Casus Belli sur scène avec un backeur

Immersion dans le streetwear lyonnais. Episode 2 : Les piliers d’un mouvement naissant.

Lyon, ville de tradition, s’est avérée être un terreau fertile pour le streetwear. Cette culture a su créer ses propres codes, du vestiaire de sport à la banlieue, de l’habit à l’attitude. Si vous n’avez pas lu le premier épisode rendez-vous ici : Immersion dans le streetwear lyonnais. Épisode 1 : Retour sur les origines d’un phénomène – (lyonbondyblog.fr)

Au début des années 2000, Lyon entame sa douce mais longue conversion au hip-hop. Des références vont naitre et permettre à une banlieue bouillonnante de s’identifier. Les initiatives pleuvent et deux écoles s’opposent : entre magasins revendeurs et merchandising de rappeur… La ville bouge enfin au rythme du boombap.

Quand le textile rentre en connexion avec la street

En 2002, un magasin pionnier du mouvement ouvre ses portes aux 24 Rue de Brest en Presqu’île, pour ne plus le quitter : Street Connexion. Puisant ses influences chez les jeaners Creeks, Liberto, Levis ou Bonne Aventure de l’époque, Yohann ALZRAA crée sa marque. Il a pour objectif de répondre à une demande croissante de vêtements hip-hop, aujourd’hui comblée : « On a connu une vraie évolution. Il y a 20 ans, on n’avait pas grand-chose. Aujourd’hui, on a tout ce qu’’il faut, on est bien équipés : la grande distribution, les magasins spécialisés… Tout le monde peut trouver chaussure à son pied. On est bien à Lyon ». Étant le seul lyonnais à permettre à sa clientèle d’acheter un t-shirt, un jean et une paire de basket dans le même endroit, il devient la référence. Grâce à son image de marque, son nom Street Connexion, son amour pour le mouvement breakdance, il remet au début du 3ème millénaire les baskets de sport à la mode. Ses premières références, il les acquiert en s’exportant : « Moi j’aime bien les New Balance 576, qui ont mis en avant la marque à la fin des années 90. Je les achetais à Londres car j’y habitais, et je les ramenais ici. On n’en trouvait pas sur le marché lyonnais, il y avait peu de tailles disponibles. J’en ramenais des tonnes à mes copains qui n’avaient pas autant de choix que moi ».

Son fondateur a connu les deux grandes époques du hip-hop : à la fin des années 90 et milieu des années 2010. Il a vu arriver, s’implanter, et parfois s’embourber, un bon nombre de magasins concurrents, et souffle fièrement sa vingtième bougie.

Intérieur de la boutique Street Connexion.

Et le merch dans tout ça ?

En 2007 K.NAÏ, frère de Barj, posait déjà pour « 69 la trik ». Crédit : trik.fr

En même temps que le mouvement hip-hop se développe à Lyon, les jeunes issus des quartiers populaires s’approprient les codes du textile pour créer leur propre outil marketing : c’est le grand début du merchandising. Barj, autre figure emblématique du rap lyonnais toujours accompagné de son frère K.NAÏ ont participé à cet essor. Fondée à Saint-Priest, leur marque « 69 la trik » est devenue un emblème rhodanien. Le projet, parti d’une expression répandue en prison dès la fin des années 90, s’est mué en une marque de t-shirts au début des années 2000. Barj, homme de l’ombre et pilier du projet, a su utiliser ses expériences dans la rue, pour commercialiser un produit lyonnais, qui rassemblait les banlieues. L’esprit de son business s’inspirait du rap « racailleux » de son frère. A l’époque, il y avait tout à faire : « Niveau textile, je ne sais pas si je suis premier à avoir créé un circuit comme celui-là. Ce qui est sûr, c’est que je suis le premier à l’avoir industrialisé à cette ampleur ». Étant un disciple de l’école « à la zeub » de la Bougnoul Smala, le degré de perfectionnisme du travail de Casus Belli lui paraissait inatteignable : « il était très carré dans sa démarche professionnalisante du rap. Je voulais vraiment faire tout l’inverse de lui ».

Casus Belli, roi sans couronne du rap lyonnais, arrive dans le rap à la fin des années 90, avec une envie débordante de conquérir le public français. Les crew sont légion, le rap se partage autour de freestyles de plusieurs heures et soirées open-mic où les MCs viennent pour en découdre. Casus Belli se souvient que pour lui, le style vestimentaire n’était pas le plus important, il fallait surtout en imposer : « Je suis d’une génération où quand on allait dans une autre ville ou dans un concert, on devait impacter visuellement. On avait tous les mêmes t-shirts, tous les mêmes logos. A l’époque du Tapi Versatile mon premier groupe, on avait des « crews », et quand on arrivait dans une zone, on devait prouver qu’on était les plus forts, les plus unis ».

« On avait une vie chargée, un vrai taff à côté, d’autres soucis. On optimisait tout. Faire du merch, bien qu’il soit de qualité, simplement pour sortir un t-shirt, ce n’était pas un objectif. Ça faisait surtout partie des opérations coup de poings, d’une époque d’appartenance à un groupe ». Un uniforme qui n’était réfléchi que dans un seul but : la rentabilité financière.

En 2022, K.NAÏ posait toujours pour « 69 la trik ». Crédit : 69latrikofficiel

Mettant sa vision marketing au service d’un frère talentueux, Barj permet une identification de tous les quartiers de Lyon de se reconnaitre dans un projet par et pour eux : « La ville était vue comme bourgeoise, « catho-bobo », et on a su amener cette représentation de l’autre-Lyon qu’on connaissait ». Businessman pragmatique, pour lui le merch est un support évident « c’est un vrai moyen d’identification, car la personne veut être reconnue pour avoir mis ce t-shirt. C’est avec le temps et l’évolution qu’on lui connait que le t-shirt et l’expression se sont démocratisées. Tout le monde ne pouvait pas le porter à l’époque ».

Visionnaire, le san-priods comprend que s’il veut briller en France, il doit élargir son public. Il rentre en contact avec Alibi Montana et le fait venir pour exporter son merchandising à Lyon, démarche totalement novatrice pour l’époque. Il en profite pour mettre en avant sa propre marque et perpétue ce lien entre rap et mode, en combattant la dureté du milieu : « On en avait marre des rappeurs qui rappaient entre eux et pour eux. Avec notre collection de t-shirt, on voulait vraiment proposer des produits au plus grand nombre, au grand public. C’est ce que l’écosystème rap de l’époque ne comprenait pas, ne voulait pas respecter ». Aujourd’hui devenue une référence lyonnaise, le projet continue de se développer et d’élargir le champ des possibles : casquettes, hoodies, banane, bob et même tasse…

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Pull de LY69, collection 2001-2002. Crédit : JM

Autre témoin de l’évolution de ce marché, le fondateur du festival l’Original Fest’ à Lyon : JM. En effet, avant de s’imposer comme un leader de l’événementiel en ville, JM a créé la marque « LY69 ». Également un des précurseurs du « 69 avec les mains », le natif de Rillieux-la-Pape a tout de suite vu un attrait des banlieues pour la culture de chez lui : « J’avais proposé ça à MD Store, à l’époque de mon fanzine Version69, et ça a bien fonctionné». A travers les différents évènements qu’il a organisés courant 2000, JM a su réunir les habitants de son quartier de Rillieux, ainsi que le grand-Lyon plus généralement. Il a rendu accessible la culture hip-hop à un plus grand nombre en amenant le rap sur les grandes scènes de la région.

Tout le monde trouve basket à son pied

Bien que l’uniforme « Lacoste TN » du bon vieux rat lyonnais ait toujours eu pignon-sur-rue dans le streetwear, c’est une autre paire de chaussures qui a marqué la ville de son empreinte. En effet, la Nike Air Max BW Lyon pour « Big Window » est une sneaker classique de la ville. Tellement classique, que Nike a choisi trois villes dans le monde pour lui rendre hommage en Novembre 2021 : Rotterdam, Los Angeles et Lyon. Dans un coloris gris terne, la version 69, disponible uniquement dans le magasin Shoez Gallery a permis aux aficionados des 90’s de porter une paire unique et historique. Le magasin, ouvert depuis les années 2000, est un monument de la ville. Florent, actuel gérant de la boutique revient sur la collaboration avec la marque à la virgule: « J’ai 40 ans aujourd’hui et j’avais 10 ans quand cette paire est sortie. La plupart des gens qui étaient là le matin de la sortie, c’étaient des quadragénaires qui voulaient avoir le modèle aux pieds, se rappeler un truc. En France, on est les seuls à avoir vendu la paire en magasin ». Ouvert depuis début 2003, le shop a ressenti un nouvel élan grâce à la sortie cette paire, un retour à la basket portée et pas collectionnée -ce phénomène est apparu avec « l’ère Yeezy ». Elle a aussi assis la notoriété de la boutique : « La Air Max BW Lyon a permis de faire connaître le magasin a beaucoup d’autres personnes de la région qui ne nous connaissaient pas. Cela nous a placé sur le carte. Nike décide de proposer une paire spéciale Lyon et de la revendre chez Shoez Gallery. Ils nous ont sélectionné comme les plus légitimes. Ils n’avaient pas besoin de nous pour la vendre, mais ils voulaient qu’on raconte une histoire ». Cette histoire, elle s’arrache entre des tailles 36 et 46, et elle permet de fédérer toute une ville, anciennes et nouvelles générations confondues, autour d’une simple paire de basket. Tout un symbole, durant la campagne publicitaire du projet, c’est Tedax Max et Florent qui sont les représentants de cette paire, mettant en avant cette street-life entre La Guill’ et Hôtel-de-ville.

Dans le prochain épisode, nous aurons l’occasion de découvrir la nouvelle génération de créatifs qui continue d’écrire l’histoire de cette street-culture. 

Tristan

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