Education sexuelle en milieu scolaire : “Il faut qu’il y ait une prise de conscience collective.”

Les cours d’Éducation Affective Relationnelle et Sexuelle – EARS – sont obligatoires en milieu scolaire et pourtant souvent oubliés. Paradoxe d’une société imbibée de sexualité mais qui a du mal à en parler.

Crédits : Markus Winkler

Le sexualité est omniprésente dans notre société, notamment à travers les séries, films, publicités et clips musicaux. Toutefois, un certain tabou semble empêcher de l’aborder sous l’angle éducatif. La loi 2001-588 du 4 juillet 2001 stipule que les cours d’éducation sexuelle doivent se tenir de la primaire au lycée au moins trois fois par an pour chaque classe. Au vu du non-respect de cette obligation, Marlène Schiappa et Jean-Michel Blanquer ont envoyé une circulaire le 12 septembre 2018 à tous les recteurs de France afin qu’ils appliquent la loi de 2001 avec plus de rigueur. Néanmoins, encore aujourd’hui, les cours d’Éducation Affective Relationnelle et Sexuelle – EARS – n’ont pas toujours lieu à la fréquence imposée par le gouvernement. 

Constance Pons fait partie du réseau RES’P – Réseau d’Education Sexualité et Prévention – dans l’agglomération lyonnaise. Karine Mathieu est, quant-à-elle,  membre de l’EDEV – Équipe Diocésaine des Éducateurs à la Vie – à Bourg-en-Bresse. Toutes deux sont éducatrices à la vie ainsi que conseillères conjugales et familiales. Elles interviennent donc en milieu scolaire pour des cours EARS. On intervient plutôt dans les établissements privés car les publics n’ont pas assez d’argent. Les publics font plutôt appel aux centres de planification qui sont gratuits car gérés par le département. Mais les centres de planification ne sont pas nombreux donc il y a énormément d’établissements qui ne peuvent pas assurer les heures obligatoires.” soulève Constance.

Internet et la libre circulation d’images à caractère pornographique impactent les jeunes.

Selon un sondage de l’OpinionWay paru en avril 2018, en France près d’un enfant sur trois a déjà été exposé à du contenu pornographique à l’âge de 12 ans. Un chiffre qui semble continuer d’augmenter avec la généralisation d’internet et du smartphone chez les jeunes. Constance indique que “La première fois que les jeunes voient du porno ce n’est pas forcément de manière volontaire. A ce moment-là, ils sont dégoutés mais ressentent aussi du plaisir. Ils tombent facilement là dedans, c’est tellement facile d’y retourner.”. Pourtant, les conséquences psychologiques et affectives de cette exposition sont dramatiques, le gynécologue Israël Nisand parle de « viol psychique ». Les images pornographiques s’inscrivent dans le cerveau et impactent la future sexualité.

D’une part, la pornographie engendre des normes : «Les parents ne mesurent pas, révèle Karine. Le porno est devenu une norme, un modèle qui envahit et déborde. Les enfants et adolescents pensent que le sexe est une performance. Il faut réussir à leur faire comprendre que non, c’est plus beau que ça. Il faut qu’il y ait une prise de conscience collective. » D’autre part, la pornographie peut provoquer des angoisses selon Constance “Beaucoup de filles ont peur de rentrer dans la sexualité quand elles voient ces images. Ça ne leur donne pas envie et leur provoque une certaine angoisse. Elles se demandent si elles sont obligées d’en passer par ces pratiques là, et jusqu’où elles sont obligées d’aller.” Face à ces peurs et ces visions biaisées de la sexualité, les cours d’EARS prennent toute leur importance : « Il faut parler du porno comme on parle de la météo. Briser le tabou ». Le but est d’accompagner les élèves afin qu’ils comprennent que le porno ne représente pas la réalité, et qu’ils arrivent à s’en détacher.

Sondage de l’OpinionWay réalisé en avril 2018 sur un échantillon de 1179 personnes âgés entre 18 et 30 ans.

Apprendre les notions de consentement, de respect de soi et de son corps.

Le comportement de certains élèves alarme les parents et les enseignants. Mettre en place des cours d’éducation sexuelle et relationnelle leur paraît alors d’autant plus nécessaire. «C’est fréquent que des filles fassent des fellations à des garçons dans les toilettes pour 5 euros. Ça se passe dans la plupart des collèges, c’est le grand classique d’aujourd’hui » expose Karine. Selon elle, ces jeunes filles subissent ces pratiques pour plaire ou pour prouver qu’elles sont capables de le faire. Il n’est pas sûre qu’elles soient vraiment consentantes. La notion de consentement est donc enseignée de manière approfondie par les éducatrices, qui tentent de prévenir les agressions et le harcèlement sexuels. 

Les cours EARS visent également à apprendre le respect de soi et de son corps avec le réseau RES’P : “On essaye d’axer nos interventions sur « Qui suis-je ? », en travaillant  sur ces 3 notions : je suis un corps, un cœur, et un cerveau. Une dimension qui ressent, qui a des sentiments et qui réfléchit. On apprend aux élèves à être uni dans les trois, surtout lorsqu’ils prennent une décision.” L’éducatrice insiste aussi sur le caractère intime de la sexualité, qui n’a pas à être dévoilé. En effet, avec les nouvelles technologies de nombreux jeunes envoient leur corps dénudé en photo : “Ca peut faire mal lorsque l’intimité est dévoilée. Elle peut être salie. Il y a des jeunes qui sont obligés de changer de collège à cause de ça”.

 

Logo de l’Association RES’P

Les enfants et adolescents ont besoin d’être écoutés.

Pour pouvoir écouter au mieux les élèves et les mettre en confiance, les cours EARS se déroulent en petit groupe et généralement en non mixité. Pour débuter, les éducateurs font connaissance avec les élèves et commencent à aborder les thèmes essentiels. Ensuite, ils permettent aux élèves d’écrire des questions anonymes en milieu de séance auxquelles ils répondront par la suite. “Ce qui touche beaucoup les jeunes, c’est qu’ils ont très peu l’occasion de parler avec des adultes de ces questions de sexualité, et encore moins de manière sérieuse. C’est tellement banalisé, déplore Constance. On dit que ce n’est que du plaisir, or il y a beaucoup d’angoisses liées à la sexualité. Il faut prendre le soin d’entendre les questionnements individuels de chaque jeune.” 

Dans la circulaire de 2018, l’Éducation nationale affirme clairement que « Cette éducation à la sexualité ne se substitue pas à la responsabilité des parents et des familles. » Pourtant, le tabou de la sexualité persiste et certains parents se retrouvent démunis pour aborder ce sujet. Constance conseille de ne pas parler de la sexualité comme d’un «mode d’emploi», car les adolescents apprendront par eux mêmes au cours de leurs expériences sexuelles. Il faut par contre utiliser les vrais mots, sans détour. L’important est d’éduquer au respect de son corps et de celui des autres, tout en respectant la pudeur de l’enfant. “Certains parents n’en parlent pas du tout et puis tout d’un coup ils voient leur enfant grandir et ils lui filent une boîte de préservatifs. C’est violent pour le jeune. Ça a besoin d’être accompagné.” 

Le 9 février 2021, le gouvernement a lancé un site pour aider les parents à protéger les enfants des contenus à caractère pornographique en leur fournissant des conseils et outils. En espérant que ce site soit le témoignage d’une prise de conscience collective face à l’importance de l’éducation sexuelle chez les jeunes.

 

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