L’émir Abd El Kader, premier Mandela africain ?

Le LBB était invité par Foued Chargui, président du CLAP, pour la diffusion en avant-première de son documentaire sur l’émir Abd El Kader. Le comité restreint a pu découvrir une nouvelle lumière sur ce personnage historique du XIXe siècle.

 

abdelkaderSYNOPSIS :
« À une époque où tant de jeunes manquent de repères et où les replis identitaires et communautaires se multiplient, où le “vivre ensemble” dans nos villes et nos quartiers se trouve souvent menacé, la figure emblématique d’un homme telle que l’émir Abd El Kader devenue le symbole de fraternité universelle, son action ne pourrait-elle pas apporter une réponse aux malaises qui rongent nos banlieues, voir même au-delà ?
Des intellectuels, des écrivains, des scientifiques, des religieuses, hommes et femmes, tous spécialistes de l’émir dans le monde embarquent à bord d’une péniche naviguant sur les traces de l’émir Abd El Kader.
Abd El Kader était-il franc-maçon ? La question est souvent posée. Il semble aujourd’hui établi qu’à une époque de son existence, l’émir a appartenu à une loge. Mais cela reste encore contesté par certains.
Emblème de la résistance pour les uns, maître Soufi pour les autres… en quoi l’émir est-il un homme de progrès ? Que peut-il apporter à nos banlieues aujourd’hui ?
Ce film nous raconte le parcours de cet homme d’exception, pose les vraies questions, bouscule les idées reçues et nous livre sans tricher, l’histoire d’un homme ordinaire au parcours extraordinaire. »

 

Il semble qu’il y ait un vrai travail de redécouverte de l’émir Abd El Kader. Voilà un homme qui résiste à l’invasion de son pays durant près de quinze ans.

Premier fait marquant, l’émir impose et ordonne à ses combattants de ne pas maltraiter les soldats français faits prisonniers. Une punition est même prévue en cas d’écart à ce commandement. Il ne s’est pas toujours agi de la réciprocité dans le cas adverse pour autant, loin s’en faut.

Second fait marquant, sa capture relève de son fait. Le groupe de spahis, suppléants locaux du corps expéditionnaire, devenu colonial, souhaite lui faire allégeance plutôt que de le capturer. L’émir décide que le sang n’a que trop coulé, et ne veut pas entraîner ses partisans, et son peuple dans un combat qu’il sait perdu d’avance.

Troisième fait, alors qu’il versait dans la connaissance de sa religion, puisqu’il est l’imam de son clan, il décide de ne pas mourir en martyr, sachant que cela servirait d’exemple à ses disciples.

Le pacte de reddition qu’il passe ne sera pas honoré, et il passera cinq ans en détention au château d’Amboise, bien avant la restauration de celui-ci. Dans les sous-sols pour le plus clair de son temps. Deux de ses fils mourront durant cette incarcération.

Une fois libre, il aurait pu, pour le moins, nourrir une rancune qui à défaut d’être juste, aurait pu être « légitime ».

À sa libération, il demandera à ses fils de ne pas combattre sur leur sol natal. L’un d’eux mourra malgré tout sous les balles françaises en Algérie. Il s’exile alors en Syrie. Les tensions exercées sur l’Empire ottoman, qui régit cette partie de l’empire turque, sont telles qu’une flambée de violence prend directement pour cible les chrétiens en 1860, à Damas particulièrement. Il y a notamment les chrétiens maronites, surnommés les Français de cœur. Leurs églises portent pour la plupart le drapeau tricolore au sommet des clochers. Plusieurs dizaines trouveront refuge chez l’émir Abd El Kader, dont la représentation française sur place… Lorsque l’on viendra frapper à sa porte pour qu’il livre ses protégés, il refusera, s’exposant potentiellement à se faire massacrer à son tour. Son nom, et le respect de celui-ci les sauveront tous.

L’ensemble de ses contemporains le remerciera pour ce geste, il sera même décoré par le pape. Ce faisant on peut rappeler que Saladin, avait tellement subjugué les croisés, par la clémence dont il fit part envers les chrétiens de la ville lors de la prise de Jérusalem, qu’il sera représenté à la droite de Dieu sur la peinture de la coupole de la chapelle Sixtine à Rome.

Ce qui ressort de la vie de cet homme est qu’au-delà de la confession, des croyances, de l’appartenance à une nation ou à un peuple, au-delà de ce qu’il a dû subir, par delà sa détention, son exil, et la mise sous tutelle de sa terre, il aura su placer la valeur de l’humain au-dessus de toute autre considération.

Ni son statut d’imam ni son renom comme lettré que l’on écoute et que l’on suit ne l’auront fait prêcher pour l’application d’une loi du talion dans toute sa rigueur.

Ni sa stature de chef de guerre, et son engagement au combat pendant des années de furie guerrière, la terreur de l’abandon dans la fuite, la trahison dans la traque avec le prix du sang versé, n’auront fait changer son respect pour l’adversaire.

Ni les années, en tant que prisonnier dans des conditions loin de celle d’un simple détenu, de nos jours en France, ou encore celui d’exilé, ne l’auront fait dévier de ce cap du respect de la différence.

Ni la perte de plusieurs membres de sa famille, dont trois fils, alors qu’il n’est pire épreuve pour un parent que de perdre un seul de ses enfants, ne l’auront aveuglé de vengeance.

Ni le dédain avec lequel il fut traité, alors qu’il représentait toute une communauté, durant son combat, ni les parjures aux pactes passés ne l’auront fait céder aux sirènes de la haine.

Alors les esprits chagrins, et les talibans de la laïcité argueront qu’il y aurait une volonté cachée d’on ne sait quel complot voilé contre la république à vouloir plébisciter la figure d’un religieux. Alors oui l’émir Abd El Kader était aussi un imam, oui il était religieux, oui il avait des disciples. Mais c’est justement parce qu’il était tout cela que son exemple pourrait être suivi dans ses prises de position humanistes. Rappelons que la nature a horreur du vide et que mieux vaut ce genre de modèle humaniste à une jeunesse en recherche de repères, que celui d’un pseudo ascète milliardaire chevauchant sa monture en plein désert pour se donner des airs de cavalier de l’apocalypse, et qui prônait la haine des croisés et de tous les « ne faisant pas partie » de son bord… Être un anti-barbu à l’instar de Pavlov avec ses chiens finit par devenir barbant. Il ne s’agit alors que de faire l’économie de la réflexion sur le sujet. À bon entendeur salut.

D’ailleurs, ce n’est pas un hasard si, de toutes les mouvances les plus radicales de cet islam des ténèbres, pas une ne revendique l’émir Abd El Kader comme maître à penser. La plupart d’ailleurs le dénigrent pour sa reddition, et son comportement avec les chrétiens de Syrie. Encore faut-il pour le savoir, se donner la peine d’étudier ceux que l’on combat, au lieu d’être dans le dénigrement systématique. Il faut sacrément se voiler la face pour ne voir en l’émir qu’un représentant d’un modèle de pensée qui était la norme à son époque. La séparation de l’église et de l’État en France date de plus de quarante-cinq après les massacres de Syrie. On a beau jeu à présent de regarder le passé avec les yeux d’aujourd’hui. Et ceux-là mêmes qui sont de nos jours les chantres d’un laïcisme à tout crin auraient pu être les premiers soutiens du sabre et du goupillon s’ils avaient vécu à l’époque…

D’autres penseurs, ou « dépenseurs » de temps diraient qu’il s’agirait d’un chef militaire que l’on voudrait présenter en exemple aux jeunes. Qu’ils sachent alors qu’il n’est pas mieux placé pour défendre la paix que ceux qui ont connu la guerre justement. Et on prête d’autant plus facilement l’oreille au discours pacifiste quand celui qui le teint ne le fait pas par couardise, et a fait preuve de son courage. Il n’est pas plus légitime à condamner la guerre et ses excès quand on en revient.

Il y a aussi les tenants de la théorie du complot judéomaçonnique mondial qui prétendraient que présenter le documentaire comme une tentative de manipulation mentale. Rappelons simplement que le réalisateur Foued Chargui n’est ni juif ni maçon, et que quand bien même, son association, le CLAP, a autre chose à faire que de vouloir prendre le contrôle du monde.

Finalement, il s’agit bien d’une figure qui possède tous les attributs de l’humanisme que nous propose de redécouvrir le film de Foued Charqui. Il est en ce moment même dans la ville de Elkader, dans l’Ohaio, qui fut nommée ainsi en l’honneur de son héros éponyme. L’accueil est enthousiaste, et ne manquera pas de donner une nouvelle dimension à un travail dont on peut saluer l’objectivité, sans autre message que celui de vouloir donner à une jeunesse un modèle de probité, de paix et de respect de l’autre que fut celui de l’émir Abd El Kader.

Plus d’infos :
http://fouadfraternel.wix.com/elkaderusa

La page Wikipédia de l’Emir Abd El Kader

David Vallat

J’ai déjà été manutentionnaire, préparateur de commande, soudeur, métallier, dépanneur, serrurier, éboueur, administrateur des ventes export, déménageur, négociateur immobilier, métreur dans le bâtiment, fleuriste, kébabiste, démineur, agent d’entretien, figurant pour des courts métrage, carrossier peintre, mécanicien auto, consultant en explosif pour le cinéma, chasseur alpin au 159 de Briançon, peintre en bâtiment, formateur sur armes légères et fusils d’assauts, pointeur mortier lourd, poseur de charpentes métalliques, restaurateur, conseiller juridique, gréviste de la faim, arbitre d’épreuve pour le brevet de moniteur de ski, comptable dans une association de malfaiteur, traducteur anglais arabe, écrivain public, élagueur pour l’office national des forets, négociant en matériel de toutes sortes, chef de chantier, conducteur de travaux. (Liste non exhaustive). Au Lyon Bondy Blog depuis mars 2012. Ma devise serait : « Mieux vaut passer pour un ignorant, mais ne pas le rester, plutôt que de le cacher, et continuer à l’être. »

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