A Lyon, certains lieux sont littéralement détournés de leur vocation initiale par ceux qui les fréquentent. L’exemple le plus frappant reste l’Opéra dont le parvis est devenu le point d’ancrage de la danse hip-hop de la région… Comme appropriation on ne fait pas mieux… VIDEO EN +.
Je ne sais pas pourquoi mais pour moi l’opéra est toujours resté un élément culturel lointain. Enfin quand je dis cela, j’oublie volontairement la seule approche que j’en ai eue à savoir la publicité pour les pâtes Barilla, un remake ménager de Carmen ou encore la Castafiore dans Tintin…Eh oui, des références comme ça c’est du béton armé jusqu’aux dents ! Résultat : ce qui m’a amenée à l’Opéra il y a quelques semaines ce n’est pas le bon goût des pièces que l’on peut y voir mais plutôt les danseurs de hip-hop, littéralement incrustés sur les dalles de marbre.
Ludovic, jeune lycéen me confie venir de Givors dès qu’il peut afin de s’exercer sur les dalles de marbre. L’attrait de l’endroit est donc exceptionnel pour ce jeune homme qui n’hésite pas à effectuer jusqu’à deux heures de trajet. L’affaire est sérieuse on dirait…Lorsqu’on les interroge, ces jeunes viennent de toute l’agglomération : Bron, Vaulx-en-Velin, Vénissieux, Lyon 5ème, Saint-Priest, Bachut, Givors…
« Au départ, dans les années 1990, les danseurs n’étaient pas spécialement les bienvenus » me lance Jacky, de la compagnie de danse villeurbannaise G-FORCE. Effectivement, le clash devait être rude entre culture classique et culture de la rue. Deux mondes si différents…qui peut être se jaugeaient l’un l’autre. Une autre source me révèle que souvent, les danseurs de la première heure se faisaient expulser par la police et pas toujours de la manière la plus cordiale.
Rencontre improvisée avec des habitués
Saya (31 ans, japonaise, 7 ans de danse), « L’Abeille » (19 ans, 4 ans de break dance) et Norra (23 ans, 6 ans et demi de danse, touche-à-tout du hip-hop et accessoirement véritable encyclopédie vivante de la discipline) répondent avec plaisir à quelques questions… Pourquoi viennent-ils donc danser ici ? L’Abeille me précise que c’est « parce que les anciens venaient danser ici…C’est une histoire en fait. Cet endroit est même connu d’autres danseurs à travers la France ». Norra complète : « En fait ça a commencé très tôt, au début des années 1990. Différents groupes se sont crées dont le Pockemon Crew (ndlr :champions du monde de hip-hop) et de là ça a pris une telle ampleur que maintenant tout le monde vient à l’Opéra pour pouvoir danser et connaître plus de monde. »
Un vrai lien existe entre l’Opéra et les danseurs du parvis. « Ils savent qu’on est là. En fait on peut dire qu’on fait partie du décor » me dit l’Abeille. Cependant, les danseurs de la « nouvelle génération », où les filles ne sont pas en reste, ne bénéficient pas, semble-t-il, d’échanges très approfondis avec le personnel de l’Opéra. Il existe encore certaines barrières entre le public de l’Opéra et les danseurs, même si elles tendent à être un peu plus souples. Certains n’hésitent pas à s’arrêter, prendre des photos… mais n’osent pas pour autant s’approcher des danseurs. Ce lieu est l’emblème même de deux mondes que tout sépare et qui s’interpénètrent autour d’une entrée principale, véritable sas entre ces deux univers.
Lieu de passage obligé pour tous les danseurs de Lyon, , l’Opéra est devenu une plateforme de formation et d’émulation exceptionnelle. Mais ce qui compte avant tout pour ces danseurs c’est que l’endroit permet le partage, les échanges avec les lyonnais en premier lieu et avec des danseurs qui n’hésitent pas à venir de très loin pour s’échanger conseils et techniques : « Il n’y a pas que des gens issus de la banlieue qui viennent danser ici ». La réputation de L’Opéra comme lieu majeur de la mouvance hip-hop a en effet dépassé les frontières.
Un petit bémol à tout ceci pourtant. Avec les beaux jours, l’Opéra de Lyon a ressorti sa terrasse sur le parvis…privant ainsi les danseurs du lieu au meilleur moment de l’année qui soit pour eux. C’est ainsi que le week-end dernier j’ai pu constater, avec une certaine déception, la relégation des danseurs sur une maigre portion du parvis, sur un coté de l’édifice, presque à l’abri des regards.
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Auteur : Mbarka Ben Haj Mohamed