Présidentielles 2022 : le vote Mélenchon dans les banlieues lyonnaises, une interprétation plurielle

Alors qu’au soir du premier tour de l’élection présidentielle J.L Mélenchon a remporté les suffrages dans nombre de communes de la banlieue lyonnaise, le Lyon Bondy Blog s’est interrogé sur les raisons d’une telle dynamique. Des élus locaux et un politologue nous ont éclairés sur les ressorts de ce vote, dont la compréhension s’avère cruciale pour les législatives.

Au soir du premier tour de l’élection présidentielle, un phénomène aura marqué les esprits : la reconquête d’une nouvelle « banlieue rouge » par Jean-Luc Mélenchon. Elle est bien entendu parisienne, mais Lyon n’est pas en reste : l’Insoumis est arrivé en tête dans les anciens bastions communistes ou socialistes des communes périphériques. Son score était majoritaire à Vaulx-en-Velin (54,94%) et Saint-Fons (53,65%) et a survolé les 40% à Vénissieux (48,79%) et Givors (44,89%). Il a dépassé les 30% dans 5 communes dont Villeurbanne (37,88%) et Bron (32,02%). Comment expliquer ces résultats qui promettent de rudes batailles pour choisir les candidats de gauche aux législatives ? Nous avons posé la question à des élus locaux de gauche issus de La France Insoumise (LFI), d’Europe Écologie Les Verts (EELV) et du Parti Radical de Gauche (PRG). Le politologue Paul Bacot, enseignant-chercheur à Science Po Lyon, complète l’analyse.

« On a fait campagne sur un programme qui a redonné de l’espoir aux classes populaires »

Au sein de la métropole lyonnaise, les scores de Jean-Luc Mélenchon sont bien meilleurs qu’en 2017, où il remporte 18 communes  dont 5 arrondissements lyonnais. On remarque parallèlement que l’abstention a reculé dans certaines villes qui l’ont plébiscité (Vaulx-en-Velin, Vénissieux, Rillieux-la-Pape, Givors, Grigny, Pierre Bénite). Pour Idir Boumertit, adjoint LFI à la mairie de Vénissieux et conseiller métropolitain, « il est en train de se passer quelque chose de nouveau. On aurait pu penser que la participation allait être catastrophique. On a fait campagne sur un programme qui a donné de l’espoir à ces classes populaires, l’espoir qu’on pouvait passer à autre chose ». En 2017, à Vénissieux, Jean-Luc Mélenchon avait récolté 35,73% des voix quand 33,84% des électeurs s’étaient abstenus. Cette année, l’abstention a baissé de deux points (31,50%) quand 48,79% des inscrits ont soutenu l’Union Populaire. D’après Benjamin Badouard, conseiller métropolitain écologiste et co-président du groupe à la métropole, Jean-Luc Mélenchon a notamment « capté sur la question du pouvoir d’achat ».

Témoignage

Une aide-soignante Vaudaise de 47 ans déclare « On croit souvent que dans les banlieues, il n’y a pas beaucoup de gens qui travaillent, mais en fait, il y en a beaucoup, et notamment des gens qui font des métiers difficiles. Les gens qui ont voté pour Mélenchon, c’est avant tout pour son programme pour les travailleurs ».  

Cette adhésion des classes populaires est ce qui a manqué aux autres partis de gauche, notamment les écologistes qui dirigent la Métropole et la ville de Lyon. « Mélenchon est très bon là-dessus, tant mieux, concède Benjamin Badouard, C’est un électorat qui s’abstient très souvent, qu’un candidat de gauche aille le capter, c’est une très bonne chose.Nous, il faut qu’on progresse sur ce point, pour mieux montrer que notre programme est dans le fond très social ». Néanmoins, à l’échelle nationale, sur son score de 21,05%, plus ou moins 10% seraient un vote utile à gauche. « Le surcroît de vote de Mélenchon, c’est deux strates : le vote proprement Mélenchon et petit à petit, dans les dernières semaines, le vote utile, qui a amené une série d’électeurs pas du tout mélenchonistes. Dans le marasme général de la gauche, ils se sont dit que c’est lui qui s’en sortirait le moins mal. On ne peut pas analyser ces deux électorats de la même façon, ce serait une erreur pour Mélenchon de le faire, qu’il ne commet pas, de le considérer comme un vote d’adhésion », déclare Paul Bacot, politologue à Science Po Lyon.  

Au-delà de la mobilisation pour le pouvoir d’achat, « la haine anti-macron » et le rejet de l’extrême droite

Pour Latifa Oulkhouir, directrice du Bondy Blog de Paris, « Il y a un ras-le bol de la manière dont le gouvernement sortant a stigmatisé les habitants de ces quartiers. Il n’a pas fait grand-chose pour eux ». Alors que Jean-Luc Mélenchon a obtenu 49% des voix en Seine-Saint-Denis, le résultat traduit d’après elle « un ras-le-bol et presque une détestation du président sortant ». Un constat partagé par Idir Boumertit : « Macron, « le président des riches », ça rentre, parce que c’est la vérité. On dit que le chômage a baissé, mais l’emploi ne profite pas forcément à ces personnes-là : sur le plateau des Minguettes, le chômage est très important, notamment chez les jeunes ». Le politologue Paul Bacot, quant à lui, n’hésite pas à parler de « haine anti-macronqui est rare et qu’on n’a jamais connue », notamment à cause des choix politiques au début de son quinquennat et de son attitude ressentie comme méprisante : « Il y a un rejet très fort, à la fois pour des raisons matérielles, symboliques et psychologiques. Cela vaut pour toute la population, notamment pour ceux qui sont les plus éloignés des riches en question, par exemple les jeunes des milieux populaires».

D’après Paul Bacot, ce rejet de Macron ne suffit pas à expliquer le vote en faveur de Mélenchon dans les quartiers populaires. « Incontestablement, une des caractéristiques d’une bonne part des quartiers populaires, c’est la variante religieuse, qui manifestement a joué un rôle. Clairement, Mélenchon est apparu comme celui qui posera le moins de problème pour les musulmans, pour le dire très schématiquement, ce qui lui a valu des ennuis avec une partie de l’électorat de gauche, qui l’a accusé de ne pas être suffisamment laïque ».  Le vote doit également être considéré par un prisme économique et social : « La classe ouvrière d’aujourd’hui n’est plus la classe ouvrière d’il y a 40 ans où 50 ans : dans une proportion importante, elle est d’origine maghrébine, donc souvent de culture et de religion musulmane », précise-t-il.

Témoignage

Le témoignage Fatia, 73 ans, retraitée vaudaise portant le foulard, montre la complexité des choix de vote. Vivre dans un quartier populaire ne signifie pas forcément haïr Macron, ni voter selon des considérations uniquement religieuses. Des variables d’âge, par exemple, rentrent en compte. « On était bien Mélenchon », nous a-t-elle confié en riant, « parce qu’il va avec toutes nos idées, tous nos principes ». Mais elle s’est empressée d’ajouter : « moi j’aimais bien Macron aussi, il fait tout ce qu’il peut pour la guerre en Ukraine, il s’occupe bien des retraités. Mes enfants d’une cinquantaine d’années préféraient Mélenchon. Seule ma fille a voté blanc. Au second tour, ils iront voter Emmanuel Macron, parce que vous comprenez, leur maman porte le foulard. Les idées que Marine Le Pen véhiculent me font peur ». A Vaulx-en-Velin, Marine le Pen a récolté 28% des voix au second tour, soit 13 points de moins que son score national, mais l’abstention était de 50%.

Le politologue insiste sur le fait que les questions de laïcité risquent d’impacter les discussions d’alliance à gauche : « Est-ce que pour intégrer politiquement, notamment à la gauche, la classe ouvrière, il faut en passer par des discours conciliants par rapport à certains discours et certaines pratiques de la population musulmane,c’est une grande question aujourd’hui. ». L’approche de Jonathan Bocquet, adjoint chargé de la démocratie à Villeurbanne et membre du PRG le confirme : « Ce qui est sûr, c’est que LFI et Jean-Luc Mélenchon ont tenu un discours résolument anti-RN, ils ont battu le fer avec le RN de manière volontariste, au risque parfois de sortir du discours républicain, en particulier le discours universaliste ».

La réponse d’Idir Boumertit aux polémiques

Idir Boumertit avait répondu aux accusations d’un « vote communautaire » musulman. Voici un extrait d’un post Facebook, daté du 17 avril 2022.

« (…) Oui, les villes populaires, les banlieues, les quartiers défavorisés ont massivement choisi le bulletin Jean-Luc Mélenchon. Mais, pas parce qu’il promettait la république islamique ou l’annulation de la loi de 1905 de séparation de l’église et de l’État (la laïcité). Non. Jean-Luc Mélenchon a su simplement exprimer pour les habitants des villes populaires de la considération et porter des propositions susceptibles de les aider à vivre mieux.(…) Les citoyens de confession musulmane (ou supposée telle) sont aussi divers que l’ensemble des autres citoyens de notre pays. Leur vote se porte sur un candidat et un programme dont ils peuvent penser qu’il est bon pour le pays. Pourquoi le considérer sous l’angle religieux ? Qui peut dire si Farid ou Jamila croit ou ne croit pas, à quoi il croit ou ne croit pas, ce qu’il pratique ou ne pratique pas ? Moi, je sais en tout cas qu’ils ne veulent pas et ne doivent pas être assignés à la dimension spirituelle de leur personne, quand il s’agit de voter pour un président de la république ! L’assignation à résidence dans les mêmes quartiers ne suffit-elle pas à les stigmatiser ? (…)  »

La campagne numérique de l’Union populaire, à l’origine d’un éveil politique chez les jeunes ?

Ilyes Ramdani, ex-rédacteur en chef du Bondy Blog parisien, s’était réjoui sur Twitter d’avoir remarqué « des visages rarement vus dans les bureaux de vote » dans le 93. LFI pointe une mobilisation exceptionnelle des jeunes en leur faveur, qui aurait permis de relever la participation, chiffres à l’appui : Mélenchon est arrivé en tête chez les 18-34 ans au premier tour. La même dynamique était-elle visible dans les bureaux de vote de l’est lyonnais ? Idir Boumertit l’affirme : « Une nouvelle population s’est déplacée pour aller voter, des jeunes qui s’intéressent à ce qui se passe. Une nouvelle catégorie a été mobilisée par la campagne, par l’idée que le vote peut changer les choses et leur avenir ».

Témoignage

Une jeune habitante de Caluire de 25 ans croisée à Vaulx-enVelin, témoigne : « J’ai voté pour Mélenchon. La construction du programme semblait plutôt solide, il y avait une justification derrière chaque mesure. Il y avait beaucoup de mesures qui correspondaient à mes valeurs, comme l’écologie, le social, l’aide aux étudiants. Je pense qu’il y a un aspect social dans son programme et une plus grande humanité, et il y a une reconnaissance de ses idées dans les banlieues  parce qu’il apporte une vrai solution »

Idir Boumertit soutient que les réseaux sociaux ont contribué à « une politisation nouvelle » voire à un « éveil ». L’avance de LFI en termes de communication numérique est souvent soulignée. Jonathan Bocquet, adjoint chargé de la transition démocratique à Villeurbanne, docteur en science politique et membre du PRG, « reconnais à l’Union populaire d’avoir en partie su réenchanter le politique ». Cependant, il reste nuancé sur la question d’une nouvelle conscientisation politique grâce à la stratégie numérique de LFI : « Jean-Luc Mélenchon a eu une vraie stratégie numérique qui a permis de toucher les jeunes qui sont peu présents sur les médias traditionnels, mais c’est exagéré de parler d’éveil, a fortiori chez les jeunes précaires, qui restent très peu présents dans l’électorat ». Pour Paul Bacot, « quelque chose s’est probablement joué à ce niveau-là » mais il précise « qu’il est difficile d’objectiver tout cela immédiatement ».

Cette amorce de reconquête des milieux populaires annonce-t-elle un renouveau des forces de gauche vers un discours plus militant et un positionnement affirmé contre le capitalisme ? Les résultats des prochaines élections législatives nous apporteront une première réponse. Mais avant cela, il faut voir si les forces de gauche plurielle sont capables de se réunir sous une seule bannière, c’est ce que nous traiterons dans notre prochain article.

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