Villeurbanne : le cannabis s’invite en politique

Entre décembre et février dernier, la mairie de Villeurbanne a organisé une consultation citoyenne sur la dépénalisation et la légalisation du cannabis, qui fait énormément parler en France. Les Villeurbannais se sont emparés du sujet, et les politiques de la ville ont tenté de tirer leur épingle du jeu.

Durant tout décembre jusque février dernier, la ville de Villeurbanne s’est intéressée à l’avis de ses citoyens sur le cannabis à travers une consultation. Débats, rencontres, ateliers ou encore tables-ronde, de nombreux moyens ont été utilisés pour récolter l’avis et les propositions de près de 1000 Villeurbannais.

De plus, une consultation en ligne était également disponible, ainsi que des lives sur Facebook, afin de rendre la discussion accessible au plus de personnes possible. Pendant ces événements, les citoyens ont été rejoints par neuf experts : avocats, économistes, sociologues …

Après deux mois de débat, les chiffres sont tombés : 72 % des Villeurbannais sont pour la légalisation ou la dépénalisation du cannabis. Sur la consultation en ligne, 75 % des votants sont pour une légalisation contrôlée de la consommation et du trafic. Un livre blanc a été envoyé au gouvernement, mais aussi aux députés du Rhône, et rendu disponible sur le site du Grand Débat.

Pendant ces deux mois, les trois grands axes autour du cannabis ont été explorés : prohibition, dépénalisation et légalisation. Le constat est clair : le cannabis est indéniablement présent et ancré dans la société française, d’après les idées et les propositions qui ont émergées pendant le débat. La France est d’ailleurs le premier pays consommateur d’Europe, d’après l’Observatoire Européen des Drogues et Toxicomanies (OEDT). Il n’est pas étonnant que Villeurbanne soit innovante sur le sujet : le cannabis est très présent au sein de la ville. Dans le document résumant la consultation, l’OFDT a observé que 56 Kg de résine de cannabis ont été saisis entre novembre 2017 et avril 2018 rien qu’à Villeurbanne, ainsi que 5,6 kg d’herbe et 39 645 euro en liquide.

Une tentative d’innovation sociale de la mairie, « la facilité » pour l’opposition

C’est à la mairie de Villeurbanne que ce projet encore inédit en France a été lancé. Didier Vullierme (Parti Socialiste) y est adjoint à la Sécurité et à la prévention. Pour lui, cette consultation a été lancée pour un briser un « tabou » dans une ville qui pourtant le côtoie au quotidien. Il témoigne : « Les citoyens, même sur un sujet un peu compliqué et sensible comme la place du cannabis dans notre société, quand on leur donne la capacité de s’exprimer, ils le font avec beaucoup de clairvoyance ».

Selon ses dires, les autres villes, territoires et même l’Etat devraient se saisir de ce débat. En proposant et en réalisant un tel projet, cela montre que les citoyens « peuvent être en avance par rapport au législateur et la législation ». Didier Vullierme parle alors de ceux à l’initiative de la consultation : les français ont une véritable attente de la part du gouvernement pour qu’il traite le sujet « Nous, les contributeurs, sommes un peu des lanceurs d’alerte ».

Jean-Wilfried Martin, conseiller municipal Les Républicains, n’est pas vraiment enchanté par cette consultation. Selon lui, les stupéfiants sont une question à traiter au niveau national par les Parlementaires, et la commune n’aurait pas dû lancer un débat municipal. « Insurgé », il dénonce l’existence d’une soixantaine de points de ventes de cannabis dans Villeurbanne. « La mairie est tombé dans la facilité », regrette-t-il.

 « Le cannabis est devenu en quelque sorte un produit de consommation banal » défend Didier Vullierme, soulignant qu’il a énormément appris sur le sujet durant la consultation. « Le cannabis a commencé à être consommé en France dans les années 1960, 1970. Aujourd’hui, nous avons la troisième génération de personnes qui en consomme », explique-t-il. 

Pour Béatrice Vessiller, conseillère municipale Europe Ecologie Les Verts, cette prise de parole citoyenne et encadrée par des experts pourrait très bien être intégrée à un « grand débat national ». Pour désacraliser le sujet, elle cherche à montrer à quel point la consommation de cannabis est une banalité en France : « On est dans un moment où de nombreux sujets tabous sautent, et celui-ci en fait partie. Et puis la consommation raisonnée, c’est assez banal finalement ».

La consommation du cannabis, une « banalité »

Vullierme fait également remarquer que beaucoup de personnes connaissent des fumeurs dans leur entourage, et que les considérer comme criminels est « aberrant » : « ce sont des gens qui fument dans leur canapé, devant la télé comme ils feraient avec une bière ».

Dans la rue, beaucoup de Villeurbannais croisent régulièrement le cannabis : selon une enquête réalisée durant la consultation, 41% des Villeurbannais questionnés disent être exposés quotidiennement au trafic de cannabis. Didier Vullierme reprend cet argument pour faire disparaître les clichés : « Aujourd’hui, on a tous types de Français qui consomment du cannabis, et parfois sur plusieurs générations ».

Jonathan Bocquet (Parti Radical) est un adjoint à la mairie, à la jeunesse. Il a aussi participé à la consultation citoyenne, et son avis est assez similaire à celui de son allié M. Vullierme « Directement ou indirectement, on connaît tous un fumeur. Ce qui était un phénomène marginal est devenu un phénomène de société ».

« La prohibition n’empêche pas l’accroissement de la consommation », observe Mme Vessiller. Une consommation non contrôlée et de parfois mauvaise qualité. En 2014, l’association Terra Nova recensait 550 000 Français consommateurs réguliers. Les consommateurs se jouent bien plus des interdits que quelques années auparavant. En 1992, l’OFDT avait recensé que 12,97 % des Français adultes avait consommé au moins une fois du cannabis dans leur vie. Aujourd’hui, les chiffres montent à 44 % des adultes.

Le dessin de JCL sur le cannabis. Crédit : JCL
Après la consultation citoyenne sur le cannabis à Villeurbanne notre dessinateur JCL livre sa vision humoristique du sujet. Crédit : JCL

L’éducation, enjeu au cœur du débat

Pour Jonathan Bocquet, l’éducation est un élément essentiel autour du débat du cannabis, dans le but de « protéger la santé de tous ». L’adjoint à la Jeunesse est sûr qu’on ne pourra pas empêcher les jeunes de fumer. « C’est illusoire de penser ça », affirme-t-il. En cas de légalisation, il faudra selon lui faire de la prévention, afin d’éviter des « troubles psycho-sociaux, des sorties de scolarité, et le renfermement sur soi ».  Jean-Wilfried Martin est d’accord : « C’est le rôle de tous les acteurs de faire de la prévention, surtout auprès des générations de moins de dix ans ».

Mais si certains sont trop compliqués à récupérer, alors l’élu LR, qui qualifie les 18-20 ans de « génération perdue » est clair : il faut faire de la « répression ». Il prend pour exemple la mesure d’éloignement des jeunes des quartiers de l’époque de Lionel Jospin. Car le problème pour Jean-Wilfried Martin, c’est que certains jeunes ne font pas que fumer et sont impliqués dans le trafic. Il critique notamment le fait que dans le quartier du Tonkin, il y ait de jeunes « trafiquants » de « treize, quinze ans ».

« Nos équipes sont témoins de l’implication de mineurs, parfois dès dix ans, présents sur les lieux du trafic », mentionne la contribution rédigée par les agents territorialisés de Villeurbanne pour la consultation. Le document met en avant le fait que les risques judiciaires sont bien moins élevés pour les jeunes. La loi est en effet plus tolérante envers les mineurs. D’après le Centre d’Information et de Documentation de la Jeunesse, les moins de treize ans ne peuvent ni recevoir d’amendes ni être emprisonnés dans ces cas-là.  

« Ce n’est pas un bon développement pour les jeunes. La mairie est obligée de mettre en place un débat pour cacher son inactivité », tacle Jean-Wilfried Martin. Didier Vullierme n’est pas de cet avis-là. Il rappelle que les jeunes ne sont pas les seuls actifs dans le trafic et n’ont pas les plus grandes responsabilités. Il estime que les têtes pensantes du trafic viennent parfois des plus hautes sphères de la société : « On n’est pas dans la caricature du jeune avec la casquette à l’envers. Il faut que les gens sortent de cet a priori, de ces stéréotypes ».

Plantes vertes et billets verts

Bocquet évoque les questions qui se poseront à propos de la taxation en cas de légalisation du cannabis : « La fiscalité va avoir un impact sur le prix du produit. C’est en fonction du prix final que le trafic perdurera ou pas. Si vous avez un produit en bas de l’immeuble qui est deux fois moins cher qu’au bureau de tabac ou n’importe où, il peut potentiellement y avoir encore du marché noir ».

« Légaliser n’est pas une solution », rétorque M. Martin, car d’après lui les trafiquants se tourneraient alors vers le marché des drogues durs, en plus du marché noir du cannabis qui lui continuerait : « Cela va être comme pour les cigarettes, avec les vendeurs à la sauvette ».

Béatrice Vessiller souhaite que le débat prenne au niveau national, pour faire « ressortir les problèmes liés aux difficultés que posent la loi actuelle ». « C’est l’hypocrisie de la prohibition, dénonce-t-elle. Je pense que ce débat ferait émerger un diagnostic partagé sur le fait que la loi n’est pas appliquée et ne peut pas l’être. On l’a vu à d’autres époques avec l’alcool : la prohibition ne résout pas les problèmes ». La prohibition a aussi un coût. Selon l’OFDT, ce sont chaque année 300 millions d’euros qui sont utilisés dans le cadre d’environ 100 000 interpellations, liées au trafic.

 

En France, le cannabis est un sujet sensible en France. Alors que de plus en plus de pays se penchent sur la question, le gouvernement français semble faire la sourde oreille. En Europe, l’Espagne et les Pays-Bas ont décider de tolérer le cannabis. Une douzaine de pays dont l’Allemagne et la Belgique ont choisi de le dépénaliser. Chez nous, consommer du cannabis peut être passible d’un an d’emprisonnement et de 3750 euros d’amendes, selon le Code de la Santé Publique.

 

 

 

 

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