Sarah Sourp, attachée aux relations avec le public de la cohésion sociale au Théâtre National Populaire revient sur le projet insolite “Voyages au bout du fil” réalisé au mois de décembre. Zoom sur la mise en place de théâtre par téléphone pour les personnes dans le besoin.
La pandémie de Covid-19 n’a pas freiné l’envie du TNP d’être proche de ses spectateurs ni d’aller chercher le public habituellement éloigné des salles de théâtre. C’est là tout l’enjeu du poste fraîchement occupé par Sarah Sourp depuis septembre 2020. Attachée aux relations avec le public de la cohésion sociale, elle a dirigé au mois de décembre le projet “Voyages au bout du fil”. La version initiale a éclos lors du premier confinement par son prédécesseur Pierre Neau, en collaboration avec Wahid Chahib du Centre d’animation de Saint Jean à Villeurbanne. Le principe : durant un mois, des comédiens donnent un rendez-vous téléphonique hebdomadaire à des participants volontaires pour leur lire un texte théâtral.
Sarah a développé le projet en agrandissant l’équipe désormais composée de quatre comédiens : Colin Rey, Lori Besson, Julien Gaultier et Solène Krystkowiak. Intervenant régulièrement au TNP, ils ont des liens forts avec ce théâtre depuis plusieurs années. Pour trouver des auditeurs, la jeune femme a collaboré avec des associations “relais” du TNP : les Petits Frères des Pauvres, le foyer Notre-Dame des sans abris, l’OVPAR – Office Villeurbannaise des Personnes Agées et Retraitées -, le centre d’animation Saint-Jean, le Crous de Lyon et l’ENSATT. Ces partenaires ont fourni à Sarah les coordonnées d’une soixantaine de personnes motivées par le projet “Voyages au bout du fil”.
Un public intergénérationnel ayant un point commun : l’envie d’échanger.
Les participants avaient des profils variés : certains étaient des personnes âgées, en situation de précarité, d’autres des étudiants ou des jeunes actifs. L’éclectisme de ce public est primordial pour Sarah : “La crise que nous traversons est sanitaire mais aussi sociale. Il y a énormément de gens qui souffrent de la mort sociale, c’est intergénérationnel. Les situations d’isolement sont très diverses. J’ai donc souhaité ouvrir ce projet à la jeunesse car l’isolement des étudiants est dramatique. J’ai envie de pallier à ça. Même si c’est utopique, je voulais donner de la gaieté aux gens. Faire en sorte que toutes les semaines ils aient un appel joyeux”.
Le rapport à la culture différait selon chaque interlocuteur. La médiatrice savait que certains jeunes n’avaient jamais mis les pieds dans un théâtre. Ces appels ont développé une ouverture avec un art qu’ils ne connaissaient pas. A l’inverse, certaines personnes étaient tellement âgées que leur expérience du théâtre leur semblait terminée. Elles ont signifié aux comédiens qu’avant le projet elles ne pensaient plus retourner dans une salle de spectacle. “C’est intéressant de se questionner : quel est notre lien à autrui, quel est notre lien au théâtre ?” relève Sarah.
Chaque acteur était chargé d’appeler chaque semaine, aux mêmes horaires, dix participants. Les quatres rendez-vous étaient nécessaires pour installer une relation de confiance, un lien dans le temps. Les “coups de fil” se déroulaient en deux parties : d’abord la lecture d’une œuvre en lien avec la programmation du TNP, puis un moment d’échange. “Ces personnes là ont besoin de parler. Le texte était un prétexte à la discussion… C’est ça qui est très beau ! Cette expérience crée des liens complices entre comédien et participant.” relate la jeune femme, pleine d’enthousiasme. Le public a été très réceptif. Certains attendaient les appels avec impatience car c’était leur seul rendez-vous de la semaine. “On s’est rendu compte à quel point le téléphone permet aux personnes de se dévoiler. Il y a une certaine confiance finalement puisque ce n’est pas en direct. C’est un espace d’expression intéressant.”
Une expérience salutaire qui ne demande qu’à être renouvelée.
Au terme de ce projet, Sarah a reçu de nombreux retours positifs; autant de la part des comédiens que des associations en lien avec les participants. “Il y a seulement six personnes sur les quarante qui ont arrêté en cours, explique-t-elle. Dès le début, on s’est dit que si certains lâchaient en chemin ça faisait partie du risque, ce n’est pas grave. Il faut que les gens aient envie de recevoir cet appel sinon ça ne sert à rien.” Dans l’ensemble, les différents membres ressortent de ce projet “épanouis” et “soudés”.
La médiatrice aimerait que le projet aboutisse à une rencontre en direct entre les acteurs et les auditeurs. En raison de la fermeture prolongée des théâtres, cette entrevue semble cependant impossible pour le moment. Sarah prévoit plutôt la création d’un livret reprenant tous les textes lus durant les appels, accompagné de quelques témoignages. Elle espère aussi pouvoir réitérer l’expérience rapidement puisqu’il s’agit d’une mise en œuvre adaptée aux contraintes sanitaires. L’occasion pour les comédiens, frustrés de ne plus pouvoir jouer sur scène, de continuer à exercer leur métier : “Le filtre du téléphone, le fait que ça passe uniquement par l’oreille, les ont amenés à développer certaines choses. Certains ont joué de la musique, d’autres ont ajouté un fond sonore derrière la lecture des textes pour créer une atmosphère. Ca leur a ouvert une porte de création.”
Cette création malléable née en temps de Covid-19 ne se limitera pas à cette période de crise. “C’est un projet itinérant qui peut être renouvelé ! s’exclame Sarah. Il a vraiment du sens même en dehors d’une période de confinement. Les participants sont parfois en situation d’isolement à l’année.” Ainsi “Voyage au bout du fil” est une création doublement salutaire pour les participants. Elle permet de lutter contre la solitude et de faire pénétrer le théâtre auprès de publics qui n’ont pas ou plus l’occasion d’en profiter.