11h38. un tweet attire mon intention. Des coups de feu auraient été tirés dans la rédac’ de Charlie Hebdo. Quelques journalistes sont réfugiés sur un toit. Je n’y crois pas. Certainement une blague. On est à Paris, en France, quand même. Et puis c’est Charlie et son esprit taquin ! Les retweets me font comprendre que ce n’est pas une vanne. Je balance l’info à mon rédac-chef installé le bureau d’en face. Les yeux éberlués, puis les oreilles abasourdies par la radio qui confirme la tragédie, le bilan commence à tomber. Un, puis deux, puis trois cadavres confirmés. Se dessine alors un mercredi noir rongé par le sang d’une profession touchée au plus profond de son âme. Nous vivons notre 11 septembre, un 11 septembre intime confiné à un corps de métier.
12h35. Nous voilà dans les salons classiques de l’Hôtel de ville de Lyon. Le maire Gérard Collomb doit présenter ses vœux à la presse. Triste coïncidence. 150 confrères rassemblés au moment où notre Monde tremble. Le sénateur range son discours sur la métropole et parle avec le cœur, la hauteur et la responsabilité qui incombe à nos élus en ces temps sombres.
13H00. Nous prenons place aux différentes tables pour le déjeuner. Chacun les yeux rivés sur son téléphone – peut-être pour éviter le regard du collègue un peu trop ému, nous commentons les infos qui tombent au compte-goutes. On parle désormais de dix morts. « Putain, ils ont tué Cabu ! », lance d’une colère froide un camarade à ma droite. Charb, Tignous et Wolinski, ainsi que l’économiste Bernard Maris dit « l’oncle Bernard », ajoutent leur plume dans cette macabre plaie. 12 morts au total. Le dos de loup et sa julienne de légumes ont un goût plus qu’amer.
15H30. Le retour à la rédac’ est laborieux. J’écris une brève pour relayer le rassemblement en hommage aux victimes. Une initiative envisagée par les pouvoirs publics et les journalistes, et décidée entre l’entrée et le plat principal. Comme l’ensemble des titres, on affiche notre solidarité sur les réseaux sociaux. Je constate que de nombreux amis, collègues, particuliers et citoyens affichent la leur. #Jesuischarlie envahie ma timelime. Je sors de ma bulle.
18H. Notre équipe se dirige vers la place des Terreaux déjà noire de monde. Nous ne pouvons même pas y accéder. « C’est bon signe », se réconforte mon rédac-chef. Entre 15 et 20 000 personnes sont rassemblées pour dire NON à la barbarie. Plus de 100 000 personnes partout en France. Je comprends alors que ce n’est pas qu’une simple profession qui est touchée. Mais bien tout un pays qui est attaqué dans ses fondements les plus profonds, ceux de la liberté d’expression, de la pluralité des opinions et des idées. De la démocratie. D’habitude, le journaliste se doit de retranscrire la réalité à ses concitoyens pour les informer. Aujourd’hui, à l’inverse, la foule, déterminée à lutter, m’a éclairé sur l’impact même de cette folie du 7 janvier 2015. Notre 11 septembre.
Demain, Cabu, Charb, Tignous et Wolinski ne dessineront plus. Mais leurs caricatures resteront à jamais dans nos esprits, lueur éternelle de la liberté d’expression. Les canards voleront toujours plus haut que les fusils.