mannequin posant sur une voiture

Immersion dans le streetwear lyonnais. Episode 4 : David contre Goliath

Lyon, ville de tradition, s’est avérée être un terreau fertile pour le streetwear. Cette culture a su créer ses propres codes, du vestiaire de sport à la banlieue, de l’habit à l’attitude. Si vous n’avez pas lu le troisième épisode rendez-vous ici : Immersion dans le streetwear lyonnais. Episode 3 : La jeunesse contre la paresse – (lyonbondyblog.fr)

Dans notre chère et tendre ville, les créateurs se font face pour proposer un textile de qualité. Des initiatives nationales investissent Lyon quand de petits fabricants d’ici souhaitent gagner le marché hexagonal. En 2022, de David contre Goliath il ne reste ni berger, ni monstre terrorisant. Plutôt de simples entrepreneurs comme Citadium Lyon ou Eliott Biant qui tentent de plaire à un public loin d’être pleinement acquis.

« La mode de l’autre côté du périph’ »

Projet « Trace de pneus » sortie à l’été 2020. Crédit : justezach / artkodes

Cité comme la référence vestimentaire à Lyon, Eliott est un jeune créateur, styliste et passionné de mode. Enfant de Saint-Priest, il a baigné très jeune dans une multiethnicité et une ouverture culturelle. Affranchi des idées reçues sur la place d’un homme dans ce milieu, il entre à 20 ans à ESMOD, une école de mode. Il y apprend la couture puis se perfectionne dans une école Genevoise, avant de créer son premier projet : Extra-Muros. Avec l’envie de rendre ce que Saint-Priest lui a donné, il crée une association et rassemble sa bande d’amis pour sortir ses premières pièces : « Gare de Vé » en août 2019, puis « Trace de pneus » l’été suivant. Dans ses collections, on y retrouve le starter pack d’un mec de l’est-lyonnais : bob, vêtements amples, chaise pliante et rapiècements : «Dans mon métier, j’ai aussi un rapport à la matière, à la sensibilité et au toucher ». Par la suite, les rencontres font qu’il se noue d’amitié pour un tout nouvel écosystème rap lyonnais : VISION. Il participe à l’élaboration du merchandising de leur premier projet : « Je pense vraiment que VISION était un projet nécessaire pour moi. Amax et Teg lorsqu’ils m’ont démarché, ont eu envie de proposer des supports différents et alternatifs à leur projet musical qui s’est matérialisé par un L.P (long format musical) ». Ce projet, vrai game-changer pour lui, vient confirmer ce qu’il s’avouait à demi-mot : il veut allier mode et hip-hop. Un pari risqué : « dans le milieu du streetwear, c’est difficile de vivre de son art. Encore plus à Lyon. Il faut se diversifier, c’est ce qu’on essaye de faire, bien que l’on ait déjà une ligne directrice ».

Quand on dit mode et rap, on pense merch, donc logo d’un album imprimé sur un t-shirt oversize dans une « box » où l’artiste regroupe l’ensemble de ses produits dérivés. Raska, YouTubeur rap, évoque lui aussi le sujet en vidéo. Eliott combat cette idée reçue. Cependant, il y voit un moyen de toucher une population plus large : « Elles (les box) ont un côté populaire, qui vulgarise le textile au grand public. Ce n’est pas tout le monde qui peut payer un t-shirt made in France à 100 euros. Les rappeurs rendent accessible le textile à un prix décomplexé ».

Après avoir fait ses premiers pas dans le milieu du rap à Lyon, le jeune styliste enchaîne avec le projet PLAVACE. Olivier, son fondateur, lui fait rapidement confiance. Ce nouvel âge d’or du rap lyonnais a été positif pour sa créativité : « C’est grâce à VISION, PLAVACE, Gambetta TV, Radio Canut, que j’ai pu développer mes projets, mes activités, au point de toucher toute la sphère rap à Lyon ».

Fasciné par le rapport au corps, au visage, il se lie rapidement avec La Ligue, et concrétise cela par une performance majeure pour la ville : le défilé PLAVALIGUE au Food Society, en Novembre 2021. « J’aime aussi bien la performance que nos deux corps de métiers imposent. Le rap c’est voué à être performé sur scène, plus ou moins grandes, et je pense que la mode doit tendre vers une performance elle aussi ». En tant que réalisateur du défilé, Eliott était assez focalisé sur l’aspect mode. Pour lui, cet événement est fondateur du renouveau de la Culture lyonnaise : « On avait aussi du DJing, une scène avec Tedax Max et S.téban de Marseille. Il y avait plein de trucs qui se mélangeaient, rien ne dénotait. C’est là qu’on se rend compte qu’il y a pleins de trucs cool à Lyon ».

Citadium Bellecour : El Dorado de la street culture ?

Citadium Bellecour est devenu avec le temps, une sorte de « maison du textile », qu’on le veuille ou non. Maxime Fraisse, responsable du 1er et du 2ème étage du magasin, voit cela de manière logique.

Présenté comme un lieu de vie de la jeunesse lyonnaise, Citadium, bastion du groupe Printemps à Lyon a longtemps joué sur la frontière entre skate et rap. Le manager, arrivé en alternance dans le groupe, est parachuté à Citadium dès son ouverture. Pour Maxime, le lieu est un repère de jeunes assez large : « du skateur au BCBG (Beau Chic Beau Genre). Au fil du temps on a beaucoup plus développé cet aspect « skate »,  avec OBEY, Dickies, Santa Cruz, et des marques un peu plus pointues ». Cette orientation, dû à une centralisation et un choix des marques, opéré par des acheteurs parisiens, a pourtant permis de créer une identité à part au sein de la firme : « Chaque boutique a sa spécialité. A Lyon, c’est une culture plutôt « street », comparé à Bordeaux. Chez nous, les skateurs ne passent qu’occasionnellement ».

Au niveau des initiatives locales, le lieu fait confiance à des « corners fripperie », des marques lyonnaises tel qu’Ancré, un événement commun avec La Ligue en 2018,  ou encore une scène rap dans le magasin en partenariat avec Générations Lyon.

Malgré la bonne volonté du shop, le public présent aux événements internes n’est qu’une infime représentation de la communauté hip-hop, parfois taxée de bourgeoise. Ces actions sont donc difficiles à mettre en place auprès de ce public : « On est trop timides à Lyon, trop classiques. A Paris c’est plus osé, marqué. Je pense que ce qui nous manque c’est de l’extravagance et d’accepter la différence ». Pour faire accepter cette street-culture, Citadium Lyon propose un design urbain, et arbore fièrement le rap dans ses grandes largeurs :  musique, ambiance, vêtements, événements internes autour du foot et du basket ainsi que des vendeurs assez proches de leurs clients qu’ils tutoient… « Un ensemble cohérent » selon Maxime, lorsqu’il rappelle que Citadium «c’est Cité et Stadium, qui reste l’univers urbain des hooligans dans lequel on se reconnaît {…} c’est ce qui se fait de l’autre côté de la Manche. On le retrouve dans leur ADN ».

Intérieur du magasin Citadium Lyon. Crédit : Tristan

Citadium X BAIL2SNEAKERS

Citadium s’est construit comme un « lieu de vie » pour la street-culture à Lyon. Parmi ses 3 étages et plus de 1250 m2 d’espace de vente, le magasin tente de bâtir une image permettant à des rappeurs aux univers plus sombres de s’ouvrir à un plus large public. C’est le cas de Lyonzon, venu pour collaborer avec le média lyonnais P’tit Délire. Avec la création de la capsule « Bail2sneakers » sur YouTube et via les réseaux sociaux, Baloo, le présentateur de l’émission, va questionner les influences textiles et principalement de sneakers de chaque invité. La vidéo avec Lyonzon est l’occasion d’un contact entre le groupe national de Citadium et le collectif de rap lyonnais, très en vogue à ce moment-là. L’enseigne très généraliste, passant de la TN à la Converse, du sweat à capuche vers une chemise cintrée, donne à Lyonzon une image de marque beaucoup plus lisse, capable de s’adonner à un contenu vidéo « fast-food » et divertissant.

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« Vivre en tant que modèle photo c’est compliqué, surtout à Lyon »

Youssou lors du shooting pour le projet « Trace de pneus » . Crédit :  justezach / artkodes

Youssou est vendeur à Citadium Bellecour depuis plusieurs années maintenant. A côté de son emploi, il cumule nombre de shooting et d’expériences en tous genres, témoignant de la multiplicité des projets lyonnais faisant la promotion du streetwear. De « Trace de pneus », à Views, en passant par le clip PICA de Lazuli… Il n’a pas fini de développer son image.

Rentré par la petite porte de la sneaker dans le monde de la mode, Youssou fait désormais partie du paysage culturel lyonnais. Le vendeur passé par Asics, Nike, JD Sports, les Galeries Lafayette et Citadium, s’est construit une solide réputation à côté de son premier métier : shooting, conseil en stylisme, figurant dans des clips… Cette double casquette lui permet de garder les pieds sur terre et de « mettre Lyon sur la carte ». Pour lui, les initiatives entre Saône et Rhône ne manquent pas. A commencer par le projet Extra-Muros, pour lequel Eliott Biant l’a sollicité, mais aussi Camille Boutet, une autre styliste et créatrice. Il veut maintenant créer davantage, afin de permettre à la ville de briser ce plafond de verre.

« Je connais des amis qui ont posé pour Lugdunum. Des initiatives comme celle-là permettent de développer Lyon. Rien que le nom de la marque est symbolique et nous représente totalement. Puis, je me rends compte que les gens essayent tous de mettre Lyon sur la carte». Un seul regret : un écosystème qui reste souvent cantonné à ce qu’il sait faire « La Ligue fait des événements mode, mais ce qui est dommage, c’est qu’on y voit toujours les mêmes populations dans le temps. Ça crée une communauté, mais ça reste trop fermé ». Ce mouvement demande patience et travail méticuleux. A l’ère du streaming, il est désormais difficile de demander aux plus jeunes et plus fougueux de nos créatifs made in 69, de ne pas s’exporter. Youssou, veut lui aussi tenter le rêve parisien. Partir pour mieux revenir ?

« Je pense oui. Les gens commencent à murir. On se rend compte que ça ne sert à rien de rester dans son coin. Le plus simple sera toujours de s’associer : utiliser le réseau de chacun pour avoir ensemble un réseau beaucoup plus grand ». Bien que son employeur (Citadium) soit présent dans les quatre coins de l’Hexagone, les opportunités mêlant ses shooting-photos et la marque ne sont pas nombreuses :  « mon objectif c’est de vivre en tant que modèle photo et c’est compliqué. Surtout à Lyon, où les enseignes nationales vont toujours favoriser les modèles parisiens ». Bien que pour lui « Citadium n’a jamais joué sur les clichés de la street culture », il rêve d’un avenir différent pour le groupe Printemps qui « provincise » ses magasins.

Dans le prochain épisode, nous évoquerons davantage de marques qui font le choix du haut de gamme à Lyon, qui tentent de se faire une place en France. Merci de nous suivre dans cette immersion jusqu’au bout !

Tristan

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