[Présidentielles 2012] Entre génocide arménien & massacre algérien

Le conseil constitutionnel a censuré mardi dernier, la loi punissant la contestation du génocide arménien. Les sages jugent qu’elle est contraire au principe de la liberté d’expression. Face à cette décision, Lydia a décidé de recueillir les réactions du maire de Villeurbanne, fervent défenseur de cette loi.

 logo france turquieJean- Paul Bret, maire PS de Villeurbanne depuis 2001 a également été le député à l’origine de la loi sur la reconnaissance du génocide arménien en 1998. Il a très amicalement accepté de répondre à mes questions.

Mais de questions en réponses, le 17 octobre 1961 s’est subtilement entremêlé à la conversation.

Quelles sont vos motivations quant à la défense de cette loi ? Sont-elles personnelles, professionnelles… ?

Jean Paul Bret : Elles ne sont pas professionnelles mais personnelles forcément un peu, c’est un engagement tout simplement. Je connais ce problème depuis longtemps mais ce n’est pas uniquement le prisme de la communauté arménienne qui me fait réagir. C’est quand même la communauté arménienne qui en me racontant son histoire, cette souffrance et ce deuil qui n’est pas fait, qui m’a poussé lorsque j’étais député à être un des initiateurs de la loi de 1998. Je ne me place pas que devant la souffrance des victimes qui est réelle mais aussi devant l’universel. Mon combat n’est pas simplement de soutenir les arméniens mais de me battre contre la négation d’un génocide et ce, au nom des valeurs universelles.

Nicolas Sarkozy dit que cette loi est destinée à se protéger contre le négationnisme, peut-on réussir à « supprimer » les propos négateurs par une loi ?

JPB : Non, on ne protège pas tout par une loi mais ce qu’elle permet de faire est que des propos négationnistes puissent être condamnés. Je crois que le problème est un problème de reconnaissance, il ne faut pas permettre le mensonge. On voit bien aujourd’hui quel est le résultat de ce qu’a fait le conseil constitutionnel : les autorités turques qui elles, sont négationnistes (en Turquie quand on évoque le génocide arménien on peut être condamné) se sont félicitées de cette décision et le premier ministre turc a immédiatement ajouté que cela va montrer aux autres pays qui sont engagés pour la reconnaissance –il pense en particulier aux Etats Unis car ce serait très important vu leur poids, qu’ils entament cette étape là de reconnaissance du génocide- de s’en dissuader. Il y a donc une réjouissance obscène de l’Etat turc.
Cela se terminera lorsque l’Etat turc aura la capacité de se pencher sur son histoire. Dans les livres d’écoliers en Turquie, il n’y a pas une seule mention de ce génocide mais pire, on dit que c’est les arméniens qui ont massacré les turcs. Il y a donc une formidable occultation du passé.

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© dr

Justement, vous dites que «le mensonge et la négation ne peuvent pas triompher de la vérité». Qu’en est-il de ceux de la France ? Je fais référence ici au 17 octobre 1961 entre autres.

JPB : C’est une confusion absolue de dire que c’est un génocide algérien car ce mot –génocide- ne doit pas être utilisé à tort et à travers. L’armée française a commis des exactions en Algérie et des tortures évidemment. Je parle chaque année du massacre de Sétif en 1945. Je suis en train de lire un livre de Benjamin Stora qui raconte la guerre d’Algérie vue du coté des algériens. Mais pour autant, la Turquie qui dit que la France doit d’abord reconnaitre le génocide algérien a tort car c’est faux, l’Algérie n’a pas connu de génocide. Ce fut une guerre avec des massacres, des tortures, des assassinats mais il n’a jamais été question d’exterminer une population. Il faut faire attention lorsque l’on parle de l’Histoire, ce fut un crime de guerre c’est sûr mais ça n’en fait pas un génocide. Donc non la France n’a pas commis de génocide en Algérie.

Qu’a donc commis la France envers l’Algérie ?

JPB : La France en Algérie a eu une attitude de puissance coloniale qui n’a pas su partir quand il le fallait. C’est un crime de guerre oui. Le 17 octobre 1961 on ne le commémore pas à Villeurbanne, mais si ça l’était à Paris j’irai. Ce qui est paradoxal c’est qu’aujourd’hui en Algérie le 17 octobre 1961 n’est pas une date que l’on commémore véritablement. On voit bien qu’il y a un travail de mémoire sur la guerre d’Algérie de parts et d’autres. En France il y en a eu notamment au travers de films et écrits mais en Algérie on a encore souvent un point de vue qui n’est pas complètement sans équivoque. Un exemple : nous avons signé notre protocole d’accord avec la ville de El Eulma où j’avais écrit que «je souhaite qu’il y ait un partage de mémoire entre nos deux histoires», mais le consul général à Lyon m’a demandé à ce qu’on enlève cette phrase en disant que l’Algérie n’est pas prête à procéder à ce partage des mémoires. Il y a en Algérie un passé à occulter mais bien sûr je n’enlève rien à la responsabilité de la France et de l’armée française.

La France procède-t-elle à une sorte de négation en ne reconnaissant pas le massacre d’algériens qui a eu lieu sur son territoire le 17 octobre 1961 ?

JPB : C’est que la France en tant que telle aujourd’hui ne fait peut être pas suffisamment œuvre de mémoire en tant qu’Etat sur cela.
Mais on pourrait envisager que l’Etat français en fasse d’avantage. Cela a été un crime perpétré par la police française sur ordre d’un préfet de police et toléré par le gouvernement français. Je souhaite que la France reconnaisse dans sa mémoire officielle cette date.
-Cela dit-, c’est un mauvais prétexte de dire que pour reconnaitre et qualifier le génocide arménien il faut attendre que l’Etat français ait condamné le 17 octobre 1961 et qu’il ait une attitude plus claire.
La position de l’Etat français face au 17 octobre 1961 ne va pas m’interdire à moi de garder la position que j’ai face au génocide arménien.

Journaliste : Lydia Benaouda

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