Saint-Fons au cœur de la chimie

Saint-Fons, située au cœur de la vallée de la chimie et traversée par l’autoroute A7, est particulièrement concernée par la pollution environnementale et les risques industriels. Dans le cadre de notre dossier sur cette ville périphérique du Grand Lyon, nous avons interrogé plusieurs personnalités politiques locales et établi un inventaire des sites à risques.

Serge Perrin, ancien élu local chez Europe écologie – Les verts, déplore l’impact des industries alentours. Pour lui, une « double peine » affecte les couches populaires : non seulement habiter près des zones industrielles n’est pas plaisant et peut comporter des risques, mais en plus les habitants sont impactés par les Plans de prévention des risques technologiques (PPRT), car confrontés aux nécessaires périmètres et travaux de protection. Nathalie Frier, maire de la ville et conseillère à la métropole (groupe Synergies-avenir), se dit elle aussi préoccupée par les questions d’écologie, tout en offrant sa confiance aux entreprises polluantes :

« On souhaite développer les modes doux. Quand on voit les étés qu’on a aujourd’hui, c’est important, on est très sensibilisés sur ces questions-là. Au début du mandat, je ne vous cache pas que ce n’était pas une question sur laquelle j’avais une sensibilité, mais aujourd’hui ça me paraît indispensable. C’est un acte citoyen, cet axe doit être intégré dans tout ce qu’on fait dans la politique.

Après les démolitions sur Carnot-Parmentier, on présentera un projet d’écoquartier. Dans le cadre de l’appel des 30 [« un appel à projets […] visant à consolider la dynamique d’innovation de la Vallée de la Chimie », ndlr], je me bats là dessus. Aujourd’hui, je trouve que les industries sont aussi sensibilisées sur ces questions-là, on sent une volonté de leur part. C’est aussi une question d’image de l’emploi : il y a une image négative de cette vallée de la chimie, je pense que dans les années à venir, ça devrait évoluer. »

Chafia Zehmoul, élue d’opposition à la mairie (Saint-Fons en Mouvement, société civile) et qui a aussi travaillé 25 ans dans l’usine Rhodia, se montre inquiète pour la santé des habitants :

« Saint-Fons est une zone à risque, il y a beaucoup d’usines autour. Vous pouvez regardez les fenêtres quand il y a de la pollution : elles sont toutes noires. On respire très mal à Saint-Fons. Il y a beaucoup de maladies, surtout chez les personnes vieillissantes, qui ont des cancers et des problèmes respiratoires. J’ai connu beaucoup de personnes qui ont travaillé à Ciba qui sont décédées à l’heure actuelle suite à ces produits-là. Donc on s’inquiète pour les enfants, heureusement qu’il y a des alertes dans les écoles. »

Vallée de la chimie à Saint-Fons. Crédit photo : Tusco / Wikimedia commons.

Pas de fumée sans feu ? Dressons une petite liste des entreprises chimiques présentes autour de Saint-Fons. Sur le site lesbonsreflexes.com, lancée en 2013 pour la campagne d’information régionale d’information sur les risques industriels majeurs, on retrouve les principaux sites industriels du bassin lyonnais et leurs zones à risques. Autour de Saint-Fons, sont cités les sites suivants :

  • la raffinerie de Total à Feyzin (numéro 20, sur l’image ci-dessous) ;
  • Kem One, qui produit du PVC, de l’eau de Javel et de l’acide perchlorique (cercle jaune) ;
  • Arkema à Pierre-Bénite, qui produit des gaz fluorés et des polymères techniques (cercle rose) ;
  • Solvay Belle-Etoile, au Sud de Saint-Fons, qui produit du polyamide 6-6 et des plastiques techniques (numéro 18) ;
  • Solvay Saint-Fons, spécialisée dans la chimie fine, qui produit de la vanilline (arôme de vanille), et recycle des ampoules de basse consommation (numéro 19) ;
  • Elkem Silicones (ex- Bluestar Siliocones), qui produit des silicones (numéro 9) ;
  • le site de stockage pétrolier du Rhône, exploité par Esso (numéro 14).
Zones à risque en 2013 autour de Saint-Fons, selon lesbonsreflexes.com. Les cercles roses et jaunes correspondent respectivement à la raffinerie Total de Vénissieux et à l’usine Kem One de Saint-Fons. Droits réservés.

Des sites classés Seveso « seuil haut »

La plupart des sites du bassin lyonnais sont classés Seveso. Cette directive européenne avait vue le jour suite à la catastrophe de Seveso, en Italie en 1976. Son but est d’établir une politique commune de prévention des risques industriels majeurs. Selon installationsclassees.developpement-durable.gouv.fr :

« Ces mesures consacrent les « bonnes pratiques » en matière de gestion des risques : introduction de dispositions sur l’utilisation des sols afin de réduire les conséquences des accidents majeurs, prise en compte des aspects organisationnels de la sécurité, amélioration du contenu du rapport de sécurité, renforcement de la participation et de la consultation du public. »

La directive classe les entreprises selon le type et la quantité de produits manipulés ou stockés selon trois catégories (« non concerné », « seuil bas », puis « seuil haut ») et impose différentes mesures et procédures de sécurité. Parmi les sites cités ci-dessus, tous sont classés Seveso seuil haut : la liste des entreprises du Rhône classées Seveso seuil haut est consultable sur la base nationale des installations classées.

Accidents et incidents dans la région

En 2011, Lyon Capitale effectuait une chronologie sur les principaux accidents industriels qui se sont déroulés dans la région Rhône-Alpes. Parmi ceux-ci, on retrouve la catastrophe de la raffinerie de Feyzin en 1966 : deux ans après sa mise en service, un incendie se déclenche, suivi d’explosions. Bilan : 18 morts, 87 blessés et des dégâts matériels sur le site ainsi que pour 1 475 habitations et constructions alentours. On peut également ajouter à la liste un incident survenu dans l’entreprise Kem One en mars 2007, résumé dans un document du ministère de l’Écologie, du Développement et de l’Aménagement durable :

« Dans une usine de fabrication de PVC, vers 2h30, le disque de rupture d’un autoclave éclate, entraînant le rejet à l’atmosphère du mélange réactionnel (3,75 tonnes de poudre de PVC [polychlorure de vinyl, ndrl] et 3,75 tonnes de CVM [chlorure de vinyl, nécessaire à la fabrication du PVC, ndlr]). »

Ce rejet n’a entraîné ni mort ni blessé, mais le CVM rejeté fait parti des substances surveillées pour sa cancérogénicité par la direction générale de la Santé, notamment au niveau des canalisations d’eau potables en PVC. Enfin, en 2016, citons un incendie qui a eu lieu à Elkem Silicones, entraînant la mort d’un homme, mais selon la préfecture, les « fûts enflammés ne contenaient pas de produits toxiques ».

« En finir avec l’éternel dualisme naturel = bon / chimique = mauvais »

Faut-il pour autant avoir peur de la présence de toute « produit chimique » ? Pour les partisans du scepticisme scientifique, comme Frédéric Drago, créateur de la chaîne Youtube Raisonnances, la rigueur scientifique doit primer sur l’émotion suscitée par la peur. Dans un article sur le média en ligne La Menace Théoriste, le vidéaste affirme que le militantisme écologiste serait traversé par de nombreux biais méthodologiques. Sans remettre en cause le bien-fondé de la démarche écologiste, il invite à user de rigueur intellectuelle :

« Il y aurait encore beaucoup à dire sur l’absence d’esprit critique véritable ou d’approches pertinentes dans le milieu écologiste. De l’éternel dualisme naturel = bon / chimique = mauvais en passant par les thérapies naturelles et alternatives forcément meilleures que la médecine conventionnelle jusqu’aux approches pseudo-scientifiques en ce qui concerne la nutrition, la défense de l’environnement est littéralement plombée par de multiples non-sens, d’approches dénuées de la moindre critique voire de promotions de pratiques dangereuses et parfois sectaires.

Commençons par nous en remettre aux vraies recherches scientifiques dans ce domaine plutôt qu’à des articles sensationnalistes, privilégions les alternatives concrètes plutôt que les buzz éphémères. Mais surtout, continuons de vérifier les sources, les données et les arguments, de manière la plus neutre possible, sans nous laisser aller à l’émotionnel ou à l’idéologie. Seule une approche véritablement argumentée et réfléchie permettra d’avoir la crédibilité suffisante pour défendre efficacement l’environnement face aux comportements qui lui sont néfastes. »

Reste à voir si l’écologie sera portée dans le débat politique à Saint-Fons et quelles seront les alternatives proposées : réponse aux municipales de 2020 !

Camille Rouet

En expédition journalistique au sein du Lyon Bondy Blog. Coréalisateur du web-documentaire "Ingénieur Pour Demain".

Voir tous les articles de Camille Rouet →

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *