« Le féminisme islamique est l’avenir du féminisme »

Zoom sur le féminisme islamique avec Ndeye Andujar, espagnole convertie à l’islam et membre de la Junta Islamica Catalana.

feminisme_tQui a dit qu’il n’était pas possible d’être féministe et musulmane en même temps? Ndeye Andujar, professeure espagnole convertie à l’islam démonte les préjugés établis. Nous l’avons reçu dans les locaux de Banlieues d’Europe samedi dernier. Membre de la Junta Islamica Catalana (JIC), association musulmane espagnole, Ndeye Andujar fait partie de ces femmes à l’origine du Congrès International du Féministe Islamique qui revendique le droit d’interprétation des textes sacrés et se basent sur eux pour affirmer l’égalité entre les sexes. Interview.

Qu’est-ce qui vous a amené à vous convertir, l’Espagne étant un pays très catholique ?

Tout d’abord la religion catholique n’y est pas exclusive, l’Espagne est aussi un pays de tradition musulmane. Au cours d’un voyage au Sénégal, j’ai rencontré beaucoup de musulmans. J’ai découvert l’islam, une religion très ouverte (soufi). Je me suis mariée avec un Sénégalais et j’ai vécu avec lui sans être musulmane même si lui l’était. Cependant je me posais de plus en plus des questions sur l’éducation de nos futurs enfants et en même temps c’était une quête intellectuel. J’avais de nombreux contacts avec des musulmans et ma foi était de plus en plus grandissante. Je me suis demandée pourquoi je devais changer de comportement si je devenais musulmane comme arrêter de travailler et devenir mère au foyer. C’est ce que me disaient certaines personnes. Des femmes se posaient de plus en plus de questions et elles n’étaient pas si minoritaires. Le contact avec les femmes espagnoles et les valeurs européennes (libertés individuelles, démocratie…) a joué un rôle de pont pour rapprocher la société majoritaire et les musulmans en Espagne. Les convertis ont brisé certains stéréotypes et ont permis de passer des accords avec le gouvernement (nourriture halal etc…).

Qu’est-ce que le féminisme islamique?

C’est un mouvement qui émerge depuis une vingtaine d’année dans le monde musulman et qui revendique une égalité de droit par l’islam. Ce n’est pas une étiquette mais cela se situe dans les actes. Il relie les femmes musulmanes d’Amérique latine, d’Europe et du Moyen Orient. Une fois le parcours spirituel accompli, le féminisme islamique relie l’envie de changer les sociétés musulmanes. Il ne s’agit pas uniquement d’une égalité des droits mais aussi d’un projet démocratique qui n’est pas possible sans les femmes.

Comment cela peut-il fonctionner?

Avec la foi et les textes sacrés. Les femmes s’interrogent sur l’articulation entre le fait d’être croyante et leur condition d’infériorité. Elles se posent des questions car elles avaient, jusque-là, une lecture subjective. On a stoppé l’interprétation des textes à partir du Moyen Age. Le contexte et la façon de penser ont évolué entre le 17ème et 21ème siècle. On ne fait que répéter le même modèle. Mais les sociétés ont changés. Ce qui fait peur c’est la perte du monopole de l’interprétation par les hommes.

Que pensez-vous de la polémique dans l’opinion publique française sur la question du voile?

Ceux qui disent qu’une femme voilée est soumise ne connaissent pas les femmes musulmanes et ne fréquentent pas les milieux musulmans. En France, la question est devenue très importante mais pas en Europe. La France exagère car elle en fait un problème prioritaire. Au sujet de la loi de 2005, la question aurait pu être traitée au cas par cas au sein des lycées et des services publics. Depuis cette loi, de plus en plus de femmes ont décidé de mettre le voile, en protestation et en signe de solidarité. C’est un voile politique. Il y a un problème quant aux féministes laïques qui sont trop fermées. Elles veulent garder le monopole de la lutte pour les droits des femmes mais la société a évolué.
Les femmes ont des raisons différentes de mettre le voile (politique quand il est revendicatif, par esthétisme, pour protéger leur pudeur ou dans leur quête spirituelle). Mettre le voile a un but: ne pas attirer l’attention. Dans une société majoritairement non musulmane, le voile est très visible donc je ne mets pas de voile. Je m’adapte à la société où je vis. Je ne suis pas uniquement musulmane, je veux que l’on me voit aussi en tant qu’individu. Je ne veux pas me limiter à une seule identité.

Votre réaction sur la polémique du niquab?

C’est une perte de temps, il y a des choses plus importantes comme la crise économique par exemple. Chacun peut s’habiller comme il veut. C’est le débat en soi qui me gêne car il fait perdre beaucoup de temps. Ce n’est pas vraiment un problème car ce phénomène est très ponctuel. C’est un faux débat et cette future loi stigmatise les musulmans qui ne s’identifient même pas à ce voile.

Quel est votre avis au sujet du féminisme à l’occidentale?

Le féminisme islamique est une chance pour le féminisme en Europe car il y a un essoufflement du mouvement. Bien sûr, il y a eu de nombreux acquis comme l’égalité des droits mais il faut se renouveler. On ne peut pas tenir le même discours depuis cinquante ans. Nous avons une dette envers les féministes laïques car elles ont tracé la voie. Cependant, elles nous excluent et ne nous laissent pas entrer dans la famille du féminisme. Nous ne revendiquons pas un Etat religieux. l’islam est une religion laïque car il n’y a pas d’Eglise et la revendication du califat est minoritaire et relève du mythe. C’est un anachronisme. Tout comme les partis laïques qui ne laissent pas les partis musulmans s’exprimer alors que la majorité des musulmans du monde réclame plus de droits. Pour moi, le féminisme islamique est l’avenir du féminisme.

Quelle position adoptez-vous vis-à-vis des mouvements rigoristes comme le salafisme ou le wahabisme?

Il existe une diversité des mouvements religieux et des différences au sein même de ces mouvements. Tant qu’ils sont respectueux des lois. Il existera toujours ce genre de personnes. Il faut une diversité et de toute façon on ne peut pas s’ imposer de sorte à ce que tout le monde pense pareil. Personnellement, j’essaie d’aller vers les autres même s’ils ne sont pas de me sensibilité. Les personnes évoluent et elles sont surtout très jeunes. Elles évolueront au fur et à mesure du contexte, c’est pourquoi il faut établir un débat.

Tariq Ramadan est assez populaire auprès des musulmans en France, en particulier chez les jeunes. Comment considérez-vous son rôle de médiateur quant à sa proposition de moratoire sur la peine de mort, la lapidation et les châtiments corporels?

Je ne partage pas sa démarche mais je la respecte. Car il faut supprimer de façon radicale ces pratiques. Il faut plus de discussions mais la majorité des musulmans veut que cela aille plus vite. De plus, cela est contraire au Coran. Jamais le Coran n’a autorisé la lapidation envers les femmes et les hommes pour adultère. Soit il y a un débat au sein de la communauté musulmane, soit il n’y a pas de débat. Tariq Ramadan ne s’adresse pas à l’ensemble des musulmans mais surtout au sein de l’université Al Azhar en Egypte. Il renforce le rôle des oulémas en ne s’adressant qu’à eux.

Pourtant, il n’existe pas de clergé chez les sunnites contrairement au chiite, les oulémas sont donc une référence en matière d’interprétation des textes.

Il faut démocratiser le pouvoir d’interprétation. C’est ici que réside le vrai débat. Car cela se fait toujours dans un cadre hérité du Moyen Age. L’interprétation se trouve entre les mains d’une élite sous le poids des oulémas. On reproduit les structures du catholicisme qui veut que le pouvoir d’interprétation soit entre les mains d’un petit groupe de personnes. Qui peut dire qu’il représente les musulmans ? Ils ne sont que des interlocuteurs, pas des représentants car tous les musulmans sont égaux. Ici, on parle de tuer des gens. Il faut dépasser ces contraintes et aller au-delà.

Auteur : Rafika Bendermel

La rédaction

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