Bernard Bolze : « La prison n’arrête pas la délinquance, elle l’amplifie »

Le directeur de Prison Insider, nouveau site de défense et respect des droits des détenus, basé à Lyon, considère que la création de places de prison supplémentaires annoncée par le ministre de la Justice, mardi, ne peut résoudre le mal qui ronge les prisons françaises.

Mardi 20 septembre, Bernard Bolze et son équipe ont lancé le blog Prison Insider, dont l’objectif principal est d’aider les prisonniers et leurs familles à se saisir de leurs droits et veiller à ce qu’ils soient respectés, en France et à l’étranger. Pour cette première, ils ont profité de la publication du rapport du ministre de la Justice, Jean-Jaques Urvoas, intitulé « pour en finir avec la surpopulation carcérale », qui préconise la création de 10 000 à 16 000 places de prisons supplémentaires à partir de 2017. Entretien sur la question avec ce militant des droits des détenus, ancien membre de l’équipe du Contrôleur générale des lieux e privations de liberté, qui a participé à la production plusieurs rapport de visite officiels sur l’état des prisons.

Bernard Bolze, fondateur du site Prison Insider. Photo Alban Elkaïm
Bernard Bolze, cofondateur du site Prison Insider. En 1990, il crée l’Observatoire international (OIP) des prisons, avec sa déclinaison locale, la Section française (SF). Entre 2008 et 2013, il travaille dans l’équipe du Contrôleur général des lieux de privation de liberté (CGLPL), qui contrôle l’état des prisons en France et le respect des droits. Bernard Bolze est contrôleur permanent auprès de ce dernier : il fait partie d’une équipe qui visite les prisons et remet des rapports sur leur état. En septembre 2016, avec son équipe, il lance Prison Insider, un site internet d’information sur la détention. Photo Alban Elkaïm

Le Lyon Bondy Blog : Quel type de délinquance remplit les prisons de France ?

Bernard Bolze : Une petite délinquance. La durée moyenne de l’incarcération est d’un peu plus de dix mois. Il y autour de 67 000 détenus en France (69 3375 pour 58 507 places au premier juillet NDLR), beaucoup font en réalité deux, trois ou quatre mois. C’est à dire qu’ils n’ont pas fait de choses bien graves. Les jeunes sont la classe d’âge la plus représentée. Il viennent souvent des quartiers les plus en difficultés.

Pourquoi ?

Il y a une situation en France qui fait que ceux qui cumulent des délits sont souvent les plus éloignés des circuits économiques classiques, de la culture, de la formation professionnelle, tout ce qui permet normalement de trouver un travail dans une société qui n’en offre déjà pas beaucoup.

Pensez-vous que l’annonce de la création 10 309 à 6 143 places supplémentaires dans les prisons annoncée par le ministre de la Justice Jean-Jaques Urvoas, mardi 20 septembre, puisse résoudre le problème de la surpopulation carcérale ?

Elle ne règle rien. Depuis le 19e siècle, on sait que plus on construit de prison, plus on enferme. Si on veut régler le problème de la surpopulation, il faut décider que lorsque la place est prise, elle n’est pas libre pour de nouveaux prisonniers. Il y d’autres alternatives.

Si l’on enferme tant, c’est aussi que le politique tend à considérer qu’il faut faut réprimer ceux qui commettent des délits pour endiguer la délinquance…

Les politiques ne cherchent pas l’efficacité, ils cherchent à faire de l’idéologie et à utiliser cela comme argument électoral. Or, l’argument électoral qui paie, ce n’est pas qu’il y ait moins de victimes, c’est qu’on réprime les coupables. Mais, si on les réprime mal en les enfermant trop longtemps, en ne leur donnant pas leur chance ou en n’aménageant pas leurs peines, on les fabrique encore plus délinquants.

Vous ne pensez pas que la prison soit un remède à la délinquance ?

Non. Nous sommes persuadés que cela n’apporte pas de solution à ce mal. Ça l’amplifie. La prison isole les personnes qui entrent, les marginalise. On ne cesse de les intimider. Et puis c’est un lieu où l’on peut apprendre à faire des choses beaucoup plus graves que ce que l’on avait imaginé en entrant. De plus, elle stigmatise les gens et les marque. Elle les éloigne des possibilités du retour dans la collectivité.

Qu’est ce qui ne va pas dans le processus de réinsertion ?

Il y a 80 % de sorties sèches (sans accompagnement à la réinsertion, NDLR). Plus les sorties sont sèches, plus les ex-détenus récidivent (commettent de nouveaux crimes ou délits, qui peuvent les ramener en prison, NDLR). A l’inverse, plus ils sont accompagnés dans leur sortie, moins ils récidivent. Ceux qui disent :  »Je suis pour les victimes, contre les délinquants, il y en a marre du laxisme, il faut que les gens fassent toute leur peine » créent en réalité plus de victimes…

De quelle manière ?

Si on exige qu’une personne condamnée à douze mois fasse l’intégralité de sa peine et qu’on lui dit à la sortie :  »Au revoir tu ne nous intéresse plus », sans qu’il n’y ait d’accompagnement, cette personne aura beaucoup plus de chance de récidiver (au détriment d’une nouvelle victime, NDLR). Si cette personne sort au bout de huit mois et bénéficie d’un accompagnement à la réinsertion pendant quatre mois, elle a moins de chance de commettre de nouveaux délits par la suite. De plus, l’accompagnement coûte moins cher à l’état que la prison…

Quelle est la différence ?

Une journée en centre d’hébergement coûte 55 € par personne à la collectivité, avec l’accompagnement des travailleurs sociaux sur place. Une journée de prison coûte en moyenne 100 € pour une personne. Et c’est plus efficace d’être à l’extérieur accompagné, qu’enfermé. C’est comme si un gamin ne savait pas lire et que, pour le punir, vous l’enfermiez dans un placard. Il n’en ressortirait pas en lisant ou en écrivant mieux.

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