et celui de l’Economie et des finances – ont réorganisés les moyens de fonctionnement de la plateforme Pharos qui permet les signalements de pratiques illégales sur Internet. Ca concerne assez généralement la pédopornographie, l’antisémitisme, le racisme. Voilà les actes concrets que l’Etat a posés au titre du ministère de la Justice.
Vous venez de conclure un colloque qui parlait beaucoup de La Marche et de l’égalité. Dans certains quartiers, le rapport à la justice est encore compliqué aujourd’hui, 30 ans après La Marche…
La justice est une institution essentielle. C’est elle qui interprète le droit. C’est elle qui protège les libertés individuelles et publiques. C’est elle qui rassure le justiciable, notamment le citoyen qui est en situation de faiblesse et qui a besoin de la protection de l’Etat. Quelles que soient les circonstances, avec ou sans marche, il faut que la justice soit une institution de confiance. Je ne peux pas m’exprimer sur des cas particuliers et je ne vois pas l’intérêt d’une généralisation. Je peux par contre dire que depuis que nous sommes aux responsabilités, nous avons fait en sorte que la justice soit détachée du pouvoir politique et quelle n’en reçoive plus d’instructions. On le perçoit essentiellement pour de grosses affaires de corruption ou de grande délinquance économique et financière, mais une justice qui fonctionne strictement selon les règles du droit est une justice qui protège le citoyen le plus vulnérable. Ce n’est pas la justice du plus fort, c’est la justice du droit.
Les rapports entre les citoyens des banlieues et les institutions en général sont compliqués, pas seulement avec la justice. Je crois qu’il y a des interrogations sur les rapports avec l’école, l’éducation, les structures sociales, la culture. Il y a des interrogations et des relations à améliorer. Sur les procédures judiciaires, nous sommes dans un Etat de droit avec des procédures contradictoires et des audiences publiques. Cela veut dire que nous avons un corps professionnel qui est chargé d’assurer la défense. Les avocats ont accès au dossier de procédure. S’ils viennent dire très précisément qu’il y a incontestablement violation du droit et de la loi, nous avons des procédures qui peuvent corriger ça.
Il y a évidemment le ressenti général. On peut en discuter ad vitam aeternam. Ma responsabilité est de m’assurer qu’une affaire soit traitée dans les délais. C’est à dire que les moyens soient donnés et que les effectifs soient là. Que les conditions soient là pour que la justice fonctionne normalement. Après, cela relève du débat démocratique de considérer qu’il y a des mécontentements sur une affaire ou une autre.