Le théâtre de la Croix Rousse a fait salle comble hier. En cette soirée du lundi 21 janvier 2012, ce n’était pas une pièce qui s’y jouait, mais une rencontre entre Martin Hirsch, créateur entre autres du RSA, et Nicolas Duroux, sociologue qui a récemment publié Le Nouvel Age de la Solidarité.
Photo de David.Monniaux, creative communs
Le politique Martin Hirsch et le sociologue Nicolas Duroux ; tous deux étaient réunis pour traiter de la Solidarité : une valeur à redéfinir ? Le débat, temporisé par le directeur littéraire du Nil Guillaume Allary, a été intéressant sous de nombreux aspects. D’une part, il a mêlé la pratique à la théorie ; et d’autre part, il a mis en évidence des points de vue aussi différents qu’approfondis concernant les politiques d’assistance en France. Leurs échanges ont mis en exergue la complexité du système dans lequel nous vivons. Ils ont abouti à une ou deux propositions concrètes, sinon pratiques, pour que ce « principe de solidarité » ne reste justement pas un simple « principe ». Cette rencontre s’inscrit dans le programme plus vaste des Causes Communes dédiées cette année à la Justice et l’Injustice ; une co-organisation en partenariat également avec l’Opéra de Lyon et la Villa Gillet.
La solidarité est un phénomène intimement lié à celui de la pauvreté. Martin Hirsch a jugé bon de rappeler que ce problème est réapparu galopant dans les années 80. Depuis cinq ans, dans le contexte difficile que nous connaissons, les problèmes sociaux sont encore plus nombreux et nécessitent plus de moyens pour les résoudre. Et visiblement, les leviers mis en place tels que le Revenu de Solidarité Active (RSA) et plus anciennement le Revenu Minimum d’Insertion (RMI) ne suffisent pas à améliorer à eux seuls la pauvreté.
Solidarité publique : des politiques d’assistance pragmatiques limitant la misère
Crée en décembre 1988 sous le gouvernement Rocard, le RMI est intervenu au moment où l’Etat s’est rendu compte non seulement que le travail ne suffisait pas à subvenir aux besoins de tous. Il y a un certain niveau de productivité dans un pays auquel il faut se soumettre pour espérer vivre convenablement. Mais également, cette décision intervient à un moment où l’Etat décide d’intégrer la classe la plus pauvre de la société qui, jusqu’alors, vivait principalement de la charité, sans possibilité d’intégration professionnelle et sociale.
Déjà mis en place pour la première fois en 1968 à Besançon, le RMI entre en vigueur nationalement pour permettre aux plus pauvres de réintégrer la vie de la société. En théorie, cela permet aux bénéficiaires d’avoir des conditions de vie moins misérables, un peu plus d’autonomie, un retour de l’espoir et de la confiance en soi ; en pratique, cela réduit la misère mais engendre un étiquetage d’une partie de la population qui, déjà démunie, se voit rabaissée au rang de « Rmistes ». Le comble, c’est que certaines institutions, les mêmes qui étaient censées les aider, en arrivent parfois à également les rejeter. Nombre de Rmistes ont tenté de re-rentrer dans le monde du travail mais en ont été découragés par les centres d’insertion à l’emploi qui leur ont fait comprendre qu’étant Rmistes, ils auraient peu de chances de trouver quelque chose. Le 1er juin 2009, le RSA remplace le RMI pour tenter de palier à ces lacunes et faciliter l’insertion de cette classe de la population.
L’histoire du RMI et RSA met en évidence certaines lacunes de ce que l’on appelle communément « les politiques d’assistance ». Si elles contiennent et réduisent partiellement la misère, elles ne l’éradiquent pas pour autant. Ces politiques d’assistance provoquent paradoxalement et involontairement des divisons, des jalousies et méfiances au sein d’une classe qui se tire dans les pattes, alors que sa situation n’est pas bien éloignée. « Ce qui finalement arrange peut-être bien l’Etat», ajoute Martin Hirsch.
La stigmatisation, un revers qui implose au sein d’une classe toujours victime de la misère
Le second invité au débat, Nicolas Duvoux, possède un regard plus distant vis-à-vis des politiques d’assistance. Il fait également preuve d’une connaissance approfondie sur leurs conséquences au niveau des relations sociales. De son point de vue de sociologue qui tend à la plus grande objectivité, il voit dans ces mesures d’assistance « des conséquences qui vont totalement à l’encontre de la raison même pour laquelle elles ont été créés : l’insertion. Loin de faciliter l’intégration des individus les plus pauvres, elles créent de nouvelles tensions au sein des individus. Elles entraînent sans le vouloir une stigmatisation des « assistes » et les exclut davantage du système ». Parfois même, ceux qui pourraient bénéficier de ces mesures ont honte d’en faire la demande, sous peine d’être mal vus et catalogués Rmistes aux yeux de la classe pauvre qui n’en bénéficie pas. Nicolas Duvoux ne souhaite pas s’attarder à évoquer l’opinion très répandue selon laquelle les « pauvres privilégiés » sont des fainéants qui profitent du système et ne veulent pas travailler.
Il serait tout de même mensonger de nier l’existence d’une telle tranche de la population qui d’après Martin Hirsch reste stable de générations en générations. « Depuis que l’humanité existe, il y a toujours une minorité qui profite du système et ne respecte pas les lois. Il y en a ni plus ni moins aujourd’hui, cela semble constant », précise-t-il.
Solidarité publique & privée : unies plûtot que divisées ?
Le débat met en perspective les conséquences sociales des politiques française de l’assistance, qui d’elles-mêmes dévoilent leurs failles et faiblesses : ces politiques divisent les classes entre elles, en même temps qu’elles stigmatisent celles qui en bénéficient et ne réduisent pas véritablement la pauvreté. Martin Hirsch rappelle tout de même que « les politiques mises en place sont d’une grande complexité et que comme dans tout rouage, il y a une marge d’erreur. Comme l’humain est humain, nous ne sommes pas à l’abri d’imperfections, d’abus ou autres. »
Heureusement, le discours ne s’arrete pas là. C’est là que le point phare de l’allocution de Martin Hirsch sur l’engagement prend tout son sens. Selon lui, être engagé s’est s’investir dans quelque chose qui dépasse notre propre individualité. En ce sens, nous sommes tous engagés de quelconque manière : dans notre famille, au travail, dans une association…C’est pourquoi la solidarité publique doit s’allier à la solidarité privée et non se diviser. « Par exemple, dit-il, si nous introduisions des volontaires en Service Civique au sein des administrations débordées, nous arrangerions tout le monde. Les jeunes auraient une expérience et un revenu ; les fonctionnaires seraient soulagés de la masse de travail qu’ils ne peuvent gérer. La qualité du service public en serait améliorée en même temps que la satisfaction des bénéficiaires qui le plus souvent ont à faire au discours langue de bois d’employés ».
Permettre aux jeunes de s’en sortir tout en étant utile est important car il semblerait que de nos jours, l’un des plus gros problèmes qu’affronte la solidarité concerne la jeunesse. C’est la classe de la population qui a le moins de droits. Martin Hirsch questionne : « faut-il ouvrir des droits à partir de 18 ans? » Des idées certes, mais venant de quelqu’un qui a déjà mis en place plusieurs mesures phares. Quoique l’on en dise aujourd’hui, elles améliorent le sort de plus d’un million d’individus.
Alors la solidarité : est-ce une notion à redéfinir ? Nicolas Devoux rappelle qu’il s’agit de l’interdépendance des individus dans la société. Il ajoute que c’est la société qui, par le choix des politiques, décide de la manière dont les membres qui la composent interagissent. En somme, nous avons tous besoin les uns des autres. « Et si l’union rendait moins pauvre, à commencer par celle de la famille ? », déclare une personne âgée remerciant ses parents pour lui avoir enseigné cette valeur fondamentale : la solidarité.