« Je ne sais pas ce qui m’a pris »

TGI de Lyon, 14ème chambre, comparutions immédiates.

France_Lyon_Palais_Justice_1José* comparait pour vol de scooter, refus d’obtempérer et violence. Circonstances aggravantes, il s’agit d’une récidive légale en 2007. La cours évoque également des violences sur un fonctionnaire de l’État avec arme, en l’occurrence le scooter volé. A cela s’ajoute la conduite d’un véhicule sans permis, ni casque. Après ce bref énoncé des faits, le président demande à l’accusé s’il souhaite être jugé aujourd’hui. « Oui, répond son avocate. – Je veux que ce soit lui qui le dise ! » Quelques secondes passent. « Je vous trouve bien silencieux », enchaîne le magistrat. Le prévenu fait signe de la tête. Il reconnaît les faits.

« Les faits sont d’une grande simplicité, poursuit le juge. Vous volez un scooter avec les clés dessus. Deuxième infraction : vous vous promenez sans casque. Des motards vous prennent en chasse, vous ne vous arrêtez pas. Vous brûlez deux feux rouges. Les policiers vous rattrapent facilement et tentent de vous arrêter en mettant leurs deux roues en opposition» José heurte alors un des véhicules volontairement. Le juge ajoute : « Vous avez renversé le motard délibérément, j’insiste là-dessus ». Trois jours d’Interruption Totale de Travail (ITT) lui ont été nécessaires. « Vous remontez sur le scooter, repris en chasse par le second motard qui vous rattrape. Puis la fuite à pieds. José est ensuite arrêté. C’est comme cela que ça s’est passé ?  – Oui, répond José. – Pourquoi ? – Je n’avais pas pris conscience. – C’est tout ?, s’étonne le magistrat. L’accusé marmonne. Que dites-vous ? –  [Toujours pas de réponse] ». Le magistrat reste circonspect. « Le plus grave arrive, pourquoi avoir percuté le motard ? – Ca c’est passé vite, répond José– Apparemment vous savez piloter, c’était plus simple de l’éviter ! »

« J’ai été dangereux »

Le policier percuté se présente à la barre. « Il a foncé devant moi alors qu’il avait la place pour passer. Je dépose plainte contre l’accusé ». Son témoignage confirme l’énoncé des faits précédents ; de même que le récit d’un autre témoin, qui a affirmé ces dires par téléphone.

Le président insiste : « Vous n’avez pas d’autres explications ? – Ca c’est passé vite. Le policier a raison, il a raison. – Rendez-vous compte que vous prenez des risques inconsidérés pour vous et pour les autres ! », poursuit le magistrat. Le prévenu ne peut qu’acquiescer.

L’avocat de la partie civile entre brièvement en scène : « Tout a été dit. Ce monsieur est un danger ». Puis vient le tour du procureur : « Il reconnaît les faits. J’ai du mal à voir sa position. – J’ai été dangereux », se justifie le prévenu qui enchaîne sur la percussion du motard : « Je vous jure que je n’ai pas fait exprès. » On entend très mal les propos de l’accusé, qui articule à peine. « On va avoir besoin d’un interprète ! », s’exaspère le président.
José est manœuvre en intérim depuis dix ans. Il est célibataire et vit encore chez ses parents, à qui il reverse 500 euros par mois pour le loyer. « Je suis honnête », atteste-t-il. Le président ne bronche pas et lui fait remarquer un défaut de paiement concernant dix titres de transport. « Quelque chose à ajouter ? – Je m’excuse. – Ouais, c’est le service minimum », rumine le président.

L’avocat de la partie civile met en exergue la « maestria » dont a fait preuve l’accusé pendant la poursuite. Ce dernier continue de fixer le sol, comme groggy. L’avocat demande une condamnation de 1 500 € pour le propriétaire du scooter, et un peu plus de 3 500 € pour le policier suite aux trois jours d’ITT et aux dommages psychologiques. Il dénonce les conditions de travail des agents de police : « Ce n’est pas un métier facile. Contre des gens comme ça, on peut s’attendre au pire ».

Le procureur enchaîne : « On est toujours insatisfait quand la réponse donnée par le prévenu est : ‘Je ne sais pas ce qui m’a pris’. Il avait le choix de ne pas voler la moto, même si la tentation est grande (…) il avait le choix de mettre le casque, (…) le choix de ne pas s’enfuir, (…) le choix de ne pas percuter le policier. [Il marque un temps]. Il l’a fait. C’est trop facile de dire : ‘Je ne sais pas ce qui m’a pris’. Ce n’est pas un discours entendable ! ».

La peine plancher peut être encourue. « Aucune raison de l’exonérer », poursuit le Ministère public. Il demande 24 mois de prison, dont 12 avec sursis et mise à l’épreuve sous mandat de dépôt, avec l’obligation de travailler et de rembourser le coût des dommages et intérêts.

Peu de peines alternatives en comparutions immédiates

L’avocate de la défense rebondit sur l’argumentaire du proc’ : « On a toujours le choix. Le problème, ce sont les mauvais choix qu’on fait ». Elle ajoute que son client n’est par ailleurs pas responsable du malaise de tous les policiers. Sur les faits, il n’a pas volontairement renversé la moto. « Ca a été très vite. Ce n’est pas une explication suffisante, mais c’est le cas. » En outre, il n’a que trois mentions dans son casier judiciaire, il n’a « pas le parcours d’un délinquant habitué des tribunaux ». Ces faits ne sont pas « emblématiques de sa personnalité ». Enfin, elle demande une plus juste proportion des dommages et intérêts.

Le juge demande une dernière fois à José s’il a quelque chose à rajouter : « Je m’excuse, dit-il une dernière fois. Bien. », conclut le président. Celui-ci sort pour délibérer avec ces assesseurs. Et trente minutes plus tard, José est jugé coupable de délinquance routière très dangereuse. Il écope de 24 mois de prison (en récidive légale), dont 8 fermes en mandat de dépôt. Il retourne donc en prison. Le juge résume : « Pendant deux ans, vous aurez 16 mois (ferme) au dessus de la tête », avec l’obligation de reprendre une activité et de réparer le préjudice, qui sera chiffré dans deux mois lors du renvoi de l’affaire au civil.

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La comparution immédiate est une procédure qui juge une personne rapidement après la garde à vue. Les observations et études statistiques sur cette pratique judiciaire laissent apparaître son caractère expéditif – environ 30 minutes pour juger une affaire. En outre, la population concernée fait face à une précarité toujours plus grande, et les peines de prison ferme y sont plus importantes qu’ailleurs. Le Lyon Bondy Blog estime important de mettre en valeur ces mesures discriminatoires qui visent les « sans » (sans papiers, sans domicile, sans travail).

Sebastien Gonzalvez

Journaliste plurimédias. Rédacteur en chef à @BondyBlogLyon @HorsDesClous https://www.facebook.com/horsdes.clous

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