« L’état d’abandonnite de nos cités reste le grand scandale de notre pays »

Bondy Blog – Fils de bonne famille, écrivain et avocat, Felix de Belloy est le fondateur de Proxité, une association qui lutte contre le décrochage scolaire de jeunes issus de quartiers en difficulté. Portrait.

A 23 ans, pour accomplir son service militaire, Félix de Belloy embarque comme matelot sur un navire de la marine nationale, direction le Sénégal. Cette aventure africaine tombe à pic pour ce jeune homme de bonne famille de l’ouest parisien qui s’ennuyait sur les bancs de la fac Panthéon-Assas pendant ses études de droit. « J’ai vécu ce voyage comme une respiration géographique et une respiration sociale », se souvient-il en se réchauffant dans un troquet de Saint-Ouen à l’abri de la neige paralysante de cette fin décembre.

« Pendant cette année, entre 1998-1999, j’ai acquis un regard différent sur la France, plus « vibratile », en suivant l’actualité de notre pays depuis l’étranger. La banlieue devenait de plus en plus un sujet. Là-bas, je me suis dit que l’état d’abandonnite de nos cités restait le grand scandale de notre pays. Et en rentrant du Sénégal, j’ai eu envie de faire quelque chose. » Une révélation en somme.

Au fil des années, Félix parvient à bâtir une association solide et reconnue baptisée Proxité. Elle propose à des jeunes issus des quartiers en difficulté de Seine-Saint-Denis et des Hauts-de-Seine d’être parrainés individuellement par des bénévoles appartenant à la population active. Chaque parrain a la charge d’aider et de suivre un adolescent ou un jeune adulte pendant au moins un an, en lui apportant un soutien scolaire et/ou en le guidant dans son orientation professionnelle. Un lien humain se crée ainsi entre deux populations qui, habituellement, s’ignorent ou se craignent.

Douze ans après l’épisode sénégalais de son créateur, Proxité emploie cinq personnes et abrite trois antennes à Saint-Denis, Nanterre et Noisy-le-Grand qui comptent 160 parrains bénévoles. Paradoxalement, l’association est victime de son succès et de l’envie de s’en sortir de très nombreux jeunes de ces quartiers. En effet, nombre d’entre eux sont inscrits sur liste d’attente en espérant l’arrivée de bénévoles pour créer de nouveaux binômes.

Si aujourd’hui Proxité, soutenue par des entreprises privées comme par les pouvoirs publics, est devenue un acteur de cohésion sociale des villes où elle est installée, Félix dut partir de zéro. Il n’avait jamais mis un pied dans ces banlieues et n’y connaissait personne… A son retour du Sénégal, donc, il décide d’appeler une amie qui travaille à la mairie de Saint-Denis et qui le met en contact avec l’association Canal installée dans le quartier Floréal notamment.

Le courant passe bien avec Zohra, une éducatrice qui lui demande d’accompagner deux jeunes convoqués au tribunal. « J’ai débarqué avec mon code pénal dans la cité avec un sentiment de crainte mêlé d’excitation. Aujourd’hui je trouve cela ridicule : j’ai, depuis, complètement démystifié le quartier. » Lors de cet accompagnement informel, il leur explique le droit. Zohra lui renvoie un écho très positif. Les jeunes ont grandement apprécié sa présence : « Car tu leur parlais « normalement » », lui rapporte l’éducatrice. Sans condescendance, comprend-il. Son histoire avec la ville de Saint-Denis venait de naître…

Parallèlement, il s’essaie à l’écriture. Simple hobby pour tuer le temps lors d’un stage estival dans un cabinet d’avocats à Atlanta où il s’ennuie ferme ? Pas pour une prestigieuse maison d’édition qui signe son premier manuscrit « La Gifle au Bon Dieu » rubis sur l’ongle, séduite par ce journal de bord d’une petite Africaine vivant aux États-Unis. Les états d’âme de cette ado originaire du Sénégal, pays fil rouge de la vie de Félix, font de lui un écrivain. Et les critiques de son second roman « Le Soleil est une femme » seront tout aussi élogieuses. Il conte à nouveau les aventures d’un personnage féminin, celles d’Assiah, qui élève seule son enfant dans une cité. Pour vivre, elle fait le ménage dans des bureaux et rentre à 22 heures chaque soir. Medhi, son fils de 15 ans, est convoqué devant la cour d’assises des mineurs…

Félix de Belloy ne s’en cache pas : la réalité qu’il côtoie à Saint-Denis dans ses fonctions d’avocat ou au sein de l’association Proxité l’inspire dans sa fiction. « En travaillant dans les quartiers, j’ai découvert le phénomène des mamans seules. Et à force de fréquenter comme avocat les cours d’assises pour des affaires de braquage ou de stups, j’ai pu constater, dans le box des prévenus, la proportion ahurissante de ceux qui ont grandi sans père : des pères absents, décédés ou simplement partis en abandonnant les mères. »

Avocat désormais installé dans un cabinet parisien, il s’est fait remarquer par ses pairs en remportant le prestigieux concours d’éloquence du barreau de Paris. Pendant une année, son titre lui confère de nouvelles responsabilités et beaucoup de travail lui permettant aussi de noircir un imposant carnet d’adresses. Il a notamment l’occasion de défendre Imad Kanouni, un des six ex-détenus français de Guantanamo, qui sera relaxé. Il se fait également repérer par The Open Society Justice Initiative, l’ONG américaine financée par le milliardaire George Soros et dont l’un des objectifs est la dénonciation et la lutte contre les discriminations.

Cette association est à l’origine d’une étude commandée au CNRS et qui démontre qu’en France, une personne noire ou originaire d’Afrique du nord, aurait entre 9 et 14 fois plus de chance de se faire contrôler par la police qu’un Blanc. Or juridiquement ces discriminations seraient très difficiles à démontrer. L’association missionne alors Félix de rédiger une stratégie pour réussir à monter une procédure de dossier de plainte contre ces contrôles abusifs. Sa stratégie vient d’être validée par The Open Society Justice Initiative.

Si tout semble sourire à ce jeune père de trois enfants, il lui arrive aussi de perdre quelques dossiers. Le dernier : tenter d’obtenir une compensation de l’État pour un jeune viré d’un collège à 12 ans et déscolarisé depuis. « On n’a pas de chiffres sur la déscolarisation avant 16 ans : on ne sait pas si ça concerne 7000 ou 70 000 ados. Pour moi, avec l’état des cités et des maisons d’arrêt en France, c’est un autre scandale de notre République. » Et un nouveau combat à mener pour Félix de Belloy…

 

Pour en savoir plus, le portrait sonore de Félix de Belloy sur France Info.

Auteur : Sandrine Dyonis

La rédaction

Crée en 2008, la rédaction du Lyon Bondy Blog s'applique à proposer une information locale différente et complémentaire des médias traditionnels.

Voir tous les articles de La rédaction →

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *