Palestine : ne rien faire c’est laisser faire


Un an après les massacres de l’été 2014, retour sur la guerre de Gaza. Tandis que les combats faisaient rage, les manifestations s’enchaînaient de par le monde. À Lyon, la mobilisation fut historique : des dizaines de milliers de personnes avaient battu le pavé tout l’été. Mais quel est l’impact des mobilisations internationales sur la situation en Palestine ? Manifester, est-ce productif pour la paix ou est-ce un facteur supplémentaire de déstabilisation ? Actrices des manifestations, les militantes lyonnaises du collectif Palestine 69 Amélie, 29 ans, éducatrice et Fadila, infirmière de 41 ans nous ont expliqué leur point de vue. Elles ont connu l’été dernier « un déclic, une réelle prise de conscience ».

 

Bref rappel des faits. Il y a un an, du 8 juillet au 26 août 2014, l’opération « Bordure protectrice » lancée par l’armée israélienne tuait plus de 2200 Gazaouis. 80 % d’entre eux étaient des civils, dont 550 enfants, tandis que du côté israélien, on ne dénombrait « que » 73 personnes tuées, dont 67 soldats. Des chiffres déséquilibrés et difficilement comparables. Selon Amélie du collectif Palestine 69 « En France on désinforme et on formate. Peu de gens sont réellement informés sur la gravité de la situation en Palestine. Israël agit donc en toute impunité. » Venue avec sa camarade de lutte Fadila, pour elles, pas question de parler de « Guerre de Gaza ». Ce sont des « massacres », clament-elles unanimement. Leur point de vue est également celui d’Amnesty International, qui a publié cette vidéo en lançant la Gaza Platform.

Les images de la violence à Gaza font le tour du monde et les manifestations s’enchaînent dans de nombreux pays pour demander l’arrêt des massacres et pour « mettre un coup de pression sur Israël et sur nos gouvernements », selon Amélie. Un « réveil » qui « fait du bien » à Fadila  : « Je me suis dit : “on se réveille” ! Le peuple de Gaza et de Palestine voit au travers de la télévision ces manifestations. Ça les soulage de voir que leur oppression est reconnue. »

 

Qualifiées de manifestations communautaires musulmanes, voire de manifestations antisémites, les mobilisations pour Gaza seront très critiquées dans les médias, le gouvernement français allant même jusqu’à interdire la manifestation du 19 juillet à Paris. Alors, les deux militantes sont-elles antisémites ? « Ça fait partie de la propagande israélienne », explique Fadila. Si quelques antisémites agités essaient d’infiltrer le mouvement, ils restent ultras minoritaires. « On soutient la cause palestinienne avec l’UJFP (Union Juive Française pour la Paix), se défend Amélie. On peut donc difficilement nous accuser d’être antisémites. Mais je suis contre le sionisme, qui est un projet politique et religieux ».

Qu’est-ce que le sionisme ? Souvent mal compris, le terme signifie qu’un individu est sioniste s’il désire ou soutient la création d’un État juif en terre d’Israël qui serait, dans le futur, l’État du peuple juif. Par exemple, l’idée d’un état mixte judéo-arabe faisant cohabiter le peuple israélien et palestinien avec des droits égaux pour chacun ne serait pas sioniste : au lieu de voir Israéliens et Palestiniens face à face, ils seraient ensemble dans un État des citoyens plutôt qu’État juif, un état multinational plutôt qu’un État-nation.

Un palestinien tenant un bébé blessé lors des massacres de 2014_1
Un palestinien tenant un bébé blessé lors des massacres de 2014

« Le sionisme c’est du colonialisme, poursuit Fadila. Ça a une résonance avec l’histoire de la France. La France a perdu la Guerre d’Algérie, l’Angleterre aussi a perdu ses colonies. Les années sont passées, mais en Israël rien n’a changé ». « Le pire c’est que les grandes puissances cautionnent ça, fulmine Amélie. Comment peut-on inviter Netanyahu à la manifestation après les attentats contre Charlie Hebdo ? » Être contre le pouvoir israélien ne signifie cependant pas pour les jeunes femmes soutenir le Hamas, parti islamiste, ou l’Autorité palestinienne, terriblement corrompue : « On ne soutient ni le Hamas ni l’Autorité Palestinienne, mais le peuple palestinien ! », clame Amélie, qui ne qualifie pas son soutien de politique, mais « d’humain », pour « l’arrêt des massacres permanents ». Fadila précise « Il faut que le droit international soit respecté. Que ce qui a été voté à l’ONU soit mis en place pour que les Palestiniens retrouvent des droits fondamentaux. Il faut détruire le mur, démanteler les colonies illégales, faire revenir les réfugiés palestiniens en Palestine ».

 

Un enfant devant le mur de séparation en Palestine
Un enfant devant le mur de séparation en Palestine

 

« Ne rien faire c’est laisser faire », dit l’adage. Il s’agit donc aussi de sensibiliser et d’influencer les acteurs internationaux pour contraindre Israël à cesser ses violations des droits humains. Desmond Tutu, prix Nobel de la paix pour sa lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud compare ce qu’il se passe en Palestine et ce qu’a connu son pays : « Leur humiliation nous est familière à nous Noirs sud-africains qui ont été réprimés, harcelés et insultés par les forces de sécurité du gouvernement d’apartheid. (…) Les peuples dont on nie la dignité et les droits méritent la solidarité des autres êtres humains. Ceux qui se taisent face à cette injustice la perpétuent. Se dire neutre face à une situation injuste, c’est en fait choisir le camp de l’oppresseur. »

Une autre accusation récurrente concernant les militants propalestiniens est d’importer le conflit en France. Une diatribe quelque peu étrange lorsque l’on a des notions d’histoire : rivales, la Grande-Bretagne et la France ont exporté leur conflit au Proche Orient au début du 20ème siècle, colonisant et découpant de façon artificielle de nombreux pays. Le génocide pendant la Seconde Guerre mondiale vient également des pays européens.


Les accords Sykes-Picot sont des accords secrets signés le 16 mai 1916 entre la France et la Grande-Bretagne, prévoyant le partage du Moyen-Orient à la fin de la guerre dans le but de contrer des revendications ottomanes
Les accords Sykes-Picot sont des accords secrets signés le 16 mai 1916 entre la France et la Grande-Bretagne, prévoyant le partage du Moyen-Orient à la fin de la guerre dans le but de contrer des revendications ottomanes

 

Avec la globalisation et les réseaux sociaux, le conflit est plus que jamais importé dans chaque foyer de France. D’où peut venir alors cette accusation d’importation ? Et que veut-elle dire ? « Les militants issus de l’immigration récente et nord-africaine qui manifestent pour la Palestine militent souvent dans d’autres associations, explique Fadila. Je suis super contente qu’il existe des associations de défense du Tibet ! C’est hallucinant qu’on nous reproche de manifester en nous disant : “Mais qu’est-ce qu’ils foutent là !” », s’emporte la militante, fâchée par ce paternalisme aux parfums coloniaux.

Action de BDS à Vaulx-en-Velin_1
Action de BDS à Vaulx-en-Velin

Autre mobilisation, moins connue que les grandes manifestations mais plus régulière, le BDS (Boycott Désinvestissement Sanctions) a été qualifié par le premier ministre Benyamin Netanyahou de “menace stratégique”.

Desmond Tutu en parle en ces termes : « En Afrique du Sud, nous n’aurions pas pu parvenir à une démocratie sans l’aide des gens du monde entier qui ont lutté de manière non violente, par le biais du boycott et du désinvestissement. Et ce sont les mêmes questions d’inégalité, d’injustice qui motivent aujourd’hui le mouvement de boycott et désinvestissement, qui vise à mettre un terme à une occupation des terres palestiniennes qui se poursuit depuis des décennies ». Le procédé BDS a connu de multiples réussites. Par exemple :
— la Fondation Bill et Melinda Gates a vendu sa participation dans l’entreprise G4S, qui fournit une technologie et des services dans les prisons israéliennes où des Palestiniens sont souvent torturés et détenus sans inculpation ni jugement, après la pression du monde entier.

Des fonds d’investissement d’État ont décidé de ne plus investir dans les colonies, notamment l’un des plus importants, le fonds souverain norvégien.

— Plus anecdotique, mais fortement symbolique, Scarlett Johansson a été obligée de rompre son engagement avec l’ONG Oxfam à cause de ses publicités pour Soda-Stream, marque qui a implanté ses usines dans des colonies illégales.

Au final, Israël est de plus en plus isolé sur la scène politique internationale et la campagne de boycott lancée il y a près de dix ans a ouvert la voie à l’idée de sanctions économiques internationales.

Une maison bombardée pendant la Guerre de l’été 2014
Une maison bombardée pendant la Guerre de l’été 2014

Efficace, le boycott. Tellement que la France l’a interdit depuis la circulaire Alliot-Marie de 2010, devenant le seul pays au monde qui l’assimile à des appels à la discrimination raciale. Stéphane Hessel, ancien ambassadeur, résistant torturé puis déporté pendant la Seconde Guerre mondiale, corédacteur de la Déclaration universelle des droits de l’homme, avait notamment fait l’objet de poursuites judiciaires par le Bureau national de Vigilance contre l’Antisémitisme (BNVCA). 
Pourtant, cette interdiction n’empêche pas les militantes d’agir. “Avec le collectif, on fait une action tout à l’heure à Vaulx-en-Velin, raconte Amélie. On va distribuer des tracts pour informer la population sur les dates israéliennes vendues dans le Grand Frais”. Fadila poursuit « La provenance d’Israël n’est pas écrite sur les emballages, ce qui est illégal. C’est important de discuter avec le public qui n’a pas accès à ces informations. »

Depuis la fin de l’Opération Bordure protectrice israélienne de l’été 2014, les mobilisations massives ont cessé. Il est plus dur de mobiliser. « Quand il y a une effusion de sang, les gens se mobilisent. Mais actuellement nous ne sommes plus aussi nombreux. » Explique Amélie. D’autant que le relais générationnel est loin d’être assuré : « Les collectifs vieillissent. Il est important que les jeunes aussi se mobilisent, parce que la lutte continue. »


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