Le 22 juillet dernier, la Compagnie du Subterfuge se rendait de nouveau dans les rues du quartier Gorge-de-Loup, dans le 9ème arrondissement de Lyon. Après le succès de « C’est quoi ton rêve ? », dernière édition de son projet participatif « Faire danser les murs », l’association lance un nouveau volet encore plus orienté vers la danse. LBB a accompagné Laureline Gelas, porteuse du projet, et Kevin Buy, photographe, pendant leur tour dans le quartier. Une heure de rencontres exceptionnelles.
36 degrés à l’ombre, peu de vent et pas le moindre nuage dans le ciel : normalement des raisons suffisantes pour rester à la maison, fermer les fenêtres et se rendre à un endroit froid. Pas pour Laureline Gelas, danseuse hip hop et directrice artistique au sein de la Compagnie du Subterfuge depuis 2008. Rapidement, la quarantenaire fonce vers la rue en direction d’un homme âgé. « Jean-Pierre, vous étiez dans l’exposition ! », lui crie-t-elle en rigolant. Il fait partie des vingt-et-un personnes photographiées dont l’image a été tirée pour l’exposition « C’est quoi ton rêve ? », affichée jusqu’au 18 juillet à la mairie du 9ème arrondissement. Le septuagénaire ne peut guère le croire. Laureline Gelas saisit l’occasion : « Cela vous dit de participer de nouveau ? On essaie de faire danser tout le monde dans la rue. ».
« On cherche toujours à avoir les gens dans un moment spontané, qui arrive comme ça. »
Le projet évoqué par la chorégraphe est déjà la troisième édition de la résidence artistique « Faire danser les murs » menée avec les habitants du quartier Gorge-de-Loup. En septembre 2017, la première édition, mêlant danse et photographie lumineuse, a lancé ce projet participatif. Pendant six mois, l’équipe artistique de la Compagnie du Subterfuge a installé une tente dans la rue, sous laquelle les habitants pouvaient créer leur propre œuvre avec la mécanique du light painting. La troisième édition, intitulée « We are so exquis ! », les fait entrer encore plus dans la danse. « On leur demande de montrer une position dansée », raconte Laureline Gelas qui travaille en collaboration avec les trois photographes Marion Bornaz, Juliette Treillet et Kevin Buy. La deuxième semaine de chaque mois, les artistes arpentent la rue à la recherche d’instants de vie simples. « On cherche toujours à avoir les gens dans un moment spontané, qui arrive comme ça. », rit la chorégraphe.
Recréer du lien dans un quartier prioritaire
L’objectif sous-jacent est de mettre en exergue la créativité des habitants et la dynamique du quartier, classé en zone prioritaire de la politique de la ville. La Compagnie du Subterfuge souhaite recréer du lien entre les différents acteurs de la vie du territoire : « Il s’agit de créer une dynamique engagée répartie sur différentes structures qui ont des actions complémentaires ». Les œuvres créées dans le cadre des éditions précédentes ont notamment été exposées à la Médiathèque de Vaise et à la Mairie du 9ème arrondissement. Ces partenariats étroits pourraient être reconduits pour cette troisième édition. Cependant, les photos seront dans un premier temps affichées in situ. « On fera une fresque avec plein d’habitants, qui seront tous en mouvement sur les murs du quartier », dévoile le photographe Kevin Buy. Convaincus par les précédents projets de la Compagnie, certains habitants se portent déjà volontaire pour afficher de nouveau des clichés sur leurs propres murs. C’est le cas de Thierry, amateur d’art depuis des années, attristé par le retrait d’un premier portrait collé à côté de sa fenêtre.
« On s’est rendu compte que la fracture numérique est réelle ici. »
En plus de son aspect dansant, une nouveauté rend cette troisième édition encore plus spéciale : une application numérique permettra aux habitants de recréer des personnages issus des parties du corps de différents habitants. « On s’est rendu compte que la fracture numérique est réelle ici. », explique Laureline Gelas, d’un ton sérieux. « Certains foyers n’ont ni adresse mail, ni ordinateur à la maison ». À travers cette nouvelle application numérique, l’équipe souhaite faire une entrée au numérique sur un point artistique. À l’aide d’une tablette numérique, deux personnes en Service Civique s’occuperont de créer les personnages symboliques. Une ouverture au monde digital, mais aussi un rapprochement entre l’équipe artistique et les riverains du quartier, de plus en plus investis dans le projet.
À 70 ans, Jean-Pierre se prend, lui aussi, au jeu. Sur le trottoir devant la maison de retraite, le retraité fait une pose après l’autre pour le plus grand plaisir de Laureline Gelas et Kevin Buy. Le temps de quelques clichés, l’ancien professeur en sciences économiques devient danseur. Rapidement, il revient dans sa vie quotidienne. Il faut se dépêcher, le tabac du coin ferme à 19 heures.