Les lycées des quartiers populaires de la métropole de Lyon seraient « au bord de l’implosion ». Les professeurs demandent plus de moyens par l’acquisition d’un « véritable statut d’éducation prioritaire ». Le Lyon Bondy Blog a recueilli le témoignage d’un enseignant à Vénissieux.
« Je suis un pur produit de la méritocratie Républicaine », déclarait le nouveau ministre de l’éducation nationale, Pap Ndiaye, lors de son investiture en mai dernier. Déjà galvaudée par d’autres bouches, la collocation semble avoir perdu tout crédit dans la lettre ouverte qui lui est adressée par cinq lycées des quartiers populaires de la métropole de Lyon. Les premiers mots sont sans appel : « Loin d’ouvrir à chacun.e une destinée sociale déconnectée de son origine, l’école reproduit les inégalités de naissance ».
Alors que l’éducation prioritaire a justement pour but de réduire les écarts de résultats scolaires liés aux origines sociales, les professeurs de différents lycées de Vénissieux, Vaulx-en-Velin et Villeurbanne militent depuis le 14 juin dernier pour réintégrer ces établissements au sein de ce dispositif.
« Indéniablement, on laisse des élèves au bord du chemin »
Cinq lycées des quartiers populaires de la métropole de Lyon dénoncent « l’abandon dont sont victimes les générations actuelles de lycéen.ne.s des milieux populaires ». En 2014, sous le mandat de Vincent Peillon, la politique de l’éducation prioritaire a subi une refonte totale, sans traiter la question des lycées. Elle consiste aujourd’hui en un Réseau d’Éducation Prioritaire qui rassemble les écoles et les collèges dits « REP » et « REP+ », rencontrant des difficultés sociales plus significatives qu’ailleurs. Cependant, les lycées des quartiers prioritaires, « au bord de l’implosion », semblent ne plus pouvoir se contenter de l’Allocation Progressive de Moyens (APM). Seul dispositif tenant compte de leur spécificité territoriale, elle se réduirait pourtant « comme peau de chagrin ».
Les APM, qui correspondent à des heures en classe dédoublée, sont désormais insuffisantes pour faire face au sureffectif des classes : « Il y a trois ans, il y a eu un pic démographique au niveau de la métropole de Lyon. Au lieu de créer des établissements ou des sections supplémentaires et donc recruter, le rectorat a fait le choix de remplir les classes, et même les classes des quartiers populaires », explique un professeur en électrotechnique du lycée professionnel Marc Seguin à Vénissieux. Bloquer de nouveau les effectifs à 24 élèves par classe paraît alors indispensable au vu « des fragilités dans l’apprentissage de certains étudiants ». L’enseignant syndiqué à CGT éducation délivre un terrible constat : « On n’arrive pas à répondre aux besoins de tous les élèves comme on devrait, indéniablement, on en laisse au bord du chemin ».
« Chaque année, c’est 40% des collègues qui partent »
Le sureffectif et le manque de personnel encadrant n’entraînent pas seulement une dégradation des conditions d’apprentissage et donc des conditions d’enseignement, mais également des « difficultés de gestion au quotidien ». Le professeur Vénissian en témoigne : « on passe de plus en plus de notre temps à réguler les comportements plutôt qu’à accompagner les élèves sur l’acquisition des savoirs et des compétences ». Il mentionne la multiplication des incidents pendant ou en dehors des cours, qui ne sont pourtant le fait que de quelques élèves.
S’ajoute par conséquent le manque d’attractivité du métier de professeur et les difficultés pour recruter : « Ce qu’on vit, c’est de plus en plus fréquemment des postes qui ne sont pas pourvus à la rentrée. On a des élèves en maintenance en seconde qui n’ont pas eu cours pendant six mois. Cette année, on va avoir deux postes vacants en lettres et en histoire, peut-être même un poste en électrotechnique. Si on ne crée pas des bonnes conditions de travail pour attirer des personnels et les stabiliser au niveau des équipes, c’est la débandade. Au lycée Marcel Sembat, le turnover du personnel est énorme. Chaque année, c’est 40% des collègues qui partent ».
« On est passé de 11h en classe dédoublée à zéro »
Selon l’enseignant, la manière d’accorder l’Allocation Progressive de Moyens (APM) n’est pas à la hauteur des enjeux : « C’est complètement aléatoire. De l’année scolaire 2020-2021 à celle de 2021-2022, en seconde, on est passé de 11 heures hebdomadaires en classe dédoublée à zéro. En début d’année, ils ont fait passer un test aux élèves pour déterminer l’allocation des moyens. Nous, bêtes que nous sommes, on ne savait pas. C’était une nouveauté. On a laissé plus que 30 minutes aux élèves parce que des fois, le temps de lecture est long pour certains. Finalement, ils ont trop bien réussi, donc on nous a tout enlevé ».
Pour les professeurs des lycées des quartiers populaires de la métropole de Lyon, il y a donc urgence à ce que ces établissements bénéficient de nouveau « d’un véritable statut d’éducation prioritaire ». Ils demandent une réduction des effectifs par classe, des « moyens supplémentaires conséquents en heure- poste », des « embauches massives de personnel », « un système de bonification et de primes », et des « moyens pour l’éducation socio-culturelle ».
« Là, on est dans une impasse. Les professeurs sont désemparés au quotidien »
Le professeur du Lycée Marcel Sembat rappelle l’importance d’une continuité dans le parcours des jeunes : « Tous les collèges autour de l’établissement où l’on recrute sont en REP+. Quand ils arrivent au lycée, ils ne sont plus en éducation prioritaire. C’’est-à-dire qu’une fois rentrés en seconde, toutes les familles ont changé de catégorie sociale, tous les problèmes ont été résolus ? Absolument pas. Ils continuent de vivre dans leur quartier, leur réalité, avec des fois les difficultés qu’ils ont pour pouvoir poursuivre une scolarité sereine. Nous, on arrive sans les moyens qu’avaient les collèges pour continuer à les accompagner et les faire réussir. Là, on est dans une impasse. Les professeurs sont désemparés au quotidien. Il faut absolument que le dispositif d’éducation prioritaire soit repensé sur l’ensemble du parcours de la scolarité des jeunes. L’enjeu est national.».
Alors que le rectorat a reçu et entendu les syndicats, le seul engagement obtenu concernant les lycées Marcel Sembat et Marcel Seguin de Vénissieux a été la création d’un poste d’assistant d’éducation supplémentaire. La CGT éducation du Rhône assure qu’elle travaillera à d’autres actions à la rentrée si leur lettre au ministre ne reçoit pas de réponses d’un autre ordre.
Aurore Ployer
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