Récits d’un squat lyonnais politique et social. Partie I : la Cabine

La Cabine, puis la Cabane, était un bâtiment occupé par un squat, situé dans le 7ème arrondissement de Lyon. Connu pour ses soirées, le lieu accueillait aussi des familles de réfugiés. Depuis le 15  février 2018, ses habitant·e·s étaient dans l’attente d’une procédure d’expulsion qui a eu lieu le 29 mai. Aux mois de mars et avril, dans l’ambiance particulière d’un petit monde qui se referme, le Lyon Bondy Blog a rencontré ses dernier·e·s habitant·e·s, qui ont raconté leur squat, rythmé par une organisation de vie commune et la crainte des interventions policières. 

La Cabine au mois de Novembre. Crédits Marta Sobkow

  Alors que les expulsions à Lyon sont très fréquentes, et que la « question migratoire » s’impose dans le débat public via les actions médiatiques de groupuscules d’extrême droite, il est temps de s’interroger sur la place des squats dans notre ville. La Cabine est une ancienne fourrière de police. Ce grand bâtiment laissé à l’abandon depuis 8 ans est devenu un squat le 19 septembre 2017.  Sur une façade recouverte de tags colorés, les habitant·e·s du quartier découvraient parfois des banderoles.

« Squattons la fin de ce vieux monde » Crédits Marta Sobkow

Depuis la nuit du 7 janvier flotte sur son toit un drapeau noir, symbole de l’anarchisme. Cette nuit a laissé des souvenirs pour les voisin·e·s qui se sont réveillé·e·s aux sons des coups de béliers et des aboiements de chiens policiers. Jusque là, peut-être n’avaient-ils pas remarqué qu’à deux pas de chez eux, il y avait un squat. Méconnus du grand public, les squats sont brièvement évoqués dans la presse quand ils font l’objet d’intervention policières et d’expulsions parfois spectaculaires. 

Trois  interventions policières  depuis 2018 : « C’est assez traumatisant « 

La nuit du 6 au 7 janvier 2018, la Cabine organisait une soirée festive à laquelle des centaines de personnes ont participé. Vers minuit,  plusieurs dizaines de policier·e·s de différentes brigades sont intervenu·e·s pour nuisances sonores. Habitante du quartier, je suis allée demander le motif de leur intervention aux forces présentes, ce à quoi un CRS m’a répondu « il ne se passe rien ». Il est difficile de retracer les raisons et le contexte de cette intervention policière puisqu’à ce jour, le commissariat n’a pas répondu aux questions que nous leur avons adressées par courrier ou téléphone. 

Louis, un squatteur de la Cabine,  me présente sa version des faits : « Ils ont tenté de pénétrer dans les lieux sans jamais montrer une justification légale et en insultant les différentes personnes présentes . L’intervention de la police a duré plus de deux heures, sans que les forces de l’ordre ne parviennent à entrer dans le squat ». Le média militant Rebellyon a publié deux textes à ce propos, un compte-rendu et un communiqué. Georges et Richard, habitants du lieu, expliquent la nature de ce communiqué : « On dénonçait une attaque politique, d’intimidation à l’égard de notre engagement ».

Les moyens déployés étaient impressionnants, jusqu’à 2:30 du matin , les CRS ont lancé plusieurs grenades lacrymogènes les quelques personnes restantes, enfumant la rue et les voitures qui ont eue la malchance d’y passer. 

La nuit de l’intervention policière du 6-7 janvier. Crédits Marta Sobkow.

Louis continue :« Ils gazaient par les trous de la porte qu’ils ont fait avec le bélier, et par la fenêtre, parce que certains ont commencé à sortir par la fenêtre. Il y a eu un grand mouvement de panique. Même si l’habitation des familles est un peu séparée du reste, ils ont quand même eu beaucoup de gaz lacrymo, alors que les policiers étaient prévenus qu’ils étaient là. On pouvaient entendre les flics, ils parlaient de Théo, et les insultes de base, genre « on va vous niquer » des trucs comme ça »

Richard ajoute : « Ils sont quand même restés 1 heure et demie à essayer de rentrer. Après, tous les gens sont allés sur le boulevard, et j’ai vu les flics en moto, ils ont commencé à taper sur les gens, tout ça… Ils ont gagné, parce qu’après ça, on a décidé de ne plus faire de soirée. » Cependant, selon eux, personne n’a été blessé.

Louis rappelle qu’il y a aussi eu une perquisition début février suite à l’enfarinage du président de la métropole de Lyon, David Kimelfeld . « Ils sont restés une heure et demie, du coup on était dans le salon en ligne, encadré par une équipe de la bac avec flashball, matraque, etc. Ils avaient déjà embarqué une personne avant et ils ont embarqué deux des habitants de la cabine. À l’époque on était une trentaine à vivre encore ici. »

« Toutes les personnes à l’intérieur étaient identifiées, il y avait entre 80 et 100 policiers, de différentes brigades du renseignement. »

Dans ces conditions, pourquoi les squatteu.re.ses se mettent dans l’illégalité ? 

S’approprier des espaces vides : entre illégalité et légitimité.

Pour ouvrir un squat, plusieurs personnes choisissent d’agir dans l’illégalité, tout en faisant valoir la légitimité de leur acte. C’est pour eux la nécessité de donner un toit à celles et ceux qui vivent dans la rue, affirmant la supériorité du droit au logement sur le droit à la propriété.

Richard explique son positionnement : « On fait le choix de courir des risques pour des gens qui ne peuvent pas les courir eux -mêmes : quand t’as les privilèges d’être un blanc de classe moyenne, avec des papiers et qui a les moyens de se défendre juridiquement, tu peux prendre le risque d’ouvrir un squat pour des gens qui, s’ils le font, risquent de se faire enfermer et expulser. »

Georges ajoute :  » Le choix de l’illégalité et de jouer avec les brèches qu’on peut ouvrir dans le droit permet d’accéder à des possibilités que la voie légale n’ouvrira jamais. Une bande d’ami·es, jeunes et précaires, si elle demandait à l’État ou aux administrations de lui mettre à disposition un bâtiment vide pour héberger des personnes que l’état laisse à la rue et organiser une vie qui tente de s’émanciper de son contrôle, on peut facilement imaginer que la réponse sera négative. On choisit une stratégie d’imposition à l’état plutôt que de proposition. » 

Louis reproche les décisions en matière de politique publique faites par certain·e·s élu·es : « Quand la métropole fait des communiqués pour dire que tout le monde est logé, alors qu’on a 50 personnes qui arrivent dès qu’on ouvre un squat, c’est du langage de politicien.  Et au même moment, ils engagent 1,8 million d’euros pour la télésurveillance des bâtiments vides »

Pour répondre à ce qu’ils estiment être une inaction des pouvoirs publics pour faire respecter le droit au logement pour tou·te·s, des collectifs se sont organisés. Certains ont même rédigé des documents pour expliquer comment ouvrir un squat.  Selon ce manuel publié par un site proche des tendances anarchistes, une ouverture se déroule en plusieurs étapes. Dans un premier temps, plusieurs personnes repèrent un endroit laissé à l’abandon, qui appartient à une entreprise, à un particulier ou à l’administration. Après avoir fait un repérage pour être sûr que personne n’y habite, ils entrent à l’intérieur et en font leur résidence principale.

Kraakteken, le symbole du mouvement squat européen.

C’est sans doute par ce procédé que s’est ouverte La Cabine, cette ancienne fourrière abandonnée durant près de 8 ans. Elle est située sur une parcelle où des travaux sont prévus en 2020. Il reste encore un couple de personnes âgées qui refusent pour le moment de vendre leur maison. Mais généralement les squats durent peu de temps, et leurs habitants sont souvent expulsés rapidement. 

 

« On est tous engagé, mais en dehors des partis. L’idée c’est de s’autonomiser, comme ce qu’on a pu voir à Nuit Debout. » Louis.

Le mouvement des squatteur·se·s regroupe des personnes dont les sensibilités idéologiques composent la constellation des courants de gauche non traditionnels. Les personnes rencontrées par le Lyon Bondy Blog affirment une logique anticapitaliste et la volonté de donner un logement à des personnes qui sont dans la rue.  Se nourrir avec des fins de marchés ou des poubelles de magasins, s’habiller dans des free shops ou des « gratuiteries » ne pas avoir de loyer à payer … les squatteurs s’approchent d’une utopie dans leur vie échappée du contrôle financier . Même les soirées sont à prix libre, mais les revenus, eux, servent à financer les besoins des familles accueillies, ou des collectifs militants. 

Créer une micro société qui rejette les figures traditionnelles de l’autorité comme la police et les tribunaux, cela paraît impossible. Pourtant, cette forme d’organisation était déjà théorisée au XIXème siècle, quand Proudhon écrivait que « L’anarchie, c’est l’ordre sans le pouvoir. » C’est pourquoi, paradoxalement, des règles subsistent, et certaines sont intransigeantes.

Et quelles sont ces règles qui n’ont pas été rejetées ?  : Selon Georges « Il y a des fois des tensions entre certaines personnes, quand des gens dépassent les limites : le vol, le harcèlement voire le viol, et les comportements violents. Même si pour les vols ou les comportements violents ça arrive des fois de tenir compte des difficultés de la personne, s’il y a des problèmes psychologiques par exemple. » « Les valeurs les plus importantes, c’est la sincérité, le partage et l’entraide » ajoute-t-il.

« Pour moi ce qui est important, c’est aussi la sécurité, le monde extérieur paraît hostile parce qu’on peut être confronté à des comportement sexistes, racistes…et on a une capacité d’action beaucoup plus limitée que dans le squat » remarque Barthélémy. 

Richard reprend : « J’ai un avis personnel là-dessus : effectivement on réinvente et on construit autre chose dans nos rapports mais on ne peut pas voir les squats comme une nouvelle base de notre société . C’est une marge, c’est comme la « récup », s’il n’y avait pas les grandes industries on ne pourrait pas faire de la récup… Ce que je soutiens, c’est l’idée de l’autonomie, comme ce qu’on peut voir dans le communisme libertaire. »

« On est maître de notre temps, et on ne dépend pas de domination salariale. On est pas contre le travail, parce qu’on a un emploi du temps très chargé : c’est un travail qu’on choisit » conclut Richard.

La salle principale, où avaient lieu les soirées de la Cabine. Crédits Marta Sobkow

Des habitant·e·s aux profils hétéroclites

Les habitant·e·s de la Cabine sont salarié·e·s, étudiant·e·s, certains cherchent un travail, et d’autres restent volontairement sans emploi ou ne peuvent tout simplement pas être salariés.  

Bertrand, à l’origine de l’ouverture de la Cabine, raconte ce qui l’a amené à vivre en squat : « je suis arrivé par nécessité dû à mes choix éthiques et politiques, il y a quelques années je refusais la domination salariale. On a ouvert la cabine avec un collectif qui s’est regroupé autour de questions politiques dans la cause des réfugié·es. Ouvrir ce lieu nous a permis de nous organiser ». Les interventions policières, et le besoin d’un  collectif de soutien aux jeunes mineurs isolés, ont incité les habitant·es à quitter le squat.

Le 11 avril, les tags avaient disparus, alors que l’expulsion n’avait pas encore eue lieue. Crédits Marta Sobkow.

 Fin avril, les lieux sont rebaptisés « La Cabane ». Une cinquantaine de mineurs y vivaient jusqu’à leur expulsion par les policiers sur ordre du Maire de Lyon. C’était le 29 mai, jour où le Président de la métropole organisait une réunion sur leur situation. Cette seconde occupation sera le sujet d’un prochain article sur le Lyon Bondy Blog : « Récits d’un squat lyonnais politique et social. Partie 2 : La Cabane. » 

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