Zyed et Bouna, l’apartheid judiciaire

[Point de vue] En France, une justice de classe ? Une justice blanche ? À l’« apartheid territorial, social et ethnique » évoqué par le premier ministre Manuel Valls, peut-on à présent rajouter l’apartheid judiciaire ?

27 octobre 2005. Des jeunes jouent au foot. La BAC débarque suite à un appel téléphonique. Les jeunes s’enfuient parce qu’ils ont peur des policiers. Trois adolescents se réfugient dans un poste électrique. Les policiers savent que cette zone électrifiée est mortelle. « Ils sont rentrés dans la centrale. Je donne pas cher de leur peau », déclare un policier au talkie-walkie (déclaration enregistrée et diffusée lors du procès). Mais aucun ne fait un geste pour leur venir en aide. Zyed et Bouna décèdent, électrocutés. Muhittin est brûlé, mais vivant… Dix ans plus tard, la justice a tranché. Les policiers sont relaxés. Ils ne devaient donc pas porter « assistance à personne en danger ». Circulez, y’a rien à voir.

Les lois françaises s’appliquent donc au faciès et selon que l’on provienne ou pas des classes populaires

Cette décision n’a pas surpris les observateurs de cette affaire. Dans ce type de procès, les policiers sont rarement condamnés. Les gouvernements se suivent et se ressemblent, l’État fait bloc : le ministère de l’Intérieur n’a jamais sanctionné en interne les officiers de police judiciaire. Cette injustice écorne une nouvelle fois le principe d’égalité : les lois françaises s’appliquent donc au faciès et selon que l’on provienne ou pas des classes populaires. Les jeunes qui se sentaient déjà en insécurité face à la police seront toujours plus en tension. Les beaux principes énoncés dans la loi n’ont pas cours lorsqu’il s’agit des classes populaires et des personnes issues de l’immigration récente. On peut regretter que l’article 7 du code de déontologie de la police nationale ait du plomb dans l’aile et que la police semble évoluer en toute impunité : cet article dit que le policier est « intègre et impartial », il a « le respect absolu des personnes, quelles que soient leur nationalité ou leur origine, leur condition sociale ou leurs convictions »… 

« La police assassine, la justice acquitte », scandaient des militants peu nombreux, défilant dans les rues le mardi 18 mai, jour du verdict. Un message quasi inaudible. La réaction à ce déni de justice est extrêmement faible par rapport à la résonance des émeutes de 2005. C’est d’ailleurs suite à ces émeutes et au traitement médiatique déséquilibré qui avait été constaté par des journalistes que le Bondy Blog est né. Mais dix ans plus tard, la défiance envers les institutions et plus largement la société française ne pousse pas les gens à l’espoir. Et il en faut de l’espoir pour s’opposer à ce mur qu’est la République.

Les contrôles d’identité, un symptôme de l’apartheid

Les statistiques ethniques sont interdites en France. Une recherche a cependant été effectuée à Paris par le GISTI (Groupe d’information et de soutien des immigrés), financée par l’organisme américain Open Society Justice Initiative.
 Que faut-il retenir de cette étude ?

La France fait pire que la Grande-Bretagne et les États-Unis

Lors de cette étude, les chercheurs ont démontré que les populations issues de minorités visibles sont largement plus contrôlées que le reste de la population :

« Nous n’avons relevé que 7,5 % de Noirs dans la population présente à la descente du Thalys, mais ils y forment 31 % des personnes contrôlées. À la Fontaine des Innocents, ils constituent 30 % de la population de départ, mais 62 % de la population contrôlée. Pour résumer, les Noirs ont entre 3,3 et 11,5 fois plus de risques d’être contrôlés que les Blancs au regard de leur part dans la population disponible ; les Maghrébins entre 1,8 et 14,8. Ces odds-ratios* surpassent ceux habituellement observés dans des études comparables en Grande-Bretagne et aux États-Unis. »

Mais la couleur de la peau n’est pas le seul facteur retenu par les policiers dans le choix des personnes à contrôler. Une « tenue jeune » (les autres retenues dans l’étude étaient business ou décontractée…) est un facteur également hyper important. Au final, leur constat est clair :

« Les policiers surcontrôlent une population caractérisée par le fait qu’elle est masculine, habillée de manière typiquement jeune et issue de minorités visibles. »

*Le odds-ratio est un « rapport de rapports » (« ratio de ratios ») : il est le rapport de la part d’un groupe dans la population contrôlée et de la part du même groupe dans la population disponible.

 

Les déclarations des politiques

Marion Maréchal-Le Pen (FN) : « Ce verdict prouve que la racaille avait bien mis la banlieue à feu et à sang par plaisir et non à cause d’une bavure policière ».

Christian Estrosi (UMP) « Je ne peux que me réjouir aujourd’hui que [les policiers] aient été relaxés. [Cela fait] dix ans que ces malheureux policiers sont mis en examen » Se trompant d’affaire, il a également déclaré « Les familles n’ont qu’à éduquer leurs enfants »




Christiane Taubira (ministre de la Justice, Parti radical de gauche) lui a répondu : « Je suis choquée effectivement que des responsables politiques puissent avoir des paroles aussi abjectes alors que les cœurs des mamans et des papas sont encore en lambeaux ».

Emmanuelle Cossse (Europe Ecologie, Les Verts) : « Zyed et Bouna morts pour rien et niés par la justice. Ce jugement est incompréhensible. Rien n’efface la tristesse »

Raquel Garrido (Parti de gauche) : « On parle d’égalité (….) Mais on ne sait pas rendre justice à nos enfants morts »

Alain Pojolat (NPA) revient sur « les mensonges d’État proférés à l’époque par Sarkozy et Villepin qui avaient immédiatement affirmé que “les fuyards avaient tenté de cambrioler un chantier et qu’ils n’étaient pas poursuivis par les forces de l’ordre”. » 
Il regrette que « décontextualisé et réduit à la mise en cause de deux fonctionnaires, ce procès aurait dû clairement établir la responsabilité des policiers. » 
Il craint finalement que le verdict soit « interprété comme un véritable permis de tuer pour la police ! »

 

 

La rédaction

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