“Insoumission” : un auteur lyonnais répond à Michel Houellebecq

En février 2021, Amar Dib a publié “Insoumission”, un roman conçu comme une réponse à Michel Houellebecq. Dans cet ouvrage, l’auteur tente de déconstruire les fantasmes et les préjugés contre les Français de confession musulmane. Entretien. 

Né à Lyon en 1964, Amar Dib a d’abord suivi une formation de clerc de notaire. Aujourd’hui médiateur à la Cour Internationale de Médiation et d’Arbitrage (CIMEDA) à Genève, il a exercé un certain nombre de fonctions officielles au cours des vingt dernières années (administrateur national de l’Agence de Cohésion Sociale et pour l’Égalité, de l’Office Français de l’Immigration et de l’Intégration…).

Ces dernières années, il a observé une flambée du discours islamophobe dans les médias traditionnels. Il a tenté d’y répondre avec son roman “Insoumission”, qui met en avant un jeune dont la trajectoire n’est pas sans rappeler celle de l’auteur. Le lecteur suit ainsi Yanis dans son cheminement pour concilier sa culture algérienne, son ambition et son engagement politique. 

Pour le Lyon Bondy Blog, Amar Dib est revenu sur les raisons qui l’ont poussé à écrire ce livre. 

Vous présentez votre livre comme une “réponse à Michel Houellebecq”. A qui d’autre s’adresse-t-il ?

D’abord, aux Français en général : c’est un livre-témoignage pour leur expliquer que les musulmans de France ne sont pas dupes de ce qu’il se passe. Qu’on en souffre, et qu’en même temps on ne se voit pas vivre ailleurs que dans ce pays. Et que ceux qui laissent penser qu’on aurait une autre patrie ont tort ou disent cela pour nous nuire. 

Je l’ai aussi écrit pour les musulmans, pour dire qu’il faut balayer devant notre porte mais qu’il ne faut pas non plus subir les choses et êtres otages de toute cette dialectique islamophobe quotidienne. J’avais beaucoup d’aigreur à force de subir ce diktat quotidien. Pascal Praud par exemple, il y a toujours une demi-heure consacrée à l’islam, en ciblant un élu par ci ou par-là : le maire de Trappes, Audrey Pulvar récemment… On en arrive à une époque où on a presque peur de dire qu’on aime le couscous parce qu’on pourrait être fiché S ! Finalement, je souhaitais dire à tout le monde qu’il ne faut pas laisser faire ceux qui veulent nous diviser. 

Dans la première partie du livre, vous montrez comment se construit Yanis, le personnage principal. Qu’avez-vous cherché à montrer ? 

Je ne voulais pas que le lecteur arrive directement sur « la réponse à Houellebecq » et le constat. Je voulais qu’il comprenne qu’on peut être issu de l’immigration, cheminer dans la société française, adopter ses mœurs, les apprécier et en même temps avoir ses tiraillements personnels ou philosophiques… 

Je sais que nous sommes nombreux à aimer cette société française, et à avoir malgré tout une identité à porter quand on est face à son miroir. On peut se réjouir de cette “double identité”. Ce qu’on a parfois installé dans l’imaginaire français c’est que l’arabo-musulman est fait d’un seul bloc, qu’il n’a pas d’affect, pas de faiblesse… Qu’il vit comme une bête de somme accolé à sa foi. Alors que ce n’est pas du tout ça ! On a nous aussi nos contradictions, et c’est ce que je voulais raconter. Dans la première partie, Yanis se cherche tout en étant confronté au regard des autres, musulmans ou non. Il est entre ces deux regards, ce qui n’est pas toujours facile. 

Le parcours de Yanis, sa façon de le décrire témoignent de cela : ne nous résumez pas à une seule identité. Je pense que ce qui est valable pour lui l’est aussi pour les gens qui sont de culture juive, corse, bretonne, alsacienne… à qui on dit : « Tu es Français avant tout ». Et en même temps ils ont des patois, des dialectes… Je pense qu’on est tous traversés à un moment par ce genre de questionnements. 

Yanis est notamment confronté à ces questionnements lorsqu’il est confronté aux jeunes de Garges-les-Gonesses. Au début, il porte sur eux un regard assez stéréotypé…

Oui tout à fait. Très jeune, il a vite adhéré aux mœurs françaises et s’est démarqué de tous les garçons de son âge qui cultivaient une culture « urbaine » et le mélange des identités. Lui ne se reconnaissait pas du tout la dedans. Et vient un moment donné où il prend ce job dans un quartier et est confronté à tous ces jeunes. Il découvre ces codes, cette mentalité, ces comportements… Il a envie de faire évoluer ça, il se sent investi d’une mission qui est d’éclairer tous ces jeunes pour qu’ils aient en eux un sens critique minimum. Ils sont souvent dans l’excès car c’est une forme d’affirmation existentielle pour eux. Yanis est confronté à cela, il trouve des jeunes qui lui ressemblent et il aimerait qu’ils le rejoignent. Sans rien perdre de ce qu’ils sont, mais qu’ils le rejoignent dans cette culture du sens critique, nécessaire dans cette société.

Dans la deuxième partie du livre, Yanis accompagne Agnès dans sa campagne présidentielle pour le compte du parti fictif de “l’Union des Démocrates Musulmans”.Très vite, la candidate est confrontée à un traitement médiatique caricatural, qui la confine encore à ses convictions religieuses. Pensez-vous qu’il y a une hystérisation des prises de parole sur le sujet ?  

Il y a quelque chose d’intéressant qui se passe dans notre société ces dernières années, c’est quand même que les réseaux sociaux ont minimisé cet impact négatif des médias à l’égard du monde musulman en général. Parce qu’on a des Bondy Blog qui se sont créés, des Youtubers et autres qui sont vus par des dizaines voire des centaines de milliers de spectateurs… Tout cela minimise un peu les écarts de BFMTV ou CNews, qui passent leur temps à stigmatiser l’islam et les musulmans. Quand vous allez dans les universités, vous voyez bien que le monde change. Il y a des jeunes filles voilées qui discutent avec de très bonnes copines, qui ne sont pas voilées ! Il y a une cohabitation et un respect, c’est la France de demain. Bientôt, on ne verra plus cette différence.

On peut donc faire exister des voix, des personnes ou des initiatives à contre-courant de ce qui se raconte sur les médias traditionnels. Ça, c’est positif. 

Le deuxième point, c’est qu’on est dans une société – et c’est pour cela que je parle à la fin du livre d' »insoumission politico-médiatique » – où il y a une association entre ce que racontent certains médias malheureusement très influents et une partie de la classe politique. Il y a une connexion qui se fait sur les dangers que pourraient représenter l’islam et les musulmans pour notre société. Donc il y a une collusion qui se fait contre nous, que ces gens-là sont incapables de reconnaître. Le problème, quand certains disent par exemple qu’ils vont s’attaquer à des produits « communautaires », ils ne se rendent même pas comptent qu’ils mettent dans le même sac les boucheries casher et tout le reste !

Pour eux c’est un fantasme, et on serait paranos. On leur dit « mais attendez, si vous mettez « catholique », « protestant » ou « juif » à la place du mot « islam » dans la presse vous auriez une avalanche de procès depuis 30 ans pour incitations à la haine religieuse, raciale ». Mais c’est assez facile de taper sur l’islam et les musulmans parce qu’en face il n’y a personne. On a beau être 7 millions, il n’y a personne parce que c’est un culte qui n’est absolument pas organisé…

Pour en revenir au livre, on a parfois l’impression que le parti de l’Union des Démocrates Musulmans se concentre surtout sur la lutte contre l’islamophobie et parle peu des autres sujets. Peut-on cependant considérer l’ensemble des Français musulman comme un monolithe politique cohérent ? 

En fait, au travers des débats, Agnès dit à plusieurs moments qu’elle aimerait parler d’économie ou d’autres sujets mais est systématiquement renvoyée à sa conversion. C’est là aussi une manière de pointer que, même quand vous voulez faire de la politique, on vous renvoie à ce que vous êtes. Elle, elle est brillante, avocate, issue d’une famille illustre et reconnue… et assez systématiquement, on la renvoie à ce qu’elle est devenue. Le drame, c’est ça ! Vous avez beaucoup d’artistes qui sont foncièrement musulmans. Ce n’est pas quelque chose qu’ils mettent en avant particulièrement, et ça ne pose de problème à personne tant qu’ils sont bons dans leurs domaines. Une bonne actrice musulmane, pour le commun, c’est une bonne actrice, point. Par contre, si vous voulez faire de la politique, là on va vous renvoyer systématiquement des questions pour essayer de faire apparaître que vous êtes musulman, et que ça peut être potentiellement dangereux. Si demain, je me présentais aux élections présidentielles, je peux vous assurer qu’une partie des questions serait liée à mes rapports à l’islam, au fait que je parle de cette religion, que je suis musulman pratiquant… J’en aurais plus là-dessus que sur l’Education Nationale, par exemple. Et même quand on me parlerait de cela, ce serait sans doute pour me demander ce que je pense du foulard à l’école ! Des questions qu’on ne poserait pas à un Julien, un François ou à une Caroline. Depuis 20, 30 ans, on a installé dans l’esprit des Français que le musulman peut potentiellement basculer dans la violence. On prétend qu’il peut se radicaliser à tout moment, qu’il ne faut pas lui faire confiance… 

A chaque fois, les musulmans de France deviennent les otages des drames perpétrés sur le territoire. On doit frôler les murs, s’écraser, proclamer haut et fort sur tous les plateaux qu’on demande pardon. On ne sait même pas pourquoi : qu’est-ce qu’on a à voir avec ces sociopathes ? Depuis 1995, ces sociopathes sont une trentaine. Sur 7 millions de musulmans, on a donc à peine une trentaine de sociopathes qui n’ont souvent rien à voir avec l’islam. A Nice par exemple, le conducteur était un alcoolique qui écumait les boîtes et qu’on n’a jamais vu dans une mosquée ! Mais il aurait crié « Allahu Akhbar », donc on a mis ce drame atroce sur le compte des musulmans. Et personne n’a osé nuancer tout cela. Alors que ce monsieur n’avait rien à voir avec l’islam ! Et si vous essayez de l’expliquer, vous vous faites directement lyncher. 

Tout cela pose aussi la question du rôle des élites.. Récemment, quatre fédérations ont annoncé leur départ du CFCM, tandis que la dissolution du CCIF a beaucoup fait parler. Vous-même avez déjà exercé des responsabilités : selon vous, quelle structure pourrait avoir la légitimité pour s’exprimer au nom des Français de confession musulmane ?

Il faut quelque chose entre les deux. Prenez les représentants du CFCM. Ils ne veulent offusquer personne, donc ils sont d’accord avec tout le monde, tout le temps. Cela ne fait pas d’eux des dirigeants compétents. La loi sur le séparatisme, les protestants et les catholiques l’ont dénoncée comme une atteinte à la liberté religieuse… Et le CFCM a été le premier à se coucher, tout simplement parce que Darmanin l’avait demandé ! Ce qui m’épate, c’est que les pouvoirs publics s’accommodent de ce CFCM où il y a des gens qui sont davantage investis par leurs racines que par leur devenir ici. Et c’est à eux qu’on demande d’organiser l’islam de France, c’est quand même assez délirant ! 

De l’autre côté, vous avez le CCIF qui politise les choses, c’est-à-dire qu’il fait de l’agression d’une femme voilée par exemple un événement politique. Ils politisent malheureusement chaque situation. Ils ne sont pas mauvais, parce que le président est intelligent, mais la France, ce n’est pas ce qu’ils décrivent. Ce n’est pas un repère d’islamophobes dont le seul objectif est d’enterrer l’islam et les musulmans dès qu’ils en ont l’occasion. Il y a des hommes politiques et les journalistes qui cultivent le dénigrement de l’islam et des musulmans, mais il y a aussi des musulmans qui ont des comportements inadaptés, intolérables et qu’il faut dénoncer. Or, le CCIF est systématiquement dans la dénonciation des dérives islamophobes. Oui, mais il faut aussi balayer devant sa porte ! Il ne faut pas non plus qu’on se vautre dans l’amalgame de dire « tous les Français sont potentiellement des islamophobes ».

Je pense qu’il y a une troisième voie, celle des musulmans démocrates, qui seraient inspirés comme l’est Agnès dans mon livre, avec une part de France et une part d’islamité qui cohabitent très bien. C’est cela qu’il faut installer, ce qui ne sera possible que quand les pouvoirs publics reconnaîtront qu’ils sont défaillants dans leur manière de s’adresser aux musulmans. On poserait une organisation nationale et un maillage digne de ce nom, avec un suivi administratif des imams… Une instance qui reprendrait les ruines du CFCM et qui l’intègrerait dans un Conseil de l’islam de France ou une Haute Autorité dans laquelle siègerait 40 ou 50 personnalités : des représentants du CFCM, des recteurs, des intellectuels, des écrivains, des femmes, des hommes, des chercheurs…Il faudrait également une présidence tournante. Par exemple, cela fait 28 ans que le recteur de la mosquée de Paris est en place, 30 ans pour ceux de Lyon et d’Evry… Ils ont tous plus de 80 ans mais ils ne veulent pas partir !

 Il faudrait que cette instance ne soit pas figée, et prévoir un renouvellement d’un tiers tous les deux trois ans, comme cela se fait dans certaines institutions (par exemple au Sénat). Cela ferait une institution en évolution permanente, tant dans ses membres que dans les projets qu’elle peut développer. Et cela éviterait qu’on ait les mêmes personnes aux responsabilités pendant 30 ans.

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