Miguel Benasayag : Quelles organisations pour changer la société ?

Comment changer nos imaginaires ? Et faire de nos rêves une réalité… Nous allons essayer de vous questionner à travers un cycle de conversations et d’échanges. La seconde rencontre a eu lieu le 29 mars dernier à la Maison des passages et posait la question : Quelles organisations pour changer la société ?

 

« Le monde n’est pas seulement à habiter, il est aussi à inventer », disait Patrick Chamoiseau. Le Lyon Bondy Blog, avec la Maison des passages, Médiapart et le CAMédia (Cercle des lecteurs de Médiapart), vous invitent à participer et faire vivre le cycle : Comment faire de nos rêves une réalité ? Ou comment changer nos imaginaires ?

Au cours de ce cycle, nous allons explorer de nouvelles formes de conversations et d’échanges.

Pour la deuxième, nous recevions Miguel Benasayag. Avec toujours la même méthode et une prise de parole libre.

 

Parcours militant et  intellectuel : comment Miguel Benasayag a construit sa vision du monde

Philosophe, psychanalyste, chercheur en épistémologie, ancien résistant guévariste, militant… Difficile de ranger Miguel Benasayag dans une case. Né en 1955 à Buenos Aires, il a vécu de près la dictature militaire argentine dans les années 70. Entré dans les mouvements de résistance guevaristes à 17 ans, il est arrêté à plusieurs reprises et torturé. Il passe ensuite quatre ans en prison.

En 1978, un arrangement diplomatique lui permet d’utiliser sa nationalité franco-argentine pour s’installer en France. Il y poursuit ses études, notamment en médecine, et approfondi son engagement et sa réflexion dans la recherche en philosophie, psychanalyse, épistémologie ou encore en neurophysiologie. Il travail notamment sur les notions d’engagement, de pouvoir, de contre-pouvoir ou encore d’incertitude.

      présentation de Michel Benasayag

Miguel Benasayag a écrit ou co-écrit plus de 25 ouvrages et a participé à la création d’un réseau de réflexion sur les alternatives Malgré tout dans les années 80.

Si on devait résumer son engagement en une phrase, on pourrait dire qu’il se nourrit de concret, c’est sa substantielle moelle.

Le global est une illusion

Miguel Benasayag nous raconte la création de l’université d’éducation populaire à Ris-Orangis. La genèse de ce formidable projet date de la résistance à la dictature. On essayait alors de créer des lieux de production de savoirs populaires.

L’idée est de pouvoir assumer un défi d’engagement et de complexité. Trop souvent, nous dit Miguel, l’engagement part d’une indignation, d’un désir de vie (tout à fait légitime par ailleurs). Quand il arrive en France, il se retrouve devant une situation qu’il juge aberrante : « Les gens qui s’engageaient le faisaient à travers une profession de foi, où il ne fallait pas regarder à droite ou à gauche mais juste s’engager. Les gens qui pensaient en terme de complexité, eux, ne s’engageaient plus. » A partir de ce constat, le collectif Malgré tout fut crée (liens) avec des intellectuels, des militants français, latino américains …

 

A Ris-Orangis, on essaye de systématiser une méthode de travail. On essaye de créer des foyers locaux d’après l’hypothèse qu’il faut penser local et agir local parce que le global est une illusion, un piège. Le global n’existe que sous des formes différentes dans chaque local, enchaîne-t-il.

Depuis 3 ans, on essaye de créer une méthode : comment travailler ? On essaye de comprendre ce qui s’attaque à la vie dans un lieu concret. Qu’est-ce qui produit la tristesse, la destruction de la vie dans un lieu concret ?

Benasayag est très critique vis à vis des universités populaires qui se développent aujourd’hui. « Nous pensons qu’il ne faut pas éduquer les gens. Il faut s’auto éduquer. Le problème n’est pas de transmettre des savoirs au peuple parce que, comme Michel Foucault l’a démontré si brillamment, il n’y a pas de savoirs autonomes. Les savoirs correspondent à des structures de pouvoirs ; qui l’ont produit pour s’auto légitimer ».

Miguel Benasayag étaye son propos: « En tant que métèque du tiers monde, on voit très bien (que) les libérateurs qui ont fait la décolonisation sont tous formés dans la métropole. Ils ont acquis tous les savoirs et sont venus décoloniser. Sauf qu’ils avaient avalé la structure du pouvoir avec. Ils ont créé le néocolonialisme horrible que nous connaissons aujourd’hui. »

Très critique sur le rôle de la conscience, le philosophe assure qu’il ne faut pas conscientiser les gens mais développer les expériences concrètes. « En tant que ressortissant du Tiers Monde, nous sommes très sensibles au fait que s’instruire en prenant les savoir est très dangereux. Point ! » Conclut-il.

Critique des savoirs : « Ça veut pas dire qu’on conteste Einstein »

Faire des conférences pour éduquer le peuple, très peu pour Benasayag. « Au mieux, ça fait rien. Au pire, les savoirs traînent implicitement la structure du pouvoir qui les a produit. »

Ne vous y trompez pas, l’ancien résistant guévariste ne part pas en guerre contre les savoirs : « Nous les considérons très importants (…) J’insiste sur des rapports sains avec les savoirs académiques ». Concrètement, pour lutter, il faut construire les structures de contre pouvoir qui produisent et s’approprient des savoirs académiques. Mais ces savoirs doivent être au service de la structure du contre pouvoir.

Si cette notion est plus difficile à comprendre pour des occidentaux, parce que ces savoirs correspondent à la culture occidentale, « pour tous les métèques du Tiers Monde, c’est évident que le mec formé en métropole et qui vient te libérer, au bout de x temps, il a changé la couleur de celui qui était au pouvoir. Et il a gardé la structure ».

Le pouvoir est le lieu de l’impuissance

Pour conclure ce temps de parole, Miguel Benasayag revient sur les partis politiques. Pour lui, le pouvoir est le lieu de l’impuissance. Il le répète à l’envie : « Les militants se trompent depuis cent ans (…) Et ils continuent d’insister ! ». Comprendre, l’émancipation doit être l’objectif. Or, on assiste en vérité à l’inverse. « C’est le parti qui devient l’objectif, plutôt que l’émancipation », note-t-il.

Une émancipation, à l’image de la résistance, qui doit d’ailleurs passer par le conflit. C’est dans la conflictualité que naît l’émancipation. Ou en une phrase : L’éloge du conflit contre l’idée de consensus. Concrètement, nous devons « respecter la conflictualité et se libérer de chercher des solutions. Nous devons trouver des voies d’émancipation, produire des nouveaux modes de vie… La vie n’est pas un problème, il n’y a pas à chercher de solution. La seule solution est la solution finale (…) La volonté de refuser le conflit mène toujours à la barbarie. »

Vous pourrez trouver la deuxième partie de la rencontre, avec Miguel Benasayag qui répond aux questions du public, mercredi 15 sur les sites partenaires.

Rendez-vous le jeudi 16 mai pour notre troisième rencontre, cette fois avec Benjamin Stora, historien, sur le thème : Camus notre contemporain (PAF 5 euros), à la Maison des Passages.

Sébastien Gonzalvez, Naima Arroussi

Sebastien Gonzalvez

Journaliste plurimédias. Rédacteur en chef à @BondyBlogLyon @HorsDesClous https://www.facebook.com/horsdes.clous

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