Dossier. Si l’on est noir ou arabe et habillé en « jeune », on a de fortes chances de subir quotidiennement des contrôles d’identité. Face à ce constat de discrimination massive et institutionnalisée en France, le Lyon Bondy Blog propose un dossier qui fait le point sur les rapports police – quartiers populaires. Faut-il encore réformer les contrôles d’identité ? Faut-il élargir et renforcer cet outil de prévention et de sécurité ? Faut-il abolir cette arme d’humiliation et ce racisme administratif ? Nous avons recueilli les avis des principaux concernés : policiers, magistrats, associations et citoyens.
Pratique de sécurité encadrée par la loi, le contrôle d’identité est défini par le code de procédure pénale, de l’article 78-1 au 78-6, il stipule que « Toute personne se trouvant sur le territoire national doit accepter de se prêter à un contrôle d’identité effectué dans les conditions et par les autorités de police visées aux articles suivants. »
Pour les encadrer, les policiers sont également soumis au code de déontologie de la police nationale, dont l’article 7 stipule que le policier est « intègre et impartial » et qu’il a « le respect absolu des personnes, quelles que soient leur nationalité ou leur origine, leur condition sociale ou leurs convictions ». Mais la loi ne précise que vaguement sous quels critères doivent être effectués les contrôles. Plus que par une analyse, le contrôle est bien souvent motivé par un sentiment, par des soupçons. Une large marge de manœuvre est laissée aux policiers pour définir qui a un comportement de délinquant potentiel et qui est susceptible de fournir des renseignements utiles à une enquête, en cas de crime ou de délit.
Ainsi, de nombreuses inégalités sont constatées. Selon le GISTI (Groupe d’information et de soutien des immigrés), le contrôle d’identité est « une arme symbolique d’humiliation de certaines populations » et relève d’un « racisme légal et administratif ». Pour cet organisme, le plus souvent, les agents de police qui sillonnent les quartiers populaires au contact de la population « n’ignorent rien de leur [les personnes contrôlées] identité. Le contrôle d’identité est ainsi une figure imposée, une épreuve récurrente que doivent surmonter au quotidien des centaines de milliers d’habitants. »
Alors, le contrôle au faciès, dérapage ou pratique assumée ? L’ECRI (organe de protection des droits de l’homme du Conseil de l’Europe) plutôt que de contrôle au faciès, préfère parler de profilage racial dans son rapport daté de 2010 : « Le profilage racial consiste en l’utilisation par la police, sans justification objective et raisonnable, de motifs tels que la race, la couleur, la langue, la religion, la nationalité ou l’origine nationale ou ethnique dans des activités de contrôle, de surveillance ou d’investigation ». Elle constate également que « selon les résultats d’une étude récente sur les contrôles d’identité à Paris, les personnes perçues comme Noires et les personnes perçues comme Arabes seraient contrôlées de manière disproportionnée par rapport aux personnes perçues comme Blanches. »
Les contrôles d’identité désignent des citoyens de seconde classe
Selon un autre rapport du GISTI, « les policiers surcontrôlent une population caractérisée par le fait qu’elle est masculine, habillée de manière typiquement jeune et issue de minorités visibles. (…) Pourtant, l’immense majorité des contrôles d’identité ne débouchent en effet sur aucune autre suite policière que les éventuels incidents créés par les contrôles eux-mêmes (refus d’obtempérer, outrages et violences à agents, etc.). Les comparaisons disponibles montrent d’ailleurs que le taux de détection des infractions n’est pas augmenté par une plus grande fréquence des contrôles d’identité. »
L’organisme y voit donc une manière de « dévaloriser l’identité sociale et politique de personnes que les discriminations et les stigmatisations empêchent de pleinement faire valoir leurs droits ». Enfin, pour elle, le « rappel de l’ordre social au travers de ces contrôles » fait des contrôles d’identité des « cérémonies publiques de dégradation remettant la race au cœur des hiérarchies citoyennes ».
Des études accablantes donc, pour la police et au-delà, pour la société française tout entière qui cautionne les agissements de ses « forces de l’ordre » qui désignent des citoyens de seconde classe, sans cesse harcelés. De cette insécurité vis-à-vis des policiers, débouchent également des drames, comme la mort de deux adolescents Zyed et Bouna en 2005. Les policiers inculpés dans cette affaire ont été relaxés définitivement cette année, ce qui écorne une nouvelle fois le principe d’égalité : les lois françaises s’appliquent donc au faciès et selon que l’on provienne ou pas des classes populaires. Dans ce type de procès, les policiers sont rarement condamnés. Pire, en utilisant systématiquement le délit d’outrage et rébellion, ils parviennent à faire condamner les personnes contrôlées. L’outrage et rébellion a d’ailleurs été dénoncé par l’IGS (Inspection générale de la Police nationale) en 2005 et la CNDS (Commission nationale de déontologie de la sécurité) en 2007.
L’escroquerie de la promesse n° 30 de François Hollande
L’engagement n° 30 de François Hollande lors de la présidentielle de 2012 n’a débouché que sur une très maigre réforme : le matricule est réapparu sur l’uniforme des policiers et les citoyens ont désormais la possibilité de saisir directement l’IGS, la « police des polices ».
La France ne fait ici que le service minimum en s’alignant sur les recommandations de la Cour européenne des Droits de l’Homme, qui estime que l’absence d’identification confère une forme d’impunité à certaines catégories de policiers.
Le collectif Stop le contrôle au faciès attendait des actes… il a été déçu. Tout comme les Français, qui jugent à 60 %, selon un sondage OpinionWay publié le 9 mai 2014 et commandé par trois associations (Open Society Justice Initiative, Graines de France et Human Rights Watch), que le gouvernement n’a pas pris de mesures concrètes pour la lutte contre le délit de faciès. Les jeunes, qui étaient principalement visés au travers de cet engagement et qui ont préférés le candidat Hollande à Nicolas Sarkozy, ont donc été dupés.
Une première condamnation historique de l’État pour « contrôles au faciès » en 2015
Face à l’inertie des politiques, certains magistrats font cependant avancer la lutte contre ces discriminations institutionnelles. Ainsi, cette année a été marquée par l’invalidation d’un contrôle d’identité à Bordeaux et par la condamnation de l’État pour faute lourde le 24 juin pour 5 cas de « contrôles au faciès » par la Cour d’appel de Paris, ce qui constitue une première en France.
Mais encore une fois, les politiques ont profité de l’attentat du Thalys cet été pour tenter de faire régresser les droits fondamentaux : Alain Vidalies, secrétaire d’État chargé des Transports, a déclaré « A chaque fois qu’on parle de fouille aléatoire, quelqu’un dit “oui, mais ça risque d’être discriminatoire”. Eh bien écoutez, moi je préfère qu’on discrimine, effectivement, pour être efficace, plutôt que de rester spectateur. »
Pour tenter de faire le point, le LBB vous proposera donc en cette rentrée une série d’interviews et d’articles traitant des contrôles d’identité. Nous avons rencontré des policiers, des magistrats, des associations et des citoyens.
Rendez-vous donc lundi prochain pour l’interview exclusive de Jacques Toubon, Défenseur des droits et garant de la lutte contre les discriminations, du respect de la déontologie des activités de sécurité.