Chronique Judiciaire : « La Grande Évasion » au centre de rétention Saint-Exupéry

Dans la journée du samedi 13 avril, quatre individus auraient tenté de s’évader du centre de rétention administratif de Lyon Saint-Exupéry. Retour sur leur audience, qui s’est déroulée vendredi dernier.

Vendredi 3 mai 2019, 14h15. La salle des comparutions immédiates du Tribunal de Grande Instance de Lyon est remplie pour la première affaire de l’après-midi. Une classe de lycéens occupe une bonne partie de la salle, si bien qu’il est nécessaire de se serrer pour trouver une place. Après le ballet interminable des avocates faisant taper leurs talons sur le parquet et des policiers rappelant à l’ordre la salle, la séance peut commencer. Les quatre prévenus sont jugés pour tentative d’évasion et dégradation.

Les quatre prévenus rentrent dans le box, suivis de près par cinq policiers qui s’installent derrière eux. Après avoir fait prêter serment à la traductrice, la Présidente rappelle que les prévenus ont le choix d’être jugés aujourd’hui, ou d’obtenir un délai de deux mois. Ils choisissent d’être jugés immédiatement. La Présidente débute le rappel des faits.

Mur endommagé

Dans la journée du 13 avril 2019, l’alarme du centre de rétention administratif (CRA) de Lyon Saint-Exupéry se déclenche. A la grande stupeur des policiers arrivant sur les lieux, un trou, assez grand pour qu’un homme s’y faufile, a été creusé dans la salle de repos. Un homme assis près du trou aperçoit les policiers et se rend sans résister. De l’autre coté du mur endommagé, trois détenus tentent d’escalader la grille. Sans succès, ils sont également appréhendés par les forces de l’ordre. Les quatre prévenus présents dans le box sont ces quatre individus. La Présidente précise que le trou a été creusé grâce à une grille de caniveau arrachée au sol. Les « Daltons » s’étaient relayés durant la journée pour creuser le mur. Alors que l’un s’y attelait, l’autre jetait les gravas plus loin grâce à une couverture. Les deux autres avaient pour rôle de faire du bruit, pour couvrir les « travaux » de leurs compères. Un plan relativement élaboré, qui n’a pas fonctionné.

Démêler le vrai du faux

Après ce long rappel des faits, ponctué par les réactions de la salle, la parole est aux prévenus. Le premier explique à la Présidente, d’une voix faible, « quand j’ai vu les policiers, je me suis rendu. Je n’ai pas creusé ». N’ayant rien d’autre à ajouter, le premier prévenu hausse les épaules et regarde en direction de l’homme à sa gauche, le deuxième prévenu. Interrogé par la Présidente, ce dernier reconnait les faits. Il avoue avoir tenter de s’évader et explique avoir mis « un seul coup » sur le mur avec l’outil de fortune. La Présidente lui demande alors pourquoi, sur la déposition, il a expliqué ne pas avoir participer à ces travaux illégaux. Le prévenu, embarrassé, ne sait pas quoi répondre. La Présidente insiste, dans le but de démêler le vrai du faux. Sans succès.

« Je crois au plus profond de moi que je devais m’évader. C’est comme un chien, si vous le laissez 48 heures dans un endroit, il essayera de s’échapper ! »

C’est au tour du troisième. L’interprète s’approche du box et tend l’oreille. L’homme parle d’une voix très affaiblie. Il explique, par le biais de la traductrice, qu’il a participé à l’élaboration du trou. Il avoue également avoir essayé de s’échapper en escaladant la grille, mais qu’il n’a pas réussi à cause de ses problèmes de bronches. L’homme, âgé de 19 ans, raconte qu’il est arrivé en France en 2015, et qu’il sortait de 3 mois de prison. Voyant qu’il s’écarte du sujet, la Présidente passe au quatrième prévenu.

C’est le plus grand des quatre, si bien qu’on le voit dans le box même depuis le fond de la salle. Il semble agité. Le policier derrière lui le regarde fixement. La Présidente l’interroge sur le déroulement des faits. Il reconnait avoir tenter de s’évader, mais pas d’avoir creuser le trou, ou aider d’une quelconque manière. En s’appuyant sur les enregistrements des caméras de surveillance, on lui demande s’il a tenté de faire du bruit pour couvrir ses compères. Le prévenu nie « Je jouais au foot avec les autres, j’étais entrain de faire des chants de football ». La Présidente, sceptique, lui rappelle qu’il a tout de même tenter de s’échapper. La tension monte dans la salle, et le prévenu hausse le ton « Je crois au plus profond de moi que je devais m’évader. C’est comme un chien, si vous le laissez 48 heures dans un endroit, il essayera de s’échapper ! ». La Présidente agacée, réplique « Oui, sauf que vous n’êtes pas un chien Monsieur, la loi s’applique à vous ».

Conditions déplorables

Après un bref rappel à l’ordre et au silence suite à la sonnerie d’un téléphone, le procès reprend. Le procureur de la République, au vu des faits, compare cette affaire à un film « ils ont tenté de s’échapper avec des draps noués ». Il exige une peine de quatre mois de prison ferme avec un maintien en détention. De son côté, l’avocate des quatre prévenus n’est pas du même avis. Selon elle, les conditions, le personnel et l’accès au soin seraient déplorables. Elle ajoute que « aucun policier n’a rien entendu pendant 5 heures, alors qu’un trou se creusait », avec une touche d’ironie. La jeune avocate termine en expliquant que « les retenus ne sont pas des détenus. Comme chaque année, des gens en situation irrégulière passent au CRA ».

Dans l’attente de leur jugement, les quatre prévenus sortent du box, accompagnés de près par la police. Bien qu’ils semblent déboussolés, on voit sur leur visage une certaine détermination, la même détermination qui les a poussés à s’évader certainement. Avant de sortir du box, le quatrième prévenu lance un dernier regard dans la salle, probablement à la recherche d’un visage familier. Peut-être retenteront ils de s’évader…

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