[Interview] Sadia Hessabi en aide aux réfugiés afghans : « Cela m’a rappelé ce que j’avais vécu »

Le 15 août dernier, 250 réfugiés afghans accueillis à travers le dispositif Apagan arrivent en France pour fuir les talibans. Sadia Hessabi, née en Afghanistan, est présente pour aider à la traduction lors de leur prise en charge de l’association Forum réfugiés et accompagne encore certaines personnes aujourd’hui.

Comme les personnes que vous avez aidées, vous êtes vous aussi partie d’Afghanistan pour vivre en France. Comment cela s’est passé ?

Je suis arrivée en France d’Afghanistan à 14 ans. À ce moment-là, j’étais seule. J’avais perdu toute ma famille là-bas. Je ne connaissais pas du tout la France ni ne parlais la langue. La personne qui m’a accueillie ici était un oncle éloigné que je ne connaissais pas non plus. J’ai commencé à m’adapter jusqu’à mes 45 ans, l’âge que j’ai aujourd’hui. J’ai appris la langue, à connaître les gens et me débrouiller par moi-même. Ensuite, je suis allée à l’école. C’était un choc assez important, mais jai su m’adapter. Aujourd’hui, je me définis comme un caméléon sur une boîte de Smarties.

À 18 ans, j’ai décidé de quitter l’école pour travailler. Je suis devenue aide-soignante. Plus jeune, je voulais être médecin ; c’était aussi le souhait de mes parents. C’est aussi à ce moment-là que j’ai appris que mes parents m’avaient adopté, ce qui était un choc de plus. Pendant un moment, j’avais oublié l’Afghanistan. J’étais rentrée dans un « moule », comme beaucoup de gens. Je voulais me construire et vivre les expériences de la vie.

C’est vers 39 ans que je me suis aperçue que j’avançais dans un monde qui allait très vite, avec un certain vide. J’ai vu qu’il n’y avait plus de lien entre les gens, que le monde était individualiste et que je rentrais dans une routine. Pour moi, ce n’était pas ça la vie. J’ai eu envie de parler de l’Afghanistan, de dire aux gens que les Afghans ne sont pas les stéréotypes que l’on peut entendre. J’en suis une, et j’ai souhaité montrer ce qu’est la culture de ce pays.

À ce moment-là, j’ai décidé de changer de métier et de quitter la fonction publique pour passer mon diplôme de cuisinière. Afin de vivre pleinement ce que j’avais envie de faire, j’ai ensuite créé Kaboulyon, pour montrer la cuisine afghane et lyonnaise. Mon but était de créer du lien social à travers la cuisine, en utilisant un maximum de produits locaux et bio. Aujourd’hui, je donne aussi des cours, avec la fondation Paul Bocuse, à des enfants qui souhaitent s’initier. J’espère également pouvoir avoir un local où je pourrais mettre en place de la cuisine participative par exemple.

Vous avez participé avec l’association Forum réfugiés à l’accueil des personnes et familles afghanes dans le cadre du dispositif Apagan, comment cela s’est passé ?

L’association m’a contactée pour savoir s’il était possible que je sois présente pour les aider en tant que traductrice pour les familles qui arrivaient là-bas. J’y suis allée plusieurs jours en tant que bénévole. Cela m’a fait plaisir de voir mes compatriotes afghans, mais aussi mal au cœur en les voyant avec quelques sacs où toutes leurs vies tenaient à l’intérieur. C’est d’ailleurs l’élite de Kaboul qui est partie ; les « pauvres gens », ceux qui n’avaient pas les moyens, sont restés sur place. Ils sont partis d’une manière catastrophique en quittant tout. Cela m’a rappelé ce que j’avais vécu, même si le contexte était différent. Ils sont arrivés à un endroit où ils ne connaissent rien ni personne, mais ils avaient quand même le sourire. J’ai traduit par exemple pour les médecins, par rapport aux problèmes qu’ils pouvaient avoir.

Les réfugiés étaient touchés au niveau psychologique. Et ce qui les attendaient après n’allaient pas non plus être facile ; s’ils fuient la terreur et viennent de manière irrégulière, ils risquent, une fois arrivés, de se retrouver à vivre sous des ponts. On ne les aide pas tant que ça, alors qu’il y a de l’espace disponible. Je dis toujours que si l’on veut, on se donne les moyens. Il faut qu’on accueille ces gens-là, parce que s’ils sont dans ces états-là, c’est le résultat de la guerre et de l’histoire qui se répètent. Il ne faut pas l’oublier. J’étais contente en tous cas de les accueillir ici. Mais ils vont devoir s’adapter pour apprendre la langue et trouver sa place. 

Aujourd’hui, je reste en contact avec certaines personnes et je les aide par exemple dans leurs démarches. 

Pouvez-vous me parler un peu plus des personnes avec qui vous êtes encore en contact ?

Les deux personnes que je vois sont reporters. Ils ont fait des reportages magnifiques, par exemple sur le lac de Band-e Amir ou sur les Bouddhas de Bâmiyân. Ils ont des trésors en documentation. Quand je vois ce qu’ils ont fait et qu’aujourd’hui, ils se retrouvent dans un foyer qui ressemble à des cages à poules, c’est horrible. Je suis venue leur apporter des couvertures, des bols, un tapis.

Ils ont aussi pu visiter Lyon avec moi, et ça leur a fait du bien. Je les suivais sur leurs chaînes YouTube, il y a un an de cela, et c’est par hasard que je les ai rencontrés. Ce sont deux jeunes qui viennent de se marier, pleins de vie et remplis de connaissance. Cela fait mal au cœur de les voir dans cette situation.

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