Street artistes : des galères aux galeries ?

Du 16 au 30 septembre se tenait la troisième édition du Festival Graff-ik’Art organisé par la FEDEVO (Fédération Régionale du Hip-hop et des Cultures Urbaines — FRHHCU). État des lieux des arts graphiques urbains avec la rencontre de différents protagonistes : Organisateurs, artistes, partenaires, galeristes…

Des ateliers, des expositions, des concerts et des performances de live-painting dans plusieurs lieux de la région (Lyon, Vaulx-en-Velin, Bron, Annonay, Saint-Étienne…) ont permis d’ouvrir les discussions sur les arts graphiques, notamment le graff’, souvent discriminé dans le domaine des arts urbains. Le graffeur est en effet plus souvent considéré comme un vandale que comme un artiste.

Entre Art et Vandalisme

« Les bombes aérosol proposent à la jeunesse désabusée de s’exprimer. Les performances sont liées à la transgression de l’espace public, la rue devient un terrain de création. » Lance Myriama Idir, hiphopiste activiste, lors de la conférence-débat organisée par le festival le 29 septembre. Aujourd’hui, si le Street art est devenu « tendance » au point de s’exposer dans les galeries d’art contemporain, le graffiti reste marginal, illégitime et souffre toujours d’un manque de reconnaissance. En France, cette dualité existe : le graffiti est considéré par certains comme un acte de vandalisme ou par d’autres comme une œuvre d’art. Forme de liberté d’expression ou délit, le débat est lancé.

« Faire la différence entre fresques de Street art ou du graffiti faits de façon sauvage et du tag polluant où il n’y a absolument aucune création » reste important pour Alain Lovato, le président de la Maison des Arts Plastiques Rhône-Alpes (MAPRA) car « il y a aussi du vandalisme. Comme dans tout, il y a des bonnes et des mauvaises choses ».

Le projet Graff-ik’Art

L’objectif du festival Graff-ik’Art depuis sa création est de faire comprendre les cultures urbaines et les faire apprécier. La programmation, ouverte aux initiés comme aux novices, permet de faire connaître et découvrir les techniques et spécificités des disciplines du Street art.

« Sur le plan artistique, et dans le rapport social à la ville, il vaut mieux des œuvres qui amènent le dialogue, plutôt que des œuvres qui amènent la confrontation.» Alain Lovato poursuit : « La création, qu’elle soit sur un mur ou sur une toile, c’est quelque chose de toujours positif qui amène le dialogue et fait réfléchir les gens. »

Les artistes espèrent que le festival sensibilise les publics : « Ce festival, c’est une possibilité de se rendre compte que le graffiti est un travail. » Explique Joris Delacour, un des artistes participants.

© www.lyonhiphop.com
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« Il n’y a pas de discussions, que des punitions »

Cette forme de liberté d’expression qu’est le Street art est pourtant réprimée : Réaliser un tag est un délit. Amendes, arrestations, les graffeurs sont considérés par les autorités comme des délinquants : « Il n’y a pas de discussions, que des punitions. » Affirme Myriama Idir.

Article 322-1 du Code Pénal
S’il n’en résulte que des dommages légers, la peine maximale pour avoir fait un tag est de 3750 € d’amende, et un travail d’intérêt général

En cas de dommage important, un acte de vandalisme est puni jusqu’à 2 ans d’emprisonnement et 30 000 € d’amende

Les graffitis dans l’espace urbain, considérés par certains comme une pollution visuelle, provoqueraient un sentiment d’insécurité : « Quand les gens ne comprennent pas quelque chose, ils se sentent agressés. S’ils ne s’y intéressent pas, ils ont peur. » Précise Alain Lovato.

Ahtzic Silis, artiste ferronnier qui a mis son espace d’exposition à disposition pour le festival, rencontre les mêmes problématiques que les street artistes. Pour lui, cette discrimination va au-delà d’une simple amende : « On a tendance à croire que le Street art c’est quelque chose d’illicite, du vandalisme. Mais je me considère dans le même cas parce qu’il n’y a aucune galerie qui a voulu exposer mon travail. Pourtant on a une biennale internationale à Lyon et elle ne donne pas accès aux artistes locaux. Beaucoup d’artistes n’ont pas accès au marché de l’art, aux galeries, aux expositions, à la Biennale. Moi je mets à disposition mon atelier, je partage avec d’autres artistes et peu de gens à Lyon font la même chose. »

« Coincés entre le commissaire-priseur et le commissaire de police »

Deux écoles se distinguent dans le monde du Street art et du graffiti : Les puristes qui considèrent que la discipline doit rester dans la rue. Et ceux qui veulent en faire leur métier.

Pour certains, l’appropriation du graffiti par le système commercial est difficile à accepter : « Maintenant, on arrive à un moment charnière. On est coincés entre le commissaire-priseur et le commissaire de police. » Affirme Weskorser, graffeur participant au festival.

« Le Street art n’est pas vraiment respecté dès lors qu’il est dans les galeries. On n’est plus dans la rue. On se retrouve dans un lieu clos, ce n’est pas un lieu qui appartient à tous. » Avoue Joris Delacour. Pourtant, d’après Myriama Idir :

« La démocratisation permettrait de valoriser les artistes et de banaliser ces esthétiques. Mais si on veut démocratiser, il faut accepter que ça se commercialise. »

© www.lyonhiphop.com
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Le festival Graff-ik’Art propose aux artistes d’acquérir plus de visibilité par le biais d’un concours. Les gagnants  exposeront leurs travaux dans des galeries dont la MAPRA. Son président reconnait l’intérêt de cette initiative :

« Un Street artiste doit pouvoir vivre de son art. Il est dommage qu’il ne puisse pas d’une part s’exprimer et d’autre part pouvoir en vivre. Ce n’est qu’en rentrant dans le milieu professionnel que c’est possible, sinon on reste marginalisé. »

Lutte contre la discrimination et démocratisation, les objectifs du festival sont ambitieux et selon Athzic Silis, « c’est le temps qui dira si le but est atteint, s’ils arrivent à démocratiser, à mieux faire comprendre le Street art. Certains graffeurs sont devenus des stars, ils ne peignent plus dans la rue, ils peignent sur des toiles et ils vendent ça une fortune. Ça, c’est l’économie, le marché de l’art. Si tu veux vendre ton art, un tag dans la rue tu ne pourras pas. » Et de conclure : « S’ils veulent démocratiser cet art, il faut s’adapter et ce n’est pas nouveau. »

S’adapter ou rester en marge : rien de bien nouveau dans le discours. Pas sûr que tous les Street artists s’y retrouvent pour autant.

Jelena Dzekseneva

Née en Lituanie et ayant grandi au Kazakhstan, je suis arrivée en France en 2008. Pendant mes études d'anthropologie à Lyon 2, j'ai participé à divers projets associatifs qui m'ont fait venir au LBB en juin 2015.

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