Victimes de violences conjugales: la lutte n’est pas finie

La France n’est pas la meilleure élève de l’Europe concernant la lutte contre les violences faites aux femmes, et les chiffres de 2021 viennent appuyer ce fait. Depuis le début de l’année,  48 femmes sont mortes sous les coups de leurs conjoints ou ex-conjoints et plus de 220 000 françaises déclarent subir des violences physiques ou psychologique de la part de leur partenaire.

Malgré les nombreuses avancées ces dernières années, Maître Anne Leyval-Granger, avocat au barreau de Lyon, spécialiste des violences intra familiales et conjugales, ainsi que Djamila Schafter, chef de projet et présidente de l’association « Entr’elles et eux », soulignent encore lors d’une interview pour le Lyon Bondy Blog, la nécessité de mieux protéger les victimes de violences conjugales.

“J’avais été assez contente au début, d’Emmanuel Macron et de son discours, dans lequel il disait faire du sujet des violences conjugales une priorité dans son quinquennat”, commence tranquillement l’avocate. Venue avec son amie et collègue Djamila, Anne Leyval-Granger est une de ces militantes qui ne baisse jamais les bras. Deux ans après les Grenelles de 2019 qui devaient permettre à la cause des femmes violentées d’avancer, les deux femmes font le point de ce qu’est réellement leur quotidien. 
On ne peut pas dire que rien n’a été fait, mais c’était pas forcément la peine de créer de nouvelles lois. Il y avait déjà de nombreuses dispositions qui existent, il suffit de les faire appliquer. Mais les moyens n’y sont pas mis”, déplorent-t-elles.

https://twitter.com/YaelMellul/status/1433734969705312298

Comme ailleurs en Europe…

Anne et Djamila travaillent au quotidien avec des femmes violentées. Djamila Schafter est la présidente  de l’association « Entr’Elles et Eux » qui lutte pour une société mixte, égalitaire et inclusive et travaille en binôme avec Maître Leyval-Granger sur diverses affaires. Elles font donc souvent face à des problèmes de juridictions et de bureaucratie récurrents. Anne.L-G nous fait un point sur les problèmes qu’elles rencontrent et les solutions qu’elles auraient voulu voir mises en place.

“En France, on a un problème de moyens. Il n’y a pas assez de psychiatres pour espérer avoir un suivi psychologique ou psychiatrique des accusés, ou des victimes. Il n’y a pas assez d’experts, pas assez de juges d’application des peines non plus. Les dossiers s’entassent et on a pas toujours le temps de les passer au peigne fin, alors on fait avec ce qu’on a. Lorsque l’on défend une affaire de violences conjugales, on est sur plusieurs fronts, on doit affronter le juge des affaires familiales, le juge des enfants, et le tribunal correctionnel. Chacun travaille de son côté, et travaille bien, mais au final entre chaque partie il y a très peu de communication.

Ce qu’il faudrait, c’est un travail en collégialité, comme ailleurs en Europe, ou comme en médecine aujourd’hui. Ne pas avoir l’avis d’un seul expert, et échanger les angles de vues sur une affaire, ça peut tout changer et éviter des erreurs.” propose l’experte juridique. La vraie solution, ce serait des juridictions spécialisées. Cependant, le gouvernement ne veut pas en entendre parler.Et je reste convaincue que c’est le seul dispositif qui pourrait protéger les femmes. ça se fait en Espagne et ça marche super bien.” explique-t-elle résignée.

Un problème de volonté politique

Selon Djamila Schafter, si la cause n’avance pas en France, c’est avant tout à cause d’une involonté politique manifeste, notamment en matière de justice.
“On sait tout faire, on sait ou emmener une femme pour qu’elle soit en sécurité, l’aider dans ses démarches, mais c’est le après ou on peut moins intervenir. Les associations débordent d’idées mais n’ont pas de subventions ou de budget adéquat, explique la praticienne. Ce qu’il manque clairement pour lutter contre la violence conjugale, c’est la volonté politique.  Alors ce qu’il y a de positif, c’est qu’on a jamais autant abordé le sujet en France que depuis ces dernières années. Il y a une prise de conscience collective, mais derrière ces mots, il y a des vies, et puis il y a des morts…”

Cependant, la présidente d’association reste optimiste. “Malgré tout les choses avancent, par exemple à la gendarmerie ou à la police, il y a un meilleur accueil. Il y a une revalorisation de la parole de la femme, et certains membres des forces de l’ordre ont reçu une formation spécifique afin de savoir recueillir cette parole. Il y a de plus en plus de places d’hébergements, les lieux d’accueil se sont multipliés. Le fait de pouvoir porter plainte en hôpital, ou se faire signaler en pharmacie, ce sont de très bonnes idées. Et puis surtout, la société a changé de mentalité sur ces faits. Aujourd’hui, tout le monde sait pertinemment que cogner sa femme c’est mal. Le 3919 est de plus en plus connu, jusque dans la campagne. Ce numéro d’urgence est d’ailleurs depuis quelques jours passé 24h/24.« 

Réseaux sociaux: une si bonne arme que ça ?

A l’ère d’Instagram, de Tik-Tok et de l’expansion du web en général, les sujets comme celui des violences faîtes aux femmes, sont des sujets très démocratisés. La parole se libère, des témoignages fleurissent et des jeunes femmes sont sensibilisées. Mais juridiquement c’est autre chose. Anne.L-G nous explique : “Objectivement, on perd tout le temps. Ou du moins on gagne très rarement. Les femmes finissent par vouloir se faire justice seule; par la presse, ou les réseaux sociaux.

Ces cris d’alerte, le juge va les considérer comme une preuve de l’instabilité de la mère, alors qu’elle cherche juste de l’aide.  Chercher à faire entendre sa cause sur les réseaux sociaux en même temps qu’une procédure judiciaire peut être vraiment défavorable. Au contraire, une femme considérée comme instable risque de perdre la garde de ses enfants. C’est pareil pour les émissions télé, la presse ou toute forme de visibilité jugée excessive. Après je reste convaincue que les réseaux sociaux est un mode de communication qui libère la parole. Mais a contrario le cyber harcèlement existe aussi. C’est une question qui est partagée.”

“Ce qui va tout changer, c’est la société civile, explique Djamila S. Aujourd’hui tout le monde sait qu’on ne doit pas frapper sa compagne ou son ex-concubine, un voisin, un ami, un vendeur peut alerter les autorités si il soupçonne quelque chose. Et on aura une vraie réponse politique le jour où on travaillera avec un collège d’experts, ou à minima, un parquet spécialisé.  On y arrive ailleurs dans le monde, alors pourquoi pas chez nous ? La collégialité implique un travail de toute les parties et de la communication, ce qui permet à la victime de se sentir écoutée, entourée et au dossier d’avancer plus vite. Au final ce serait bénéfique pour tout le monde. 

Si vous êtes victimes de violences au sein de votre foyer, vous pouvez appeler le 3919 afin de trouver de l’aide. Le 17 ou un sms au 114 en cas d’urgence et la plateforme arrêtonslesviolences.gouv

Amandine Leveneur

La rédaction

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