À l’occasion du Ramadan, on a rencontré Siham Andalouci, membre de l’UFCM (Union Française des Consommateurs Musulmans) et responsable éditoriale dans une maison d’édition musulmane francophone à Villeurbanne. Halal, environnement, bien-être animal et évidemment spiritualité, elle nous donne sa vision du Ramadan, pilier de la 2ème religion en France.
Quelle est votre définition du Ramadan et comment est-ce que vous le vivez personnellement ?
Le mois de Ramadan, ce n’est pas seulement s’abstenir de boire, de manger ou d’avoir des relations sexuelles dans la journée. C’est un des 5 piliers de l’Islam. C’est un mois de privation pour se rapprocher au maximum de Dieu.
Le mois de Ramadan n’est pas fait pour manger beaucoup. Traditionnellement on a de grandes tablées, mais on devrait se contenter de peu, pour que le corps s’habitue à un autre temps, à un autre rythme. C’est aussi un mois de solidarité, de partage, de convivialité. On passe beaucoup de temps à la mosquée, on prie ensemble. C’est une sorte d’école qui nous aide à nous construire chaque année.
Le marketing sur le Ramadan progresse chaque année. Et avec lui, les pièges, les arnaques. Quels sont les conseils que vous donnez en tant qu’association de consommateurs musulmans ?
Le seul conseil qu’on donne aux gens, c’est consommez moins ! Le mois du Ramadan, c’est tout sauf le mois de la consommation.
Avant, les grandes surfaces ne mettaient pas « Ramadan » sur leurs pubs. Ils parlaient de « mois oriental », d’ « opération orientale », de « mois du Maghreb », etc. Les musulmans s’en sont souvent indignés, se disant « ils font de l’argent sur nous sans dire vraiment les choses ». Cette année, je ne sais pas ce qu’il s’est passé, mais c’est la première fois qu’on voit des pubs « Spécial Ramadan ». Les musulmans sont contents… mais ils ont tort ! C’est bien en terme de reconnaissance. Mais on leur dit : « Ne tombez pas dans ce piège-là ». Il faut aller vers la conscience et la responsabilité et surtout ne pas oublier l’autre quand on consomme. Nos mamans préparaient toujours une assiette en plus pour un invité. On avait toujours une part pour l’autre !
« Il faut aller vers la conscience et la responsabilité »
Il y a chaque année des questions autour de la date de début du Ramadan… Pourquoi ?
Certains organismes comme l’UOIF prônent le calcul pour déterminer par avance le premier jour du Ramadan. Mais il y a un débat et deux écoles : celle qui se base sur le calcul pur et celle qui se base sur l’observation des éléments et de la Lune. Nous préférons cette deuxième solution.
Mais ça ne pose pas un problème de cohésion si chacun choisit sa date en fonction de ses propres observations ?
C’est un jour, pas un mois, ce n’est pas grave ! Ce qui est grave c’est d’en faire un problème. Il ne faut pas être figé à ce point là.
Quelle est votre définition du halal1 ?
D’un point de vue étymologique, ça veut dire permis. C’est le contraire de haram, qui signifie interdit. D’un point de vue technique, c’est une bête qui est égorgée selon le rite de l’islam : pour Dieu, en citant son nom « bismillah ». Les textes sont très clairs.
Il y a beaucoup de polémiques sur le halal. Qu’est-ce qui vous pose problème aujourd’hui concernant ce qualificatif de « halal » ?
Le problème aujourd’hui, c’est la question de l’industrialisation et de la cadence à laquelle on abat les bêtes. Cela pose un problème en terme d’éthique, mais aussi en terme de religion. Il y a des réglementations européennes qui sont strictes : on demande à ce que les bêtes soient préalablement assommées ou électrifiées, afin qu’elles ne bougent pas trop lorsqu’elles sont pendues par les pattes, prêtes à être égorgées. Mais les taux d’ampérages sont fixés au niveau européen et l’immense majorité des bêtes sont mortes avant d’être égorgées2.
Il existe des fatwas3 sur mesures pour les entreprises qui n’ont pas le temps de dire bismillah à chaque fois et qui font tourner des cassettes audios, qui n’égorgent pas à la main mais qui utilisent un disque… On se retrouve également en Arabie Saoudite en pleine période du hadj4 avec la société française Doux qui alimente tout le monde. Mais elle ne propose pas du halal et les gens en plein pèlerinage mangent quelque chose d’impur. Il y a des scandales.
« On cherche aux alentours les petits producteurs »
A Lyon, l’organisme de certification halal est l’ARGML. Que pensez-vous de cette association ?
Le seul souci que nous avons avec cette association, c’est qu’ils acceptent l’électronarcose [électrifier les poulets avant l’abattage, ce qui peut les tuer avant l’égorgement rituel, NDLR]. Moi, quand je vois un produit estampillé ARGML, je ne vais pas le manger. Il y a des mosquées où c’est du n’importe quoi, comme à la mosquée de Paris. Il n’y a aucune vérification : on donne la certification en fonction de l’argent qu’on pose ! Les sommes sont énormes : le marché du halal en 2011 c’est 7 milliards d’euros.
Personnellement, j’ai choisi de manger très peu de viande. Je trouve ça très irresponsable d’en manger trop. C’est un marché qui méprise totalement les questions de la dignité de la vie. Une bête peut être rituellement halal, mais pas éthiquement : les poulets sont élevés dans des cages et ils n’ont jamais vu le jour. On leur coupe à la naissance le bec et les griffes. La proximité génère des maladies, ils sont donc pleins d’antibiotiques et d’hormones et vivent dans leurs excréments quasiment toute leur vie. Quand on connait la réalité, on devient presque végétarien ! Même sur la question des œufs, les poules pondeuses, c’est une catastrophe ! On participe à ça par notre consommation. On demande donc clairement aux gens de consommer moins de viande, même si les musulmans sont de grands consommateurs de viande !
Les gens ne savent pas comment on abat les animaux. Dans les publicités, on nous montre des poulets bien gros, avec des cuisses musclées, mais on est loin de la réalité. Il y a des enfants qui ne savent pas qu’une frite vient d’une pomme de terre, ou qui ne savent pas ce que c’est que de l’ail ! Il faut se reconnecter à la Création.
Vous préférez donc acheter chez des petits producteurs ?
Tout à fait. On a un rapport à la production qui est un rapport de proximité, que ce soit pour la viande, les fruits, les légumes, etc. On privilégie le bio et pas le bio industriel. On cherche aux alentours les petits producteurs. Noix, lentilles, saucisses, on essaie toujours de travailler au bouche-à-oreille avec des réseaux de proximité. Il y a des personnes de notre groupe qui sont parties vivre à la campagne, proche de la nature. Nous on va choisir notre bio à Carrefour Market (rires) !
Propos recueillis par Sylvain Ortega
1 Lire également l’article https://lyonbondyblog.fr/LBB/le-halal-halalouche/
2 Deux vidéos à voir en complément de l’article : « Ratés de l’abattage au disque (non halal) » de l’association AVS, association qui a pour but de « contrôler et d’assurer le respect de l’abattage rituel ainsi que la traçabilité des produits carnés halal » https://www.youtube.com/watch?v=UrtzAy5AIkw et cette vidéo, toujours d’AVS, sur l’abattoir de bovins Gourault https://vimeo.com/35198243
3 avis juridique en islam
4 pèlerinage à La Mecque