Après plusieurs années de retrait de la vie politique, Najat Vallaud-Belkacem présente son projet l’Alternative pour les élections régionales en Auvergne-Rhône-Alpes. Retour en politique, nouveau projet et nouvelles ambitions, elle se confie.
En mars 2004, vous êtes élue conseillère régionale de Rhône-Alpes et vice-présidente chargée de la Culture. Après votre défaite aux élections législatives dans le Rhône de 2007 par Dominique Perben , vous êtes élue conseillère générale du Rhône en 2008 puis conseillère municipale de Lyon et 6ème adjointe au maire.
Vous avez été porte-parole du gouvernement, ministre des Droits des Femmes, de la Ville, de la Jeunesse et des Sports et ministre de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.
Candidate aux élections législatives dans le Rhône en 2017, vous êtes battue par le candidat LREM. Aujourd’hui, après vous êtes mise en retrait de la vie politique pendant 4 ans vous présentez votre candidature aux régionales.
Qu’avez-vous fait pendant ces années et qu’est-ce que ça vous a apporté ?
En 2017, j’ai pris cette décision qui visiblement n’était pas si classique parmi les politiques de prendre du recul, d’aller faire autre chose. Je l’ai fait pour deux raisons. D’abord, je pense que j’étais fatiguée tout simplement. La politique a ses exaltations, ses enthousiasmes mais aussi ses travers. Au bout de 5 ans de ministère qui avaient été intenses, je pense que j’avais besoin de me reposer, de voir un peu autre chose. Deuxièmement, je me suis dit à ce moment-là que les électeurs venaient de se prononcer et qu’ils avaient été assez clairs. Ils adhéraient à la démarche d’Emmanuel Macron à laquelle je n’adhérais pas. J’étais persuadée que la politique qu’il allait mener ne serait pas la bonne. Il valait mieux laisser les électeurs s’en rendre compte par eux-mêmes. Je trouve que c’est absurde de la part des politiques de vouloir à tout prix dans ce genre de situation revenir dès le lendemain. Par ailleurs, s’ils nous avaient en quelque sorte signifié notre congé c’est aussi parce qu’ils n’étaient pas satisfaits de ce qu’on avait fait et il fallait qu’on retravaille. De plus, en politique, on parle très souvent du monde de l’entreprise. Il m’a semblé pertinent d’avoir soi-même cette expérience, d’être hors du champ politique pour pouvoir avoir une vision plus approfondie et complète sur tout cela. C’est ce qui m’a poussé à partir de 2017 à faire plusieurs choix successifs. J’ai passé deux ans dans le secteur privé, dans une multinationale qui fait des enquêtes d’opinions à l’échelle d’une quarantaine de pays. J’ai ainsi beaucoup travaillé sur la question des montées du populisme, de l’explosion de l’inégalité, de la perception du changement climatique et ça m’a été très utile sur un plan intellectuel. En parallèle, j’ai créé une collection d’essais écrits par des chercheurs aux éditions Fayard, que je dirige toujours et qui s’appelle « Raisons de plus ». C’était une volonté de faire connaitre un peu plus la réflexion de vrais chercheurs à contrario des spécialistes du commentaire omniprésents sur les chaines d’info en continu qui viennent généralement parler de choses qu’ils ne connaissent pas. A côte de tout ça, je n’ai jamais cessé d’être engagée sur un certain nombre de combats auxquels je crois beaucoup comme la question des réfugiés. À partir de début 2020, j’ai eu l’opportunité de diriger en France une ONG de solidarité nationale qui s’appelle « One ». Elle lutte contre l’extrême pauvreté et les maladies évitables dans le monde.
Pourquoi revenir dans l’arène politique ? Est-ce que la politique est une addiction ?
Absolument pas. J’ai la chance d’être dans un incroyable observatoire de ce qu’il se passe à l’échelle et du monde et de la France. C’est un privilège mais aussi le résultat des choix que j’ai faits. Tout le monde ne s’oriente pas dans la recherche intellectuelle quand ils passent dans le privé. J’ai voulu comprendre ce qui était en train de se passer actuellement et je suis extrêmement inquiète. Les choses ne vont faire que se dégrader sous l’effet cumulé de l’explosion des inégalités, de la surexploitation des ressources de la terre, du nombre croissant de réfugiés qui sont aujourd’hui des réfugiés de guerre et qui demain seront des réfugiés climatiques . De cet afflux de réfugiés nait une augmentation du populisme dans les pays qui eux ont un peu plus les moyens et la France n’est pas épargnée. Ça commence toujours par un débat public foireux qui n’est plus trusté que par les semeurs de haine et de discorde. Je me suis dit que face à ce danger j’avais une responsabilité, un devoir pour porter un autre discours dans le paysage public. C’est ça qui m’a convaincu, malgré toute la difficulté de cette élection régionale.
Quel bilan faites-vous de la présidence de M. Wauquiez ?
Toute la dégradation du paysage politique que je viens de vous décrire, Laurent Wauquiez en est totalement symptomatique et porteur depuis longtemps. Le mensonge en bandoulière, je me souviens très bien de la campagne qu’il conduisait à l’époque face à Jean-Jacques Queyranne en prétendant qu’avec lui on augmenterait plus les impôts, qu’on ne ferait que les baisser alors que la région ne lève pas d’impôts ! Mensonges, surexploitation des questions de sécurité qui mettent la boule au ventre. La meilleure réponse est l’action plutôt que la communication aiguë, surtout quand elle sert avant tout finalement à aggraver les situations et les clivages plus qu’à résoudre quoi que ce soit. A partir de 2015, les politiques publiques conduites ici ont fait les poches des plus pauvres. Pour résumer les choses, tout ce qui concourrait à un peu de justice sociale, de solidarité, d’équité territoriale, c’est à dire le financement de la politique de la ville, de la construction de logements sociaux, de la formation professionnelle, des tarifications sociales des transports, des cantines dans les lycées…Tout ça a été laminé. Les plus vulnérables qui ont le plus besoin de la puissance publique sont sacrifiés. Faire des économies sur le cœur de la solidarité, ce n’est pas ce que j’appelle une bonne gestion. C’est l’idéologie de M.Wauquiez. Comme Médiapart l’a montré, l’iniquité territoriale a dominé sur l’ensemble du territoire : 126 euros par habitant alloués pour la Haute-Loire contre 15 euros par habitants pour les départements le plus dans le besoin. Un système de subvention et d’aide totalement clientéliste, reconnu comme tel par tout le monde où clairement l’étiquette politique de la commune et l’allégeance à Monsieur Wauquiez prévaut. Il n’y a eu aucune politique publique structurante sur tous les sujets qui comptent. Est-ce qu’on a avancé sur la qualité des transports collectifs dans cette région ? Pas du tout. Regardez le temps qu’on met encore aujourd’hui pour faire un Lyon-Clermont, le fait qu’on n’ait toujours pas fait revenir les voyageurs sur la rive droite du Rhône, le nombre de petites lignes de train et de guichets de gare qui ont fermé dans cette région. Il n’y a rien de structurant, d’ambitieux pour les services publics ferroviaires et les transports collectifs. Sur la question du développement économique de la région, a t on vu depuis 2015 quelque chose d’ambitieux sur ce territoire, un grand plan de compétitivité, de rayonnement pour faire en sorte que cette région vende mieux à l’étranger ce qu’elle sait faire de mieux, sur la question du numérique, des micros-technologies ? Non, Monsieur Wauquiez n’a strictement rien fait des pôles de compétitivité qui existaient avant 2015. On ne croirait même pas qu’on ait des laboratoires de recherche et des industries tellement la Région n’a jamais investi ce champ-là. Il n’ y a aucune préparation de l’avenir. Et que dire sur le mode de gouvernance qui laissent plus qu’à désirer. L’opposition n’existe plus dans le conseil régional. Les règles de la démocratie sont absentes depuis des années dans cette région. Il n’y a absolument aucune transparence ; ni sur les politiques publiques, ni sur la priorité donnée au bien commun et à l’intérêt général, ni sur la gouvernance démocratique de cette collectivité. C’est le symptôme d’une dégradation de la vie publique et politique qui nous guette partout tant au niveau régional que national. Avec des méthodes comme celle-là, il ne faut pas s’étonner que tout se dégrade au point qu’on finisse par se dire que l’élection de Madame Le Pen en 2022 est tout à fait plausible.
Vous avez été vice-présidente de la région Rhône-Alpes. Pour vous quelle est la différence avec l’Auvergne Rhône-Alpes ?
J’ai appartenu au gouvernement qui a fait joindre ces deux régions. Je trouve dommage qu’on soit resté au milieu du gué. Il y avait un intérêt évident de passer aux grandes régions qui était de donner plus de puissance à un territoire dans le sens où les acteurs allaient faire valoir leur complémentarité. Par exemple, les festivals culturels pouvaient se mettre à travailler ensemble et par définition rayonner plus à l’extérieur, les laboratoires de recherche et les entreprises aussi. Si on avait voulu aller jusqu’au bout de la démarche, il aurait fallu organiser ces rencontres complémentaires. Dans d’autres régions, ça a été réussi mais en Auvergne Rhône-Alpes, il n’y a pas eu d’interrogations posées sur l’identité. Le nom n’a même pas interrogé et on s’est contenté d’accoler Auvergne et Rhône-Alpes Nous n’avons pas donné d’aura particulière à notre Région et nous n’avons pas cherché à créer une identité symbolique. Le président de la Région s’est amusé à faire croire aux Auvergnats qu’ils étaient les parents pauvres et qu’il allait en grand sauveur les protéger des méchants Rhône-Alpins. Mais est-ce que cela a rendu service à l’Auvergne ? Voilà encore sa conception de la politique.
Est-il possible de créer cette identité Auvergne Rhône-Alpes ?
Il le faut. On ne va pas retourner en arrière maintenant. Ce territoire est incroyable avec ses chaînes de montagnes, ses deux fleuves et cette biodiversité extraordinaire. Nous avons à la fois des zones rurales et de grandes métropoles urbaines. S’il y a une chose qui est agréable pendant cette campagne, en sillonnant cette région, c’est d’avoir affaire à des acteurs extrêmement différents les uns des autres. Par exemple, j’ai pu parler avec des agriculteurs du Cantal de la façon dont on devrait davantage alimenter nos métropoles urbaines de leurs produits de terroir et notamment introduire une véritable éducation au goût et à l’alimentation pour les jeunes des quartiers politiques de la ville. De ce point de vue, notre région c’est une petite France. Mais j’ai l’impression que ces dernières années on n’a pas su créer un nouvel imaginaire pour bien englober Auvergne et Rhône-Alpes. Les territoires les plus excentrés qui voyaient dans cette fusion une opportunité de finalement se rapprocher de Lyon regrettent ce manque d’ambition.
« Je multiplierai par cinq le nombre d’entrées en formation professionnelle »
Najat Vallaud-Belkacem
Les formations professionnelles sont très valorisées par les politiques mais très peu de postes sont proposés. Comment fait-on pour valoriser les formations professionnelles et les métiers manuels ? Et pour booster l’insertion professionnelle, qui a beaucoup souffert de la conjoncture ? Comment fait-on pour casser cette image de voie de garage pour enfants en échec scolaire à vrai source de revenus ?
Ce sujet est présent dans ma vie depuis mes plus jeunes années d’engagement politique. J’ai systématiquement à un moment ou à un autre été confrontée à cette mauvaise image des filières professionnelles. J’ai constaté les dégâts causés aux jeunes par une orientation dont ils ne voulaient pas et qui ont subi. Ils se sont retrouvés dans des endroits qui ne leur plaisaient pas. Ça fait des années que je sais pertinemment qu’on a un sujet avec la question de l’orientation subie et celle de l’image de l’enseignement professionnel qui est aux antipodes de sa réelle valeur. J’en suis une grande convaincue. Quand je suis devenue ministre de l’Éducation, l’une des mesures que j’avais adoptée était de faire en sorte que chaque élève arrivé dans sa classe de seconde en lycée général, technique ou professionnel ait jusqu’aux vacances de Toussaint pour dire si cela lui plaisait ou non. Il pouvait ainsi remettre en cause son choix et avoir le droit d’aller dans une autre filière. C’est la meilleure façon de lutter contre ce sentiment de subir son orientation plutôt que de la choisir. Si ça devient quelque chose qu’on a choisi, on la considère autrement et on s’y donne totalement. C’est ce genre de choses qui permettent de changer l’image de voie de garage de l’enseignement professionnel et montre que ce dernier est passionnant et concret. Mais, quand j’étais ministre, j’ai constaté énormément d’hypocrisie de la part d’observateurs sur la question de l’enseignement professionnel.
De quelle hypocrisie parlez-vous ?
Vous avez des gens qui sont capables de déclarer publiquement qu’il faut valoriser davantage l’enseignement professionnel dans notre pays puis dans le privé quand ils sont interrogés sur leurs propres enfants, ils expliqueront qu’ils sont des bons élèves et qu’ils préfèrent qu’ils aillent en général. De la même façon, en tant que ministre, il suffisait que je change une virgule dans un programme de mathématiques de bac général pour que s’ensuivent des débats sans fin. Alors que lorsqu’un de mes prédécesseurs , Luc Chatel, avait réformé la scolarité en lycée professionnelle pour la faire passer de quatre ans à trois ans sans rien changer au programme cela n’avait pas fait de vagues. Un changement comme celui-là est quand même considérable mais il y a eu un silence total. Voila l’hypocrisie. Malheureusement, on est dans une culture, un système, une forme d’élitisme qui continue à faire penser que l’enseignement professionnel est moins bien et il y a peu de gens sincèrement convaincus.
Êtes-vous pour une implication plus conséquente des structures professionnelles dans la formation professionnelle ?
Je suis favorable à un rapprochement des entreprises avec l’enseignement notamment professionnel. De nouveaux métiers s’inventent du jour au lendemain, il faut être réactif. La meilleure façon de le faire est que les entreprises et leurs représentants soient présents dans les comités de pilotage qui aident à ajuster le contenu des diplômes, des formations et ce de façon beaucoup plus souple qu’on ne le fait aujourd’hui. Quand on parle de la préparation au métier, il faut que le geste professionnel soit là, que la compréhension des enjeux et notamment de cette évolution de l’intelligence artificielle aussi. Mais il faut préciser, que ce soit pour les lycées professionnels ou générales, la Région n’a de compétence que sur la construction, l’entretien et les équipements. Elle n’a pas du tout compétente sur l’apprentissage, contrairement au ministère de l’Éducation. Quand j’emploie le vocable formation professionnelle, je ne parle pas des lycées professionnels mais de ce qu’on appelle la formation continue et qualifiante.
Quelles sont vos ambitions sur ce point ?
Je multiplierai par cinq le nombre d’entrées en formation professionnelle. Ces formations sont offertes par la Région qui a des centaines de millions d’euros pour cela. Elle est censée aussi solliciter des fonds qui viennent de l’État et de l’Europe. Cela n’a pas été fait donc des tas de gens qui auraient voulu se former pour être aide-soignant ou encore infirmier, soit en début de vie active soit en reconversion professionnelle, n’ont pas trouvé de formations qualifiantes pour le faire. Alors que cela nous aurait été bien utile ces derniers mois. Il y a des compétences dont on s’est privé dans cette région. Par ailleurs, lorsque vous avez une formation professionnelle qualifiante, vous avez 80% de chance d’être en CDI. Le chiffre est évidemment beaucoup plus bas quand vous n’avez pas tout ça. C’est pour ça que mon grand sujet au-delà de la formation sera cette question de l’emploi et notamment de l’emploi des jeunes.
Retrouvez la deuxième partie de l’interview ici.
Kenza Sammari