La pièce de théâtre de Wahid Chaib, « Si on se disait tout », présentée le 24 février, dernier a ému le public du TNP. Son oncle Azouz Begag était présent à la première représentation du spectacle. Le LBB en a profité pour lui poser quelques questions.
Azouz Begag est un enfant de La Chaâba, un ancien bidonville du parc de la Feyssine. Des quartiers à une vie politique au gouvernement de Dominique de Villepin, il nous donne son avis sur une pièce de théâtre mêlant identité et pluralité.
Avec Si on se disait tout, peut-on parler d’une troisième génération de témoignage de la part des enfants de La Chaâba ? Avez-vous ressenti une différence par rapport à la manière dont cette génération aimerait communiquer ses sentiments ?
Oui c’est une autre étape. La précédente était, je crois, il y a une vingtaine d’années et était parrainée par Guy Bedos (Rires sur la ville, 1994) et Didier Vignali. Ils avaient décidé de raconter ce qu’il se passait à Vaulx-en-Velin en 1990-1995, des années difficiles, où le jeune terroriste Khaled Kelkal s’est notamment fait abattre. Une troupe de théâtre avait pris la parole plutôt que de laisser les médias parler d’eux. Cela ressemble étrangement à ce qu’il se passe aujourd’hui. Cette parole, il y a 20 ans, elle, était plutôt musclée, transgressive. Aujourd’hui, les temps sont encore violents, mais ce qu’a fait Wahid et toute l’équipe de Si on se disait tout est beaucoup plus intelligent, plus profond. Comme eux-mêmes le disent, on est en présence d’acteurs de théâtre et d’acteurs de terrain.
Oui, ce sont des liants, des lieurs. On doit recoudre le lien social ô combien déchiré par l’époque que l’on vient de vivre, notamment avec les guerres comme le Liban, l’Irak, la Syrie. Aujourd’hui ce sont les guerres identitaires qui opposent les Français « de souche », aux Français « des branches » [référence à une citation du spectacle, ndlr]. Je trouve que toutes les liaisons sont faites avec le rire et la douleur, avec une mise en scène s’appuyant sur une très forte réalité de terrain, que tous ces acteurs connaissent parfaitement puisqu’ils arrivent de l’autre côté du périphérique. C’est une nouvelle étape qui est franchie aujourd’hui dans le dialogue social, dans la rencontre entre les uns et les autres et dans l’acceptation, peut-être, d’une France désormais multiculturelle !
Justement, le multiculturalisme, surtout dans le cas de Villeurbanne, a été une grande utopie sociétale et architecturale depuis les années 1930. Celle-ci a continué par la suite avec les différentes vagues d’émigration.
Oui, nous sommes en plein cœur de l’utopie ouvrière des années 1930 : une volonté urbanistique de faire se rencontrer dans le même bâtiment des gens venus d’horizons sociaux et culturels différents. Ça a traîné la patte pendant deux générations. Mais on voit que le « nouveau Villeurbanne » naissant est entré en salle, se met en scène et raconte beaucoup mieux ce que les politiques tentent de décrire dans le vivre ensemble. C’est parfaitement joué, c’est magnifiquement vivant, très profond et maîtrisé. Tout cela m’émeut beaucoup parce que je ne m’attendais pas du tout à ce type de spectacle, animé par une atmosphère musicale d’un Maestro qui s’appelle Allaoua Bakha, qui nous vient de Saint-Étienne. Chez les Stéphanois, c’est à peu près la même histoire. C’était une ville très ouvrière, mixée avec plusieurs origines, où la présence maghrébine est très importante.
Avec la prise de parole, il y a une prise de pouvoir. Qu’est-ce que cela révèle de la politique villeurbannaise et lyonnaise ?
Avec cette prise de parole, donc de pouvoir des gens, on se rend compte que la vraie vie – celle qu’il y a à côté des médias, à côté du champ politique – c’est celle-là. Une vie mettant en contact des gens avec plein de talents les uns et les autres et qui sont obstrués par une impossibilité de communiquer pour des raisons X et Y. Finalement, ils trouvent un chef d’orchestre qui n’est ni un personnage politique, ni une autorité qui octroie des subventions. C’est un animateur social de Saint-Jean de Villeurbanne, originaire de là-bas, qui, avec toute sa famille, décide de prendre en main l’histoire de leur quartier. La réécrire en fait une prise de parole culturelle qui devient également une prise de parole politique. Comme Zebda à Toulouse avec Magyd Chérif, qui s’était inscrit dans le paysage politique en 2008.
Il y a un beau travail de mémoire en tout cas !
Formidable ! Je me suis retrouvé dans plein d’endroits évidemment ! Wahid s’est inspiré de quelques textes que j’avais écrits comme Le Gône du Chaâba, et un autre qui s’appelle Un mouton dans la baignoire. Ce dernier ouvrage fait la jonction entre Antoine de Saint-Exupéry, avec l’histoire de « dessine-moi un mouton », et les malheurs qui me sont arrivés en politique entre 2005 et 2007, avec Nicolas Sarkozy et toute sa bande de vraies racailles, c’est le cas de le dire ! Les vraies racailles, ce n’était pas les jeunes de banlieues en 2005-2007, ce sont ceux qui ont tué Kadhafi après avoir reçu son argent. Ils l’ont assassiné parce qu’il allait tout révéler. Ils ont essayé de nous jouer une pièce de théâtre en faussant les routes, en montrant des boucs émissaires qui hélas étaient les mêmes qui ont servi à la République française des années auparavant. On se rend compte aujourd’hui que la vraie racaille, c’était eux, en blessant la République et en affaiblissant toutes les valeurs qui constituent le ciment identitaire de ce beau pays. Grâce à l’équipe de Si on se disait tout, ces valeurs sont en hausse.
En espérant que cette compagnie puisse évoluer dans d’autres théâtres et que cette forme de langage puisse s’adapter dans plusieurs centres en France…
Oui bien sûr, ça sera le cas. Je ne vois pas comment on pourrait ne pas inviter ce genre de spectacles partout en France et dans les pays francophones en tout cas. Il faut parler de la politique française et contemporaine. Pour moi, le 24 février 2018 est un grand moment, une grande étape dans l’avenir de cette société et dans la croyance qu’auront des milliers de personnes à travers les quartiers. Ils peuvent prendre la parole et devenir sur les scènes les acteurs de leur propre histoire.