La compagnie Cartier Libre jouait du 21 au 23 mars son premier spectacle en tant que troupe indépendante. Née dans le berceau de l’IREPScène et lancée en septembre dernier, la troupe se veut « amateur, mais sans faire de l’amateurisme ». La pièce, intitulée Lumières d’ailleurs, se veut être un moment de plaisir, tout en traitant d’un sujet difficile, la migration. Retrouvez notre entretien avec Vincent Grillot, 39 ans, scénariste principal du spectacle.
Lyon Bondy Blog : Qu’est-ce qui vous a donné envie de faire du théâtre ?
Vincent Grillot : C’est quelque chose que j’avais envie de faire il y a très longtemps avant de prendre des cours. J’ai fait pas mal de musique avant, j’ai eu un groupe. Je joue de l’accordéon et je chantais dans le groupe. Du coup on a tourné un peu sur Lyon et les environs pendant 5/6 ans. C’est là que j’ai vraiment découvert la scène… et le pied que je pouvais prendre sur scène. Et quand le groupe s’est arrêté, j’ai voulu tenté une autre expérience et retourner sur scène par un autre biais. Le théâtre ça me bottait depuis un moment, je me suis dit « pourquoi pas, allons-y ! »
LBB : Comment est née la compagnie Cartier Libre ?
V. G. : En fait c’était vraiment le projet de l’IREPScène, où on a pris tous ensemble des cours pendant 3 ans. Et le projet de l’IREP, c’est vraiment de former les gens à être autonome et dans l’idéal à pouvoir se monter après en compagnie autonome. Petit à petit en fait : la première année c’est vraiment le prof qui prend pas mal de chose en charge. Nous on amène des idées de textes et après c’est lui qui va écrire, faire le spectacle, la mise en scène… La deuxième année, c’est au groupe d’écrire le spectacle, et la mise en scène est encore prise en charge par le prof. Et la troisième année, on nous amène à vraiment tout prendre en charge : la régie, l’écriture, la mise en scène… pour pouvoir, si on le souhaite, se lancer. Pour nous, ça fonctionnait bien, alors on s’est dit « on va tenter l’aventure tout seul ».
LBB : Vous êtes une compagnie amateur, mais vous la faites tourner à 100%. Comment on gère une compagnie quand on est amateur ?
V. G. : C’est vrai que c’était un gros test cette première année, de se dire « est-ce qu’on va avoir la discipline entre nous et les compétences pour pouvoir vraiment faire ça seul, se cadrer comme il faut pour avancer ». On est amateur, mais on ne veut pas faire de l’amateurisme. On a vraiment tous cette volonté de faire des choses de qualité et de se donner à fond sur les créations qu’on veut montrer. Du coup on s’est vraiment motivés pour que tout le monde s’implique au maximum dedans, en se disant qu’on avait aussi à cœur que les décisions se prennent toute en groupe.
LBB : Ce n’est pas trop compliqué ?
V. G. : Il y a des débats ! [rire] Il y a des débats, il y a des forts caractères, mais ça se passe bien. Il y a un équilibre qui s’est fait assez naturellement. Voilà, on se connaît bien maintenant, ça fait quatre ans qu’on joue ensemble. Il y a une bonne synergie dans le groupe.
LBB : Est-ce que vous avez écrit la pièce à 16 mains, ou bien étiez-vous seul à écrire ?
V.G. : Je l’ai écrit, on va dire à 80 %. En fait, c’est un projet que j’avais amené déjà l’an dernier, à monter sur la troisième année. Le groupe ne l’avait pas choisi à ce moment-là car il y avait l’envie de faire autre chose. De mon côté, ça m’a permis d’avoir du temps pour continuer à le mûrir et à l’écrire.
En fait, c’était assez clair pour tout le monde qu’on allait pas le jouer l’année dernière, mais qu’on se le gardait sous le coude pour cette année. Et avec aussi cette idée que quelqu’un n’arrive pas avec tout écrit, en ayant tout fait, tout préparé. Et que tout le groupe puisse travailler, amener des idées, débattre du contenu. Donc moi j’ai écrit toute une trame, c’était très clair pour moi, toutes les scènes étaient plus ou moins calées, j’en avait écrit déjà une bonne partie. Puis je me suis arrêté, en me disant « voilà, j’ai une bonne structure, maintenant ce sera au groupe de s’en saisir et on va continuer ensemble le travail » et du coup c’est ce qui s’est passé.
LBB : Lumière d’ailleurs, ça traite d’un sujet assez sensible, la migration. Et au début de la pièce, vous parlez notamment du journalisme. Pourquoi commencer par ça ?
V. G. : Ça m’interpellait la manière dont les médias pouvaient traiter ce sujet, avec tout ce qui se joue sur les réseaux sociaux, entre le « vrai du faux », « est-ce qu’on peut faire confiance maintenant aux médias ? » etc. Il y avait tout une réflexion que j’avais là-dessus, avec la conviction que le journalisme et les médias sont nécessaires pour parler de ces sujets, qu’on en a besoin. La colonne vertébrale du spectacle, c’est justement cette histoire d’une journaliste qui va être confrontée à ce sujet, et qui va se poser des questions sur sa légitimité, sur ce qu’elle veut montrer, ou « dénoncer », entre guillemets. Comment ça va être reçue ? Comment elle va être entendue ? Est-ce qu’elle peut changer les choses ? Voilà.
C’était aussi en groupe un sujet qu’on a beaucoup retravaillé. Il y avait cette volonté que, à la fin de la pièce, on puisse pas se dire que le journalisme ça sert à rien. Il a fallu retravailler, écrire pour faire passer un autre message : au contraire, que cette parole est nécessaire et qu’il faut l’écouter.
LBB : Sans spoiler, vous parlez beaucoup de la route des migrants, de la destination des migrants. Avez-vous rencontré des gens ? Ou vous vous-êtes nourri des récits ou documentaires que vous avez vu ?
V. G. : J’ai rencontré personne, ça a été des discussions avec des amis qui ont été en contact avec des assos. Mais c’est surtout de la lecture d’articles, de témoignages, de reportages. Pendant l’écriture, on s’est posé la question justement. Dans le processus, on s’est dit « ça serait bien d’aller rencontrer les gens ». On s’est posé la question de notre légitimité à aborder un sujet comme ça, en tant que Lyonnais bien installés. Est-ce qu’on va être crédible ? C’est quoi notre légitimité de « jouer », entre guillemets, les migrants ? On sentait qu’on allait sur un truc un peu délicat.
Et donc dans le processus d’écriture et de création, on se serait dit que ça serait bien d’aller voir des assos, de rencontrer des gens. On s’est dit peut-être que ça pourrait aller jusqu’à monter le spectacle en collaboration avec eux. Après voilà, on a manqué de temps pour le faire. Si on était parti là dedans, ça aurait été un autre processus qui aurait pris une autre ampleur. Après, on s’est un peu resserré sur ce qu’on pouvait lire et voir autour de nous. Et puis on s’est dit que finalement, on connaissait le sujet par ce que les médias justement nous montraient, mais que ça ne nous rendait pas non plus imposteurs d’en parler.
LBB : L’IREP est espace à part dans la scène. Comment est-ce de travailler là bas ? Qu’est-ce qui vous a marqué le plus ?
Ce que j’ai adoré pendant les trois ans où on y est allé, c’est ce côté amateur, mais sans faire de l’amateurisme. Cette envie de proposer du spectacle de qualité, de pas faire du « spectacle de kermesse », entre guillemets. J’avais un peu peur au début, quand je me suis lancé dans le théâtre, de ce côté « spectacle de fin d’année ». Et l’IREP, j’ai senti en y allant et en les rencontrant que c’était pas ça. Il y a cette envie de pousser les gens, de nous faire monter sur scène, de vite nous mettre dans l’écriture, dans la conception, que les gens s’implique vraiment.
J’ai pas vu tous les groupes qui sont passés par là-bas, en tout cas nous ça a bien marché et on a toujours été fiers des spectacles qu’on a présenté. Avec cette liberté de ton aussi et cette possibilité de parler de tous les sujets, sans restriction. On aime bien faire rire, mais on aime aussi qu’il y ait du fond. On a envie de proposer des spectacles qui aient du sens et du fond. Et l’IREP nous soutiennent là dedans. C’est un cadre super pour ça.
LBB : La suite pour Cartier Liber, c’est quoi ?
V. G. : La suite, c’est de rejouer à l’IREP, en octobre normalement, on devrait faire au-moins trois dates. On a aussi l’envie de le présenter ailleurs. Jusqu’à maintenant, c’est vrai qu’on a toujours joué à l’IREP, on est bien, c’est confortable, on connaît les gens. Et on aimerait bien se frotter à un autre public aussi. Les retours du spectacle qu’on a eu était plutôt positifs, c’était chouette et ça nous a porté. Beaucoup de gens nous ont dit « il faut le montrer ailleurs, dans les collèges, dans les lycées… ». Du coup ouai, pourquoi pas ! Après il faut trouver.
LBB : Et vous avez vos vies à côté aussi.
V. G. : C’est sûr qu’on peut pas se dire « on va jouer tous les week-ends ». Faut que tout le monde soit dispo et qu’il puisse y avoir un équilibre : ça reste un loisir. Dans les établissements scolaires, il y a la difficulté qu’on sera pas dispo en journée ou en semaine pour jouer. On bosse tous à côté, du coup ça restreint les endroits et les horaires pour jouer.
LBB : Pour finir, c’est quoi le théâtre pour vous ?
V. G. : Le théâtre et la scène en général, c’est un endroit où tout est possible et tout doit être possible. Du coup, c’est un gros terrain de jeu. Pour moi il y a cette envie de se faire plaisir, de faire plaisir aux gens, mais aussi de faire réfléchir, ça va ensemble.