Il Bill Boy, le traceur du rap libanais

Le précurseur du rap arabe à Beyrouth est revenu sur scène à l’occasion du premier festival RevolusonR. Stimulé par ces dernières rencontres à Lyon, ce citoyen du monde rêve de  donner sa chance à sa langue natale dans le hip-hop et se relancer avec un costume d’ambassadeur. Le MC revient sur un parcours hors du commun pour le LBB.     

il bill boyRappeur Libanais Rasta, la dénomination est étonnante à première vue…   

Oui, je rappe en arabe et je l’assume complètement. J’aimerai bien passer trois heures à écrire une chanson en français mais il y a embouteillage dans le carrefour. Pour moi l’identité est très importante même si je ressemble à un jamaïcain.

Quel sont les grandes lignes de ton parcours ? 

Il Bill Boy
Groupe (1995 à 2002) : 222 devenu ensuite Secteur B et Kita3 BeirutMembres : Baneli, Waldo, IL Billy Boy, RGB, TMC, 6KPrincipaux titres :Aballa marjallah (Arrête de te la racler)Btisskhal lech lhékéd (Tu te demandes pourquoi la haine)Baado Baado (Si loin, si loin…)

Farakméha bzid (Il m’a esquivé loin)

En 1996, j’étais DJ, je me produisais dans les bars, les boites de nuit et j’ai rencontré Baneli un artiste revenu en France après la guerre vers 1990  au quartier d’Achrafieh dans la banlieue Est de Beyrouth.

Avec Waldo que je connaissais depuis mon enfance, on a formé le groupe « 222 » en partant  sur une idée : la discrimination. Waldo qui faisait du beatbox n’avait même pas les papiers au Liban bien qu’il est né à Beyrouth !

Le nom du groupe s’est changé en Secteur B : un clin d’œil à Secteur A le grand groupe français des années 1990 et on a commencé à écrire en Arabe.

Nos histoires respectives liées à la discrimination a motivé notre cause. Au Liban, c’était dur de trouver un producteur honnête et on s’est lancé dans l’autoproduction. Ca restait donc du rap underground.

Les rencontres ont-elles générés des évolutions ?

Mark Akar, un ami m’a prêté un studio à Gemmayzeh-l’épicentre de la nuit libanaise-pour que je puisse m’entraîner à mon activité de DJ. J’ai organisé des évènements (soirées, expositions…) pour provoquer des rencontres avec les sponsors, les partenaires…J’invitais au studio des amis de Waldo, TMC et RGB qui faisaient du beatbox et sont devenus par la suite des membres du groupe. Nous nous sommes heurtés à l’incompréhension de l’état. Là bas, plein de monde croyait que le rap c’était un hobby. Vers 1998, le groupe s’est nommé ensuite Kita3 bey-route. En 2000, notre premier titre enregistrée s’intitulait Bisiret Lmusika (traduction : Discussion sur la musique). J’étais à l’époque incarcéré deux mois. Je n’ai pu donc participer à l’enregistrement. On m’accusait d’avoir provoqué un rassemblement en vu d’un coup d’état.  De 2000 à 2002, nous avons trouvé du matériel et commencé à faire connaître le rap arabe. C’est bien nous qui avons commencé malgré ce que prétendent certains MC comme Aks’ser qui ne parlaient même pas l’arabe. Il y a Abu Youssef qui a fait des titres commerciaux mais c’est tout.  Je suis passé à la télévision, à la radio. Les gens commençaient à être vraiment influencés.

« C’est le juge qui m’a donné mon nom de scène »

Au Liban, à quel point le système t’a fait souffrir ?

J’ai reçu des menaces des politiques et les autorités m’ont causé beaucoup d’ennuis. Ils voulaient que je me taise. Il y avait du mouvement grâce à moi dans les rues ce qui était tout de  même positif. On sortait et on se rassemblait avec les jeunes dans la rue. La police était toujours là pour me mettre sur le dos des combines. Je dois d’ailleurs mon nom de scène au juge car au début je m’appelais Billy Boy. C’est lui qui a rajouté la particule arabe « Il ». Mais je suis né en 1974 au début de  la guerre et c’est de la souffrance et de la mort dont j’ai le plus souffert.

Est-ce difficile de défendre la langue arabe dans le hip-hop ?

La langue arabe est internationale. Elle est portée par une si grande culture ! Je la défends ardemment en cherchant à ce qu’elle soit reconnue. Je me dis : « Pourquoi ne pas garder son authenticité ? Pourquoi la traduire ? » Le rap libanais est un rap arabe, on le trouve en Tunisie ou au  Maroc. Il faut être dedans pour le lancer comme cela a été fait pour le rap français ou US. Les gens ne sont pas encore habitués à écouter du rap arabe. Il n’a pas été produit comme il le fallait. Il ne faut plus le cacher. Et pour cela je ne peux pas m’engager tout seul.

« Les rappeurs de RevolusonR m’ont ouvert le cœur »

Que t’as apporté le dernier festival RevolusonR  ?    

Cet évènement m’a tellement fait plaisir ! Les organisateurs m’ont appelé pour remplacer des rappeurs absents et j’ai pu monter sur scène et participer à une émission à Radio Canut. Le thème de la révolution et le son ont réveillé des choses en moi et surtout l’envie d’un retour.

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Il y a aussi eu des rencontres marquantes avec les MC palestiniens et égyptiens Boykutt et Deeb. Mais aussi des retrouvailles avec mon compatriote DJ Sotosura que je connais depuis 2008. Ces artistes m’ont ouvert le cœur et poussé à revenir.

En France, ce sont les médias qui nous racontent les évènements terribles mais eux portent la vérité. D’après eux, c’est pire que ce qu’on imagine. La vie d’artiste n’est déjà pas rose, j’en sais quelque chose !

Y a –t-il assez d’initiatives de ce genre d’après toi ?  

Un évènement comme celui, il en faut plusieurs car 2014 ce n’est plus comme en 1990. Les idées partent vite avec internet et Facebook. Les rappeurs doivent se cadrer et ne pas s’éparpiller. Les organisateurs de RevolusonR  m’ont donné envie d’aller de l’avant de revenir et de chercher des talents qui se cachent notamment à Lyon. Le rap français avant 1995 était underground car le système n’en voulait pas. Skyrock les rejetait mais les artistes se sont organisés et mobilisés. Il y avait le Minitel à l’époque. Mais quand ces radios se sont rendu compte de cette mobilisation, les choses ont fini par changer.

Que penses tu de la scène hip-hop  locale ?

J’ai croisé les Minguettes Hall Starf, le groupe PM, Marechal quand il était un peu plus jeune par exemple. Même au Transbordeur, j’ai fait des rencontres notamment avec Saian Supa Crew ou des membres du Wu Tang Clan . Les artistes locaux ont bien plus de talents que les artistes internationaux mais ils sont complètement écrasés par un système commercial. Et c’est trop mauvais pour le hip-hop. Ce n’est pas pour rien que Marechal est parti enregistré son album Barbare en 2008 à Paris !

Quels sont tes projets ?

C’est avant tout de retrouver la scène. Il faudra que je retourne au Liban pour aider des gens au niveau culturel ce que j’ai essayé faire ici en vain dans un système qui ne m’a pas accepté. Je lance un appel à tous ceux qui ont envie de faire quelque chose de positif.  Tout seul je ne peux rien faire. J’ai laissé des chansons en archives avec un centimètre de poussières. J’ai perdu tout ce temps avec mes obligations familiales et les autres difficultés. Je suis resté en inactivité durant six ans mais j’ai été animateur. En France, pour s’en sortir, c’est plus difficile car au Liban ça se jouait beaucoup au piston. Même ici d’ailleurs…

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Mohamed Braiki

Natif de Lyon et enfant des Minguettes, je suis diplômé de Lettres de la Fac de Lyon 2 et l’EFAP Rhône Alpes. J’ai roulé ma bosse dans des rédactions lyonnaises comme la radio Lyon Sport 98.4, Le Progrès, Foot 69.fr, Tribune de Lyon et Lyon Capitale. braikimohamed@yahoo.fr

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