Prison : « Des moments en français » avec les femmes de la Maison d’Arrêt de Corbas

« Sans parler français, les détenues peuvent survivre, mais ça reste de la survie »

Kim3

Toi qui as fait un mémoire sur le sujet, à quelles difficultés les détenues qui ne parlent pas français se heurtent dans leur vie carcérale ?

Il y a un réel isolement, dont elles ne se rendent pas forcément compte. C’est même un double isolement puisque si elles trouvent d’autres femmes de la même nationalité, elles ne vont rester qu’avec elles et vont passer à côté de plein de rencontres. Ensuite, ça veut dire qu’elles ne peuvent pas travailler parce qu’il faut pouvoir comprendre les ordres du chef. Donc elles ne gagnent pas d’argent, donc elles n’améliorent pas leur quotidien. En fait c’est ça : sans parler français, elles peuvent survivre, mais ça reste de la survie. Il y a un effet boule de neige derrière qui est vraiment important et ça peut aller jusqu’au chantage. En prison, tout passe par l’écrit : si tu veux un rendez-vous chez le docteur, si tu veux un rendez-vous avec le chef de bâtiment. C’est une problématique qui touche aussi les analphabètes et les illettrés. Du coup, si une détenue veut se faire écrire une lettre par une autre détenue, elle va lui demander des clopes, ou un Snickers. Il y a une négociation qui peut aller jusqu’au chantage ou à la moquerie. On ne se rend pas compte, mais ce sont des choses difficiles.

Concrètement, comment se déroulent tes interventions ? Est-ce que par exemple tu es seule avec les détenues ?

Oui, je suis seule avec elles, la porte est presque fermée. On a une alarme sur nous qu’on peut déclencher si jamais ça se passe mal. Personnellement, je n’ai jamais eu à m’en servir pour la simple et bonne raison que pour les filles, c’est une bouffée d’air pur. S’il m’arrive quelque chose, je n’interviens plus et l’atelier est supprimé. Donc il ne m’arrivera jamais rien et c’est toujours très tranquille, c’est aussi détendu que les cours que je donne à la fac.

Justement, est-ce que tu notes des différences entre tes cours classiques et tes cours en milieu carcéral ?

Il existe différents établissements pénitentiaires en France. Selon les textes d’application des peines, le schéma de détention s’articule ainsi :

⁃  Les maisons d’arrêt (comme à Corbas, où intervient Kim) accueillent les détenus en attente de leur procès, ainsi que les détenus condamnés à une peine de prison inférieure à deux ans.

⁃  Les établissements pour peines, qui accueillent les détenus condamnés à des peines longues, supérieures à deux ans. Ces établissements pour peines englobent d’autres types d’établissements : les centres de détention (consacrés aux détenus ayant de bonnes perspectives d’insertion, comme à Rouanne), les maisons centrales (particulièrement axées sur la sécurité), les centres de semi-liberté et les centres pénitentiaires (des établissements de grande taille comme à Bourg-en-Bresse).

⁃  Les établissements pour mineurs (comme celui de Meyzieu)

⁃  L’établissement public de santé national de Fresnes, réservé à l’hospitalisation des personnes en détention. L’établissement est géré par un directeur pénitentiaire.

Dans la réalité, les détenus ayant accès aux maisons pour peines sont ceux ayant un reliquat de peine entre 2 et 5 ans. Et les maisons centrales sont destinées aux reliquats de peine excédant 5 ans. Ex : Un détenu non condamné ayant attendu deux ans une date de jugement et ayant ensuite été condamné à 4 ans aura un reliquat de peine de moins de 2 ans et effectuera donc quasiment 4 ans en maison d’arrêt.

Non il n’y a pas de différence. Je n’aborde pas les mêmes thématiques, mais la forme reste la même. Les détenues vont tout autant parler que les étudiants de la fac, elles sont tout autant entreprenantes, elles font les mêmes erreurs. C’est très similaire.

Est-ce que tu utilises une méthodologie d’apprentissage du français particulière pour les détenues ?

Non, c’est plutôt le fond qui est différent ; à la fac, j’apprends à mes étudiants comment remplir des formulaires d’inscription à la fac par exemple. Les filles de la Maison d’Arrêt, elles n’iront jamais à la fac. Mes étudiants s’intéressent beaucoup à la culture française, savoir pourquoi un jour est férié… Mes filles, elles ont besoin d’un français pratique, à la limite les jours fériés oui ça les intéresse, mais si on a du temps en plus, ça ne va pas être une priorité. Ce ne sont pas les mêmes besoins.

Tu as l’impression que les contenus de vos ateliers sont complémentaires aux contenus des profs de l’éducation nationale ?

Cette année, le prof de l’éducation nationale m’a envoyé son programme, ses objectifs, ce qu’il souhaitait travailler. Il m’a demandé si je pouvais venir en appui de son programme, en m’indiquant les objectifs des filles, en me disant qu’une telle comptait passer tel examen… mais c’est une mesure qui est nouvelle, l’année dernière il n’y avait pas cette confiance. Cette année on m’a vraiment fait confiance, on m’a même proposé un magnétophone, un ordinateur… j’étais surprise !

« Ce que je fais, ce sont des moments en français »

Tu as un temps d’échange avec les détenues durant tes interventions ?

Ah mais totalement ! Ce n’est pas du tout scolaire, j’arrive avec des activités, des mises en situation et si je vois que les besoins de la journée ne sont pas ceux-là, je modifie ce que j’avais prévu. Ce matin j’avais prévu qu’on travaille sur la bande dessinée et finalement, une fille m’a demandé comment on disait le poignet et on est parties là-dessus : on a fait un grand dessin et je leur ai appris le nom des parties du corps. Ce qui diffère c’est qu’à la fac, c’est moi qui décide du cours, je le prépare et je le fais. À la Maison d’Arrêt, je suis complètement à leur service même si elles ne s’en rendent pas compte. Mais c’est pas du tout scolaire : l’année dernière par exemple, un jour on rigolait tellement que la surveillante et le chef de bâtiment ont débarqué en pensant qu’il y avait une baston. À ce moment il y a une chose assez fantastique qui s’est passée, c’est que les filles ont continué de rire et tout le monde s’est mis à rigoler ! En fait, ce que je fais ce sont des moments en français.

Est-ce que les détenues te font des retours sur tes ateliers ?

Oui, elles sont très contentes. Cette année surtout, car elles ont toutes l’objectif de passer des examens, différents car elles n’ont pas le même niveau. Elles reviennent chaque semaine donc c’est vraiment agréable. L’année dernière par contre, on avait une femme qui voulait qu’on lui fasse des cours, qu’on soit des profs, elle voulait une relation totalement asymétrique. Là on ne pouvait pas répondre à son souhait, car ça va contre notre engagement de se positionner en professeurs. Elle nous avait expliqué que ça n’était pas ce qu’elle voulait et qu’elle ne souhaitait pas revenir.

Est-ce que tu sais pour quel motif les détenues sont incarcérées ?

Non, on ne le sait pas, car on ne veut pas. Ça arrive que des détenues aient envie de nous en parler, moi je ne les censure pas : si elles ressentent le besoin de me le dire, j’accepte. Ce n’est pas une position qui est unanimement partagée au sein du Genepi. Quand on commence nos ateliers, on a un petit speech à dire dans lequel on leur explique qu’on est indifférents au passé pénal. C’est un point sur lequel on insiste : peu importe ce qu’a fait la personne, ça ne nous regarde pas.

Leur apprendre le français, c’est aussi les préparer à une future réinsertion, préparer leur sortie. Comment l’envisagent-elles ?

Oui elles y pensent, ce sont toutes des adultes, conscientes qu’un avenir, ça se prépare. Et puis les femmes que j’ai ont toujours travaillé, elles avaient même de bonnes situations, elles sont conscientes de tout ce que comporte la réinsertion. Après, nous on n’en parle pas, parce que ça ne nous vient pas à l’esprit. On est plutôt dans l’instant présent.

La question de la réinsertion est donc plutôt confiée à d’autres associations dédiées à cela…

Oui, chaque détenue a un SPIP [un conseiller du Service pénitentiaire d’insertion et de probation, NDLR], cette personne est en charge de les aider à trouver un logement, un travail, voire d’organiser le retour dans leur pays d’origine. Il faut savoir que souvent, quand une personne étrangère est condamnée, sa condamnation est accompagnée d’une obligation de quitter le territoire.

Tu ne penses pas que c’est pour cette raison qu’il y a des détenues qui ne souhaitent pas apprendre le français en cours de détention ?

Oui, complètement. C’est ce que j’avais essayé de montrer dans mon mémoire ; il ne faut pas oublier que la langue française est celle qui les a condamnées. Je comprends qu’on n’ait pas envie d’apprendre la langue qui vous a condamné à vivre entre quatre murs, loin de votre famille et de ceux que vous aimez. Elles peuvent se demander : pourquoi apprendre le français alors que la France m’a condamnée et que dans trois mois je vais me faire expulser ? Je conçois le fait qu’il puisse y avoir un blocage. Après, je ne parle pas en leur nom, mais j’essaie de comprendre.

 

 

 

 

Marie Albessard

mariealbessard@yahoo.fr

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