Les résultats du deuxième tour de la primaire de la droite et du centre, qui s’est déroulé dimanche 27 novembre, suivent la tendance du 1er tour. François Fillon conserve une large avance sur son adversaire Alain Juppé et obtient l’unique ticket de candidat républicain à l’élection présidentielle 2017.
Fillon coupe l’herbe sous les pieds de Sarkozy et de Juppé
Le duel Alain Juppé/Nicolas Sarkozy avait sûrement été annoncé trop longtemps à l’avance. Mis en opposition tout au long de la campagne, les deux candidats favoris ont été pris de cours par un adversaire qu’ils avaient sous-estimé : François Fillon. Ce dernier a confirmé sa montée en puissance dimanche lors du deuxième tour face à Alain Juppé, en raflant deux tiers des suffrages (66% contre 33%). Il est passé en quelques semaines du statut de vieil homme d’Etat incapable de séduire et de rassembler, à celui de candidat redoutable et redouté, en particulier par Marine Le Pen, annoncée comme candidate à battre en mai prochain pour les élections présidentielles.
Au jeu des chiffres et des tendances, les traits de caractère qui portent défaut à un candidat peuvent soudain se transformer en qualités. L’image terne et aigrie accolée au personnage Fillon est devenue, après son double succès aussi large qu’inattendu des deux derniers dimanches, l’expression du sang froid et de la tempérance. L’ancien premier ministre de Nicolas Sarkozy a joué la carte de la discrétion, laissant les deux favoris, surexposés dans les médias, mener leurs stratégies électoralistes. Alain Juppé en tentant d’attirer les voix du centre et de la gauche quand M. Sarkozy reprenait les thèmes populistes et identitaires de Marine Le Pen pour séduire l’électorat du FN. Situé au croisement de ces deux discours, le sarthois de 62 ans a su rassembler la droite traditionnelle, patrimoniale, celle qui souhaite le retour de l’autorité de l’Etat et d’un ordre moral basé sur les valeurs françaises et ses racines catholiques. Prônant le sérieux et la rigueur, il a construit son programme sur une idéologie très libérale et conservatrice pour arriver à « redresser la France ».
« Notre seule marge de manœuvre réside dans notre capacité à travailler plus, à travailler tous, à dépenser moins », extrait du discours de François Fillon le 18 novembre 2016, à Paris.
Un programme hyper-libéral et conservateur
Il s’agit bien sûr d’un redressement économique et budgétaire, que François Fillon veut atteindre avec des réformes telles que la suppression de 500 000 postes de fonctionnaires, l’instauration d’une allocation sociale unique ou encore le recul de l’âge de la retraite à 65 ans. Le sarthois, passionné d’automobile, veut « démarrer sur les chapeaux de roues » s’il est élu pour « libérer » davantage l’économie, notamment en baissant de 40 milliards les charges pour les entreprises, en supprimant l’impôt sur la fortune afin de « soutenir nos géants industriels », et en augmentant le temps de travail (fin des 35 heures dans le secteur privé, et retour aux 39h pour la fonction publique). Des mesures qui s’accompagnent de coupes dans les dépenses publiques, notamment en matière de santé. Le volet santé du projet Fillon prévoit de réduire le nombre de remboursements financés par la caisse d’Assurance maladie, pour donner un rôle plus important aux complémentaires santé et ainsi réduire le déficit de la sécurité sociale. Une réforme très libérale remettant en cause le modèle social français qui a suscité une levée de boucliers à gauche, et même jusque dans le camp des Républicains. Le maire de Bordeaux s’est emparé de ce point de litige lors du débat, mais plus dans une position le conduisant à émettre des points de réserve sur le programme de son adversaire qu’à mettre en avant le sien. Une approche défensive qui lui aura portée préjudice, alors que M. Fillon s’est empressé de nuancer les termes écrits dans son programme, en s’engageant aujourd’hui « à faire en sorte que toutes les personnes qui doivent être protégées, ayant des revenus modestes ou moyens, ne soient pas moins bien remboursées ».
La méthode dure en matière de sécurité et une coopération avec la Russie pour lutter contre l’Etat Islamique
Sur les questions de sécurité, alors que son adversaire du second tour voulait revoir à la hausse les effectifs de la police, le député de Paris prévoit lui de consacrer 100 millions d’euros pour renforcer les moyens matériels des policiers et gendarmes, en particulier pour les polices municipales. Création de 16 000 places supplémentaires en prison, augmentation des contrôles d’identité, rétablissement de la double peine pour les délinquants étrangers, utilisation plus importante des fiches S : François Fillon plaide pour la méthode dure afin « d’en finir avec l’impunité et que soit rétablie la tranquillité publique ». Il a aussi annoncé vouloir intensifier la lutte contre le terrorisme, en réorganisant les services de renseignement, en parallèle d’un rapprochement avec la Russie qui fait polémique. Cela signifierait une alliance avec Vladimir Poutine et Bachar el-Assad en Syrie, deux dictateurs qui protègent farouchement leurs intérêts dans cette zone et qui y ont massacré plus de civils que l’Etat Islamique. Alain Juppé a exprimé sa mise en garde vis-à-vis de cette stratégie, considérant que « les agissements de la Russie au Proche-Orient comme en Crimée ne méritaient pas d’indulgence, et encore moins de coopération ».
« Non la France n’est pas multiculturelle. Notre nation n’est pas une addition de communautés, de ghettos et de clans, c’est une nation qui a une identité, une culture, un drapeau. » François Fillon, discours du 18 novembre à Paris.
Si l’élimination de Nicolas Sarkozy a atténué les récurrences au sujet de l’immigration, François Fillon souhaite tout de même la réduire et soumettre aux français s’il est élu un référendum pour la mise en place ou non de quotas. Une vision conservatrice et patriotique également présente dans les réformes prévues pour l’éducation, où M. Fillon souhaite réintroduire l’uniforme, et revoir les contenus des cours d’histoire afin de les concevoir comme un « récit national », lui qui avait vanté les mérites du « partage de la culture française aux peuples d’Afrique, d’Asie et d’Amérique du Nord ». Ces penchants traditionalistes ont été pointés du doigt la semaine passée par Alain Juppé et bon nombre de médias avec lui, mais sur un autre sujet : celui du droit à l’avortement. Soucieux d’étouffer la polémique, François Fillon a déclaré qu’il ne reviendrait pas sur la loi Veille concernant l’IVG, bien que cette pratique ne fasse pas partie de ses valeurs morales. Soutenu par le mouvement Sens Commun issu de la Manif pour tous, il prévoit aussi de réécrire une partie de la loi Taubira pour interdire l’adoption plénière par les couples homosexuels, jugeant que les enfants adoptés doivent pouvoir conserver un lien de filiation avec leur père et leur mère d’origine.
L’écologie et l’Europe reléguées au second plan
Dans les 15 mesures phares de son programme, M. Fillon n’aborde à aucun moment la question de l’écologie, qui représente pourtant l’urgence n°1 pour la société française comme pour toutes les autres. Il entreprend néanmoins de supprimer le principe de précaution entré dans la Constitution en 2005, qui permet de prendre des mesures préventives même quand la preuve scientifique du danger pour la santé ou l’environnement n’est pas établie, l’accusant de blocage à l’innovation.
Plus étonnant, il n’évoque qu’une seule fois l’Union Européenne, et non pas pour une potentielle réforme, mais en matière d’agriculture, pour laquelle il souhaite supprimer les normes françaises surajoutées à la réglementation européenne.
Même lors des débats télévisés, l’avis des candidats sur ces deux sujets de la plus haute importance ont été très peu sondés. Christophe Georgeon, membre de l’UDI et soutien d’Alain Juppé, nourrit des regrets sur ce point : « Le sujet de l’Europe a été pratiquement absent des débats pendant la primaire alors qu’il sera crucial durant la campagne présidentielle, de l’extrême droite jusqu’à l’extrême gauche. D’autant plus que l’Angleterre a lancé la procédure pour pouvoir sortir de l’Union Européenne fin mars-début avril, soit presque en même temps que l’élection en France. » Par conséquent, François Fillon devra clarifier ses orientations et les potentiels changements qu’il souhaite opérer au sein de l’UE, afin de formuler une réponse à la sortie de l’UE que proposera à coup sûr Marine Le Pen.