Si aujourd’hui la soie est moins utilisée qu’à l’époque, il n’en reste pas moins que Lyon a acquis, au fil des siècles, un savoir-faire reconnu mondialement. De son introduction par Louis XI en passant par François Ier ou encore Napoléon, de nombreux souverains ont favorisé l’émergence et le développement de l’un des joyaux du patrimoine de l’ancienne capitale des gaules.
L’art de la soie ne date pas d’hier, mais en comparaison avec la Chine qui la connaît depuis longtemps (apparition au XIe siècle avant J.-C.), son histoire en France est plus récente. Elle débute à la fin du XVe. À cette époque, la France s’approvisionnait principalement en Italie, bien que des essais ont été expérimentés : « Il y a eu un premier essai sous Louis XI qui n’a pas fonctionné. Puis il a été un temps oublié puis remis à jour par François Ier. La soie utilisée jusque-là, était une denrée très chère qui provenait de l’Extrême-Orient. Face à cela, les rois de France ont décidé qu’il fallait que cette soie, qui arrive en France, soit contrôlée par eux. Ils estimaient que c’était une source de revenus garantissant un enrichissement rapide. » explique Jean Etèvenaux, journaliste et historien de la ville de Lyon.
Cette denrée qui empreinte les premières routes de la soie sera par la suite produite sur le sol français, sous ordre de Louis XI en 1466. La ville de Lyon est choisie pour sa proximité avec l’Italie et pour ses foires annuelles. Cependant, c’est sous François Ier que la soie lyonnaise se développe avec des objectifs parfaitement identifiés. « Le monopole offert à la ville de Lyon a permis de casser une importation de la soie venant d’autres endroits et qui transitait par l’Italie ou encore Genève. Très vite, le Roi s’est lancé le pari de produire cette soie à Lyon ou du moins dans la région lyonnaise. Un pari qui se révélera gagnant puisque bientôt, c’est toute la vallée du Rhône qui se mit à cultiver des Mûriers. » raconte Jean Etèvenaux.
Un savoir-faire et une proximité à acquérir
Le développement de la soie fût très rapide, à tel point que le savoir-faire ne suivait pas toujours. « Les rois de France ont rapidement souhaité contrôler la production de la soie, un contrôle pas aussi évident qu’il en avait l’air. Les paysans de l’époque ne disposaient pas du savoir-faire nécessaire pour cultiver le mûrier ainsi que la sécrétion produite par le Bombyx, l’insecte à l’origine des fils de soie. Pour cela, il faut des techniques spéciales, que les rois de France vont directement importer depuis l’Italie » confie Jean Etèvenaux. François Ier va, par conséquent, faire appel à des fabricants italiens, originaire de la Toscane, pour produire les premières soies françaises.
Si le savoir-faire italien était nécessaire, la proximité est également un atout majeur pour la France. « Sous Louis XI, l’industrie de la soie avait déjà été proposée aux Lyonnais qui avaient décliné l’offre. La production avait alors été proposée à Tours, mais n’avait pas pris. On a alors redemandé à la ville de Lyon qui a cette fois-ci accepté. Sa situation géographique était un véritable atout pour dialoguer avec les Italiens et plus précisément les Savoyards. La frontière avec l’ancien duché n’était qu’à une centaine de kilomètres et permettait un accès direct à l’Italie. »
La renaissance à Lyon sera donc marquée de son empreinte par ces Italiens qui vont devenir lyonnais. Ces derniers vont pleinement s’investir dans la production et dans le commerce de la soie, mais également dans d’autres domaines. Un business d’autant plus rentable puisqu’en 1540, Lyon obtient le monopole de l’importation des soies dites « grèges » (c’est-à-dire brutes). À cette époque, ce n’est pas moins de 12.000 personnes qui vivent grâce au tissage à Lyon. Leurs bâtiments vont être construits, dans un premier temps, le long de la Saône, dans le Vieux Lyon.
Une production importante et des difficultés à venir
Dès lors, l’industrie lyonnaise va se mettre à produire tous types de manteaux, parures et autres tissus pour le mobilier. Les matériaux utilisés sont divers tels que le satin, taffetas, velours, draps d’or et d’argent. Peu après, la mécanisation du métier se mit en place grâce « à la grande Tire » (structure innovante facilitant le travail des tisseurs). C’est l’époque de la « Grande Fabrique » du XVIIe au XVIIIe siècle, grâce aux multiples commandes royales. La soie était la base de la richesse de l’économie lyonnaise. « La soie est vue comme le vêtement le plus riche qui soit. C’est également le tissu des ameublements. Ce tissu va être beaucoup utilisé par Louis XIV et notamment pour son « garde meuble royal » qui a pour but de décorer l’ensemble des résidences »
À partir du XVIIIe siècle, l’industrie de la soie marque un coup d’arrêt notamment à cause des multiples deuils survenus à la cours du roi Louis XIV. La consommation de la soie en France étant de plus en plus difficile, les fabricants (ils ne sont pas encore appelés canuts) décident d’exporter leurs marchandises.
En 1786 et sous l’impulsion du retour à la nature de Jean-Jacques Rousseau, la reine Marie-Antoinette délaisse la soie lyonnaise. De plus, les multiples aléas climatiques de cette fin de siècle conjugués aux pénuries alimentaires, engendrent une crise chez les tisseurs et provoquent une émeute en 1786. Pourtant, le métier attire toujours, en 1788, soit deux ans après les révoltes, on comptait 15.000 tisseurs et 28.000 personnes dans le domaine.
Puis vient la Révolution française et la guerre civile qui impacta grandement les métiers à tisser. « Alors que les Jacobins prennent le pouvoir à Paris, Lyon va se placer sous la tutelle des Girondins, plus modérés. Un acte qui aura du mal à passer auprès de l’Assemblée nationale qui va réprimer la population lyonnaise. Elle est divisée par deux, passant de 100 000 à 50 000 habitants. Ce traumatisme, conjugué aux difficultés économiques que connaît la ville, va grandement ralentir la production de soie dans la ville. » rapporte Jean Etèvenaux. L’historien ne manque pas de rappeler qu’à cette occasion, les ateliers sont déplacés. La mise à disposition des biens du clergé à la Nation permet d’importants travaux. Désormais, ils se situent sur la colline de la Croix-Rousse. Occupés jusqu’alors par des couvents religieux, on y aménage de grandes maisons où vont vivre et travailler les futurs canuts. « La particularité de ces maisons est qu’elles disposaient d’énormes baies, les canuts ne pouvant pas travailler à la bougie. » explique Jean Etèvenaux.
Le XIXe, de l’apogée à la décadence
Après les troubles survenus pendant la période révolutionnaire (1789-1799) c’est Napoléon Bonaparte, alors premier consul qui décide de remettre à jour l’activité de la soierie. « Les commandes consulaires et plus tard impériales constituent l’âge d’or la soierie lyonnaise. Napoléon va faire comme Louis XIV, c’est-à-dire qu’il va se servir de cette soierie pour décorer les châteaux, résidences, palais et autres grandes administrations. Il va également obliger sa famille, mais également les membres de son administration (soldats comme préfets, sous-préfets ou encore maire) à commander des soieries françaises et non-étrangères. De ce fait, Lyon devait être en capacité d’habiller toutes ces personnes. » souligne Jean Etèvenaux. Pour faire face à cette demande qui ne cesse de croître, les innovations vont bon train et l’une d’elle va retenir l’attention du premier consul. Cette invention, c’est le lyonnais Joseph Marie Jacquard qui, en 1801, va mettre au point « un métier à tisser » permettant d’améliorer la productivité. Cette mécanique doit lire des cartes perforées pour créer des motifs, supprimant l’opération de tirage. Un outil qui n’emploie plus qu’une seule personne. Jean Etèvenaux rappelle qu’à l’apparition de cet instrument, bon nombre de canuts pensaient que leur métier allait disparaître. Cependant, face à une telle demande, les travailleurs se sont vites rendus compte que cette innovation allait grandement leur simplifier la vie.
Cette révolution technique s’accompagne également d’un boum au niveau de l’activité. En effet, les maisons de métier à tisser se développent passant de 10.000 à 35.000 dans la ville de Lyon.
Une fois le premier empire terminé, les premiers incidents émergent. En 1831, de graves conflits apparaissent suites aux tarifs infligés par les marchands négociants : « Les canuts étaient certes propriétaires de leur outil mais ce n’est pas eux qui vendaient leurs productions. Ils la vendent à des négociants. De ce fait, ce sont eux qui fixent les prix qui sont souvent relativement bas. Et face à des prix toujours plus discutables, les canuts vont se révolter pour un meilleur salaire et par conséquent provoquer une répression sanglante. » conte Jean Etèvenaux. D’autres grèves éclatèrent entre 1833 et 1834, donnant lieu le 9 avril à six jours de manifestation. Au total, ce n’est pas moins de 300 morts, de nombreux blessées et 500 arrestations qui mettront fin aux troubles.
Des évolutions vont également voir le jour. C’est sous la monarchie de Juillet, en 1840, que le « métier à tisser » va connaître une nouvelle évolution avec l’apparition de la teinture chimique. Des écoles se développent notamment à travers l’École Municipale de Tissage qui deviendra le Lycée Technique Diderot.
À la fin du siècle, on ne compte plus « que » 400 entreprises pour 105 000 métiers à tisser. Avant les révoltes, Lyon disposait de 865 usines avec 125 000 métiers.
Le XXe siècle : l’industrie se met au service de la soie
Le XXe siècle est le début de l’industrialisation dans le domaine de la soie. Fort de ces 47 000 machines mécaniques mises en service dans les usines en 1933, la soie a su se réinventer. De toutes nouvelles matières sont inventées et mises en service telles que le nylon, le rilsan, l’acétate, le polyester ou encore la viscose. Des fibres de hautes technologies comme le kevlar, le carbone, le PVC, la fibre de verre, les textiles pour la santé et la microchirurgie ou encore la protection de l’environnement prolonge l’héritage de la soie.
Cette révolution des matériaux est dépendante de la main d’œuvre qui se fait attendre. « Aujourd’hui, il n’y a plus beaucoup de professionnels de la soie et les artisans d’art sont désespérés parce qu’ils se rendent bien compte qu’après eux, il n’y aura plus personne pour réaliser des travaux d’une telle finesse. » déplore Jean Etèvenaux, avant de poursuivre « Le XIXe est le siècle des négociants. Avec cette mentalité, Lyon a perdu son monopole sur la soie notamment au profit du Japon qui construit son économie à partir de ce tissu. »
Aujourd’hui, la soierie lyonnaise garde malgré tout une place de renom dans l’imaginaire collectif. Des productions sont encore faites sur demande notamment en termes de vêtements ou encore d’objets de décorations, mais le principal demandeur de soierie lyonnaise, reste l’Etat pour son mobilier national.
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Thibaut Eperdussin
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