Immersion dans le streetwear lyonnais. Épisode 1 : Retour sur les origines d’un phénomène

Lyon, ville de tradition, s’est avérée être un terreau fertile pour le streetwear. Cette culture a su créer ses propres codes, du vestiaire de sport à la banlieue, de l’habit à l’attitude.

Situé entre Paris et Marseille, à mi-chemin entre froideur du bitume et douceur des calanques, Lyon a toujours eu un rapport particulier au Hip-hop. Cette contre-culture a toujours montré gage de qualité auprès d’un public grandissant depuis le début des années 90. Aujourd’hui, des initiatives existent encore et toujours pour permettre à cette culture de vivre dans la mode et le textile notamment. Revenons sur l’héritage lyonnais laissé à cette génération de créateurs. Ces artistes « millénial » ont su perdurer, transformer cet Art qu’est le streetwear.

Le streetwear lyonnais entre banlieue et tradition

Poser le mouvement hip-hop dans son contexte à Lyon est à la fois simple et compliqué. Simple, car l’écosystème rap lyonnais est petit, mais compliqué car il est de niche. La ville connait actuellement un nouvel essor de la mode hip-hop. Pourtant, elle reste une ville de soyeux et de tisserands, qui a toujours eu un rapport plutôt conventionnel au textile. La contre-culture hip-hop qui émerge au début des années 80 devient grand public au milieu des années 90. Comme le disait si bien Booba dans le morceau La Lettre : « parait que l’industrie du disque a saigné, et que les négros arrêtent pas de signer ». Lyon n’échappe pas à l’émergence du Hip-Hop, grâce à ses grandes figures du rap : IPM, La Médina, La Bougnoul Smala, Casus Belli et Octopussy…

Le streetwear s’est imposé à la ville de Lyon bien qu’elle n’y était pas prédisposée. Valérie Bellaton, intervenante au sein de l’école d’art Condé, formant les futures générations de créatifs et designers lyonnais depuis vingt ans, partage cet avis. Pour elle, la ville n’a jamais été ouverte à quelque chose d’urbain : « Je dirais que Lyon est une ville qui est relativement classique, qu’on ne voit pas assez le Streetwear. Si vous regardez dans la rue, il n’est pas si présent que ça, on est assez bourgeois. A Paris, on va voir des profils complètement différents et beaucoup plus audacieux. À Lyon, il y a une certaine clientèle et des marques implantées depuis quelques temps comme Claudie Pierlot, Maje, Sandro… ». Pourtant, cette culture a le mérite d’exister depuis longtemps, et même à Lyon : « Une tendance comme le streetwear elle date des années 80, où le côté sport a basculé dans le prêt à porter : des baskets, des pantalons, des baggy, des matières un petit peu plus techniques avec des coupes qui sont spécifiques au sport qui ont basculé dans la rue ». Lyon est finalement à la mode ce qu’elle est à la cuisine, une capitale de la tradition : « Pourquoi Bocuse s’installe à Lyon, et implante son école de cuisine ? Parce qu’il a une cuisine ultra traditionnelle et qui correspond aux attendus de tables lyonnaises. Ici, cassez les codes, vous allez vous casser les dents ».

« Ce qu’il faut, c’est être unique »

Virginie Milliot, maitresse de conférences en anthropologie urbaine à l’Université de Paris Nanterre

Virginie Millot-Belmadani, sociologue lyonnaise, expliquait ce phénomène-là dès 1997, avec la publication d’une thèse, véritable manuel du hip-hop lyonnais. Elle y retrace l’Histoire de cette culture à Lyon. A travers ce projet, elle propose une réponse globale à la question du hip-hop lyonnais et évoque un thème qui nous intéresse plus particulièrement à travers ses 574 pages : la street culture. D’après son analyse, le mouvement hip-hop n’est pas considéré par les acteurs locaux et les pouvoirs publics. La banlieue a donc dû évoluer avec ses propres codes, en flirtant avec la violence. Les bboy, danseurs de la grande famille du Hip-Hop, et les graffeurs sont des figures du milieu constamment mis en concurrence dans leur propre domaine. La rivalité, saine au début puis totale à la fin, va jusqu’à pousser à « l’art de la dépouille ».

Désormais, chaque crew, chaque bande, doit dépouiller de ses vêtements son rival : « La dépouille visait essentiellement deux produits : les bombes, les vêtements, et parfois l’argent liquide». Pour Valérie Bellaton, il est d’autant plus intéressant de comprendre comment le bboy gravite autour de l’univers du streetwear : « Le sportwear et le streetwear ne sont pas la même chose, mais tout est lié. Les bboy et autres danseurs du mouvement hip hop ont piqué des vêtements dans le vestiaire du sport pour la rue. C’est de là que vient l’émergence autour du « street », de ce que l’on a appelé après le streetwear :  on retrouve un confort, un certain textile, un graphisme ».

L’aspect vestimentaire peut être un élément humiliant dans certains cas. Car pour le rappeur, l’habit fait le moine. A la fin des années 1990, le milieu répond de plus en plus à des critères, des normes. Virginie Millot-Belmadani a pu questionner Logik, autre référence lyonnaise du mouvement sur cette question « « Ce qu’il faut c’est être unique » me dit-il, et voilà qu’il déroule l’ensemble des normes de la vêture Hip Hop. Il faut construire son propre style dans la conformité d’un genre. Le « style » doit être suffisamment conforme pour marquer cette appartenance collective, et suffisamment « singulier » pour garder une valeur distinctive. Un certain nombre « d’emblèmes » ont ainsi été abandonnés dès qu’ils se sont propagés hors de ce premier cercle. Les vestes de sport avec capuche sont passées de mode, parce que « tout le monde » en portait. Or l’objectif c’est justement, de se distinguer de ce « tout le monde ». Mais cette logique valait également à l’intérieur de ce mouvement ».

Une culture codifiée

« THE GREEN BOOK », véritable manuel de bonne conduite du MC

Entre convention et transgression, la mode streetwear a avancé aussi vite que le hip-hop et les mœurs du Rap. Un groupe a particulièrement participé à codifier l’uniforme du rappeur à Lyon : la Zulu Nation. Dirigé par Afrika Bambaataa, un musicien afro-américain New Yorkais, le collectif international a écrit noir sur blanc dans un Green Book, la bonne conduite du MC : non-violence, solidarité, ne pas boire, ne pas fumer, lutter contre la drogue, respecter son prochain… Après cette vision purement philosophique, la sociologue se rend compte de la création de « signes extérieurs d’appartenance au mouvement Hip Hop ». Pour elle, ils sont un « ensemble baroque associant des symboles de la société de consommation, à des symboles de la culture d’origine. Différents insignes ont, un temps, symbolisé cette appartenance : chronomètres géants, insignes Mercédès, Africain, etc. Mais ce style évolue à mesure de sa réappropriation par d’autres milieux.

Ces signes extérieurs d’appartenance ont ainsi été abandonnés dès qu’ils se sont diffusés hors de ce premier cercle. S’il existe, vu du dehors, un style Hip Hop (vêtements amples, doudoune, baskets, bonnet ou casquettes…) les hip-hopiens ne connaissent d’autres règles que celle de la distinction ».

Se distinguer était important, mais pas au point de passer pour un pitre. L’habit pouvait être la cible d’attaques d’autres adversaires, en joute verbale ou entre collègues : « La parole se fait liens et frontières, elle attache et classe. Dans ce domaine de la « face », trois types de paroles doivent être appréhendées : les vannes, les ragots et les rumeurs. Dans l’ensemble des échanges de vannes auxquels il m’a été donné de participer, de manière « passive » ou active, le thème le plus fréquemment développé était celui de l’apparence, physique ou vestimentaire », précise la sociologue. Un thème intéressant quand on sait le devenir de ces formes d’affrontement rap, comme la grande épopée des Rap Contenders, ou autre émission du genre, dont le but était de descendre par tous les moyens son ou ses adversaires.

Les bases du streetwear lyonnais sont posées. Pour le prochain épisode nous passerons de la théorie à la pratique avec les acteurs de terrain. Rendez-vous la semaine prochaine.

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Tristan

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