Andréa Kotarac est la tête de liste du Rassemblement National pour les élections régionales en 2021. Ancien conseiller régional, il nous dévoile les grandes lignes de son programme.
Membre du Parti de gauche et de la France Insoumise, vous êtes élu conseiller régional en Auvergne-Rhône-Alpes en 2015, puis vous vous présentez ensuite aux élections législatives dans la septième circonscription du Rhône, où vous arrivez troisième avec 13,3 % des suffrages. Quatre ans plus tard, vous soutenez le Rassemblement National aux élections européennes de 2019, ce qui provoque votre éviction de la gauche. Tête de liste au RN pour les élections métropolitaines en 2020, vous l’êtes de nouveau pour les élections régionales en 2021.
Vous dites que j’ai été évincé de la gauche. La gauche ne m’a pas évincé, je l’ai quitté car la gauche avait déraillé. Je n’ai pas changé mes convictions. J’ai démissionné de mon mandat régional, ce que je n’étais pas obligé de faire puisque je suis le seul homme politique qui a rendu au peuple son mandat. Quand vous regardez les sondages, vous avez plus d’électeurs de Jean-Luc Mélenchon qui reportent leurs voix sur Marine Le Pen que d’électeurs de Xavier Bertrand. C’est du jamais vu. Une partie de la gauche me suit. Sur l’immigration, un tiers des électeurs de la France Insoumise pensent comme Marine Le Pen. En 2015, Marine Le Pen avait 5 % de bonnes opinions chez les mélenchonistes. Quand il y a eu une candidate voilée sur les listes de Besancenot, Mélenchon était contre.
Intrinsèquement, vous sentez-vous toujours de gauche ?
Je me suis engagé à gauche parce que j’étais favorable à une justice sociale. Je ne souhaite pas qu’un Français soit laissé pour compte, qu’on fasse une forme d’ultra libéralisme comme avec Macron sur les retraites où chacun est pour sa gueule. Aujourd’hui, je pense qu’on a besoin de rassemblement et que le système social français tel qu’il a été créé après la Seconde Guerre mondiale, à savoir que les actifs paient les retraités, est une forme de solidarité mais aussi un sentiment d’appartenance à une nation, à une grande famille. Je suis assez inquiet par la situation actuelle. J’ai des origines serbes par mon père et iraniennes par ma mère donc on sait ce qu’est la guerre civile dans la famille. Malheureusement, quand vous parlez à des ex-Yougoslaves, qu’importe leur religion, où à des Algériens, tous vous diront : « Bon sang, ce qu’il se passe en France, c’était comme dix ans avant notre guerre civile. » Ça devrait faire réfléchir.
Pourquoi vous présentez-vous aux élections régionales ?
La région Auvergne Rhône-Alpes est la collectivité territoriale que je connais le mieux. Je suis un produit d’Auvergne Rhône-Alpes. Je suis né en Haute-Savoie, j’ai grandi à Thonon-les-Bains, j’ai eu mon bac et puis comme beaucoup de Haut-Savoyards, je suis allé étudier à Lyon. C’est là que j’ai commencé à travailler et que j’ai été élu.
Quel bilan tirez-vous du mandat de Laurent Wauquiez ?
Laurent Wauquiez est un ancien ministre qui a souvent changé son fusil d’épaule. Sur le mandat, il a fait beaucoup de communication. Là-dessus, je pense que c’est le meilleur des présidents de région. Lorsqu’il trouve des masques avant Jean-Yves Le Drian, il paye entre 30 000 et 60 000 euros de communication selon Libération pour expliquer qu’il a trouvé des masques. Il a peut être dépensé plus en communication que le prix des masques. Pour être plus positif, il a voulu simplifier certaines choses. Par exemple, depuis la loi sur la Nouvelle Organisation Territoriale de la République, la Région a une compétence très importante, voire exclusive en matière économique. Quand on est un entrepreneur, vous avez plein d’interlocuteurs : chambre de commerce et de l’industrie, chambre de l’artisanat… Vouloir faire un guichet unique comme il l’a fait : c’est plutôt pas mal.
Maintenant, il ne va jamais jusqu’au bout. Prenez Ecopla, par exemple, unique fabriquant de barquettes en aluminium du pays, leader européen, pôle d’excellence français. L’entreprise était sauvable. On pouvait faire en sorte que les salariés puissent racheter l’entreprise, le carnet de commande explosait. M.Wauquiez n’a pas fait grand-chose sinon de la communication là encore. Beaucoup de ses élus se posent sur les sièges de la commission économique et pensent qu’ils sont chefs d’entreprise. Ce n’est pas ce qu’on leur demande. Ils sont des hommes politiques. On leur demande de savoir vers quelle filière on oriente la région, ceux qu’on souhaite soutenir et ceux qu’on ne souhaite plus soutenir. Un autre exemple : Ferropem, en Savoie, leader de la fonderie dans le silicium qui aide à produire les panneaux solaires, un savoir-faire français depuis 1928 qui part. 223 emplois menacés, que fait Laurent Wauquiez ? Rien là encore. Il se pose en chef d’entreprise lorsqu’il parle à Michelin. C’est très facile mais quand il y a des problèmes économiques, il ne propose rien. On nous explique que les entreprises de la région doivent chasser en meute pour promouvoir le savoir-faire local, régional et aller chercher des marchés à l’étranger et tous ses rapports commencent par : « La concurrence est libre et non faussée ». Il y a une contradiction totale entre ce libéralisme et la défense de l’économie locale. Il aide les agriculteurs mais nombres de ses vice-présidents sont eurodéputés et votent à Bruxelles pour les traités de libre-échange qui précisément pénalisent les agriculteurs locaux. Son mandat régional est incohérent avec le positionnement de sa famille politique et ce sur tous les sujets.
Vous dites que vous connaissez bien la région Rhône-Alpes. Maintenant, on parle de la région Auvergne-Rhône-Alpes. Pour vous, qu’est-ce que ça change ?
J’étais opposé à la fusion des deux régions parce que je pense que la première des problématiques qui se pose à toutes ces fusions qui se font est l’éloignement des pouvoirs et des centres décisionnels du citoyen. Du Cantal en Haute-Savoie, vous avez huit heures de route. Le Cantalou ne peut aller à Lyon devant la Région pour demander telle ou telle chose ou manifester tous les quatre matins. Notre philosophie, c’est le localisme. Ça va être quelque chose de central chez nous. Il faut faire revivre nos territoires. Pendant la crise des Gilets Jaunes, des gens me disaient : « On est fiers d’être Français. On a juste un problème : nos territoires meurent. Il n’ y a plus d’entreprises. Nos patrimoines, nos maisons sur lesquels on a fait des crédits perdent de la valeur alors qu’elles devraient en prendre. On nous pénalise parce que ce sont des urbains qui prennent les décisions. On doit prendre la voiture pour emmener notre fils au club de foot, pour aller travailler et on nous taxe sur l’essence. » C’est une philosophie différente de l’électeur d’EELV qui habite dans Lyon et qui prend sa trottinette pour aller travailler à l’open space.
Il y a aujourd’hui une fracture sociale qui est à mon avis avant tout territoriale. Je propose un développement harmonieux entre les centre-bourgs, les villages, les villes moyennes et les métropoles. Aujourd’hui, les métropoles assèchent tout ce qu’il y a autour alors qu’elles devraient irriguer. Un rapport économique de 2017, le schéma régional de développement économique et d’innovation, montrait que les subventions économiques qu’a octroyé la Région sont principalement dirigées vers les plus grandes villes ou dans les centres économiques. Vous allez me dire : « C’est normal. C’est là où il y a le plus d’entreprises. » Oui, mais ce n’est pas ce qu’on demande à la Région. Encore une fois, on nous demande pas de saupoudrer mais de recoudre les trous dans la raquette. Dans l’Allier par exemple, territoire le plus agricole de la région, j’ai croisé un éleveur qui ne pouvait retirer seulement 1 500 euros tous les trois mois. Un agriculteur sur trois gagne moins de 350 euros par mois dans notre pays et dans notre région. Dans l’Allier, Manurhin, une entreprise militaire, fabrique des petites munitions et des armes. À l’échelle européenne voire mondiale, il y a un déficit de munitions. Il y a ici un savoir-faire total à relocaliser dans le territoire mais la Région ne le fait pas puisque l’Allier a bien moins d’argent et de subventions économiques qu’en a Grenoble par exemple. Il y a un déséquilibre total et nous voulons un équilibre et un développement harmonieux tout simplement.
Actuellement, pensez-vous qu’il y ait une identité régionale en Auvergne Rhône-Alpes, comme en Provence ou en Bretagne ? Pensez-vous qu’il est indispensable d’avoir une identité régionale ?
Nous avons des identités qui sont très marquées dans notre région. La Savoie, l’Allier, l’Auvergne, le Dauphiné… Notre région est la deuxième de France, la première industrialisée qui s’oppose souvent à Paris. On fait partie des sept régions les plus riches. Un conglomérat d’identités compose notre région mais concentre aussi toutes les résistances. Ça va de Vercingétorix à Clermont-Ferrand au plateau des Glières en Haute-Savoie… Notre région a souvent su dire non et je m’inscris dans cette lignée-là, celle de changer le cours des économies qui sont faites, des fusions, du saupoudrage et du clientélisme soit par étiquette politique ou auprès des entreprises pour leur demander des choses derrière. Je préfère plutôt soutenir les habitants, les petites lignes de chemin de fer et notamment les trajets quotidiens plutôt que le Lyon-Turin soutenu par M.Wauquiez. Je respecte la philosophie de Laurent Wauquiez mais ce sont deux philosophies aux antipodes.
Certains territoires de la Région nécessitent de forts investissements car ils ont été délaissés pendant longtemps, comme l’Ardèche ou le quartier du Mistral à Grenoble. Quels sont les projets d’aménagements que vous souhaitez mener ?
Aujourd’hui, quand je vais à Clermont-Ferrand, je prends ma voiture parce que je mets une heure 40 au lieu de deux heures et demi en train. Les deux capitales ne sont pas reliées. Lyon-Clermont est une des lignes les plus sollicitée par les Flixbus. Ça coûte 10 euros en Blablacar et 20 à 30 euros en train. Aujourd’hui, il faut être un militant passionné du ferroviaire pour prendre le train. Ce n’est pas normal donc la première des choses est d’investir sur cette ligne là pour qu’elle soit plus rapide. Je viens de Haute-Savoie, je suis venu étudier à Lyon en 2007-2008. Je mettais moins de temps et dépensait moins qu’aujourd’hui : c’est-à-dire qu’il y a un dégradation totale dans la région en terme de ferroviaire. En Ardèche, depuis 1973, aucun train de voyageurs n’est passé.
Je vais aussi investir en mettant plus de rames entre Lyon et Saint-Étienne par exemple. Laurent Wauquiez avait promis la ligne Lyon-Clermont mais ça n’a pas été fait. Il avait promis une forme de RER régional entre Lyon et Saint-Étienne. La réalité n’a rien à voir avec un RER. Aux heures de pointes, deux wagons arrivent toutes les 25 minutes, aux heures de pointes ! Franchement, ce n’est pas sérieux. Il faut mettre en place non pas une concurrence entre régions mais plutôt une coopération. L’Occitanie souhaite faire revivre les petites lignes de la rive droite du Rhône. La rive gauche se situe en Ardèche. Or, pour faire vivre ces lignes, les trains doivent passer en Ardèche. La Région AuRA a dit qu’elle ne financerait que 10 % de ce projet. C’est-à-dire que des trains de voyageurs rouleront à vide en Ardèche. Je veux rajouter un peu de bon sens et travailler sur ce projet en partenariat avec la région Occitanie afin que les trains qui passeront en Ardèche ne roulent pas à vide pour permettre aux Ardéchois de pouvoir y monter et voyager.
Il y a d’énormes flux de Rhône-Alpins vers d’autres territoires. Je prends le cas des frontaliers qui sont 130 000 dans la région. Le Léman Express relie les villes de Haute-Savoie jusqu’à Genève ou Lausanne en Suisse. J’y suis largement favorable. Ça désengorge complètement les routes. Mais le résultat est ultra décevant. C’est quelque chose qui devait être régulier. Or, d’énormes retards ont été constatés. Le Léman Express n’est pas si express que ça contrairement à ce que peut dire Laurent Wauquiez. Les jeunes frontaliers, vu la protection sociale qu’ils ont là-bas, ne peuvent pas dire chaque fois à leur patron qu’ils sont en retard à cause du Léman express. Ce sont des échecs dans la vie concrète et pratique des gens. Même chose en Ardèche. Beaucoup de gens filent travailler à Montélimar et il n’y a pas de train. Je ne suis pas pour faire la Cécile Cukierman et dire qu’il faut ouvrir toutes les petites lignes. Effectivement, certaines d’entre elles ne sont empruntées que par deux personnes et cela coûte très cher. Mais il y a franchement dans notre région des petites lignes qui changeront le quotidien de certaines personnes et qui peuvent être pour le coup mises en place ou rouvertes. En Auvergne, des lignes comme Clermont ou sur d’autres secteurs comme Ussat ouvrent une voie à toutes les zones thermales et touristiques d’Auvergne. Tout est imbriqué dans ce projet : frontalier, changement du quotidien, tourisme… La région AuRA est magnifique et si l’Allier est réindustrialisé et certains savoir-faire conservés sur le territoire, il y aura du fret à relancer. 48 sites de fret sont aujourd’hui fermés. Il faut en rouvrir la moitié, soit 24 sites pour favoriser le ferroviaire plutôt que le camion encore une fois pour désengorger. Nos chiffres sont très précis sur combien on investit et sur quelle ligne. On a fait un audit avec notre groupe de travail « idées programme ».
Comment faire pour équilibrer l’aménagement des métropoles et des villes intermédiaires (Valence, Annecy, Vichy) ?
Déjà, pour la région, j’ai parlé des subventions économiques, d’un savoir-faire qui est extraordinaire. Laurent Wauquiez saupoudre pour faire plaisir à tout le monde. Nous souhaitons au RN faire des frappes chirurgicales : c’est-à-dire voir où est-ce qu’on cible pour maintenir un emploi, un savoir-faire parce que ça va être bénéfique pour la Région et parce que tel ou tel projet est pour la transition écologique, tel autre pour faire revivre l’Allier par exemple. Ce sont des choses très précises. Ce n’est pas un saupoudrage ou du clientélisme. Ce sont deux visions différentes de faire de la politique.
Par exemple, les arboriculteurs en Drôme et en Ardèche ont subi le gel. La plupart ont perdu 90 % – 100 % de leurs récoltes. La Région a dit qu’elle allait mettre 25 millions d’euros. Il y a deux milliards de pertes juste dans les trois premiers jours à l’échelle nationale. Ça ne sert à rien. M. Wauquiez aurait dû faire en sorte que tous les services administratifs de la Région se mettent à aider pendant trois jours ces arboriculteurs à remplir les dossiers d’ indemnisation de catastrophe écologique, sur le plan national, européen, voir avec les assureurs. Ce sont des dossiers absolument fous à remplir. Or, malgré le choc psychologique d’avoir tout perdu, les arboriculteurs doivent retourner travailler parce qu’il faut élaguer. La Région aurait dû être là pour les soulager, les alléger et faire les dossiers d’indemnisation. Ça aurait coûté zéro euros au contribuable.
La Région peut vraiment agir concrètement sur le tourisme, le social et la précarité. L’agence Auvergne-Rhône-Alpes Entreprises aurait dû aussi établir une plateforme. Beaucoup de saisonniers, d’étudiants m’ont dit : « On ne peut plus travailler dans les restaurants et les cafés donc on va travailler pour les stations de ski parce qu’on sait qu’il y a de la demande. » C’est ballot, le gouvernement ferme les stations de ski. « On va aller faire la cueillette automnale. » C’est ballot, il y a du gel donc les jeunes n’auront rien. La Région aurait pu mettre en place cette plateforme à travers Auvergne-Rhône-Alpes Entreprises qui est un réseau d’entreprises pour permettre d’agir. Même chose pour les stagiaires. Dans les lycées professionnels, il y a des stages obligatoires en seconde, première et terminale. Rien que dans Lyon, 39 000 élèves ne trouvent pas de stages parce qu’ils n’ont pas les bonnes adresses, parce que les parents n’ont pas le bon réseau ou parce que les entreprises ont autre chose à faire en ce moment. Là aussi, des conventions région-État-entreprises aurait pu être signées à travers Auvergne-Rhône-Alpes Entreprises pour faire en sorte qu’une entreprise qui est soutenue économiquement puisse en contre-partie accueillir en fonction de sa taille et des subventions tant de stagiaires des lycées professionnels. Zéro euro pour toutes ces propositions et ça change pourtant la vie de beaucoup de familles, de lycées pour faire en sorte que la Région leur donne un peu d’oxygène. Je peux faire le tour de toutes les thématiques, c’est tout le temps la même chose.
Victor Labrousse-Vergier