Lyon, ville de tradition, s’est avérée être un terreau fertile pour le streetwear. Cette culture a su créer ses propres codes, du vestiaire de sport à la banlieue, de l’habit à l’attitude. Si vous n’avez pas lu le sixième épisode rendez-vous ici : Immersion dans le streetwear lyonnais. Episode 6 : Une ville qui bourdonne d’idées – (lyonbondyblog.fr)
Le vêtement, porté pour être vu, beau et reconnaissable est devenu au fil du temps témoin du changement de toute une société. Dans le streetwear lyonnais, c’est par sa qualité et son unicité qu’il pousse à la création et inspire des looks aux influences plus ou moins excentriques. Par la friperie via les magasins et la création sur-mesure via les clips musicaux, chaque vêtement se donne une seconde-vie.
La mode à travers l’objectif
Lazuli est une jeune artiste lyonnaise à l’univers brésilien dénotant totalement de ce qui se fait à Lyon. Pour cause, elle est désormais souvent à Paris, afin de défendre ses projets musicaux et artistiques. Boris Stakhanov, un de ses clippeurs et amis de la première heure, revient sur leur destin croisé et comment son personnage transgresse tous les codes de la musique. Originaire de Bron, le clippeur, réalisateur et directeur artistique lyonnais est devenu proche de la nouvelle génération d’artistes de La Guillotière. Il souhaite développer les projets autour de Laws Babyface, Tedax Max ou encore Lazuli, ses affiliés. Il revient avec nous sur son parcours et sur son destin croisé aux cotés de ces artistes.
Hormis la réalisation, Boris a d’autres passions, comme la danse. Un centre d’intérêt qu’il développe avec le film « Rize », de David La Chapelle. Une œuvre qui va bouleverser sa vie. « Je me rappelle, c’était la première référence qui m’ait fait danser. Par la suite, j’ai beaucoup traîné dans les battles à Vaulx, j’avais un groupe de danse. J’ai vraiment pris conscience qu’il y avait une scène lyonnaise autour du hip-hop ». Bien qu’éloigné du centre-ville et de la place d’Hôtel-de-ville où beaucoup de breakeurs se rejoignent, Boris connecte avec le monde de la street-culture à Lyon. Il se met en relation avec les personnalités fortes de la mouvance hip-hop et devient très vite sollicité pour ses compétences visuelles. D’un père photographe, il a également reçu une éducation portée sur le cadrage, l’image, le beau. En parallèle d’études de cinéma, il prend la caméra et réalise des clips pour se faire la main. Il se fait un petit réseau et se rapproche de La Guillotière : « Je trainais avec un gars à l’école. Son cousin avait un studio étudiant à la guillotière et on squattait tout le temps là-bas. Il était passionné par le son et connaissait des gens. J’ai connu KDND qui produit pour Tedax, Laws et j’ai naturellement rencontré Izen ». Malgré son attachement à « Bronzerland » (surnom donné à la ville de Bron), il se trouve une nouvelle famille en plein cœur de Lyon. Dès 2014, il se met à traîner avec Tedax Max, « très rapidement on a parlé un peu de musique, mais on parlait surtout de sappe à l’époque. Il ne parle que de ça ». De sa rencontre avec le producteur Izen, il se connecte également avec une artiste talentueuse : LAZULI. Pour eux, l’idée n’est pas encore de faire de l’argent avec la musique, mais surtout de prendre du plaisir : « On n’était pas assez sérieux. Izen, par contre il était déjà en avance, il bossait comme un malade, faisait des prods pour tout le monde sur la scène soundcloud. Nous on kiffait, mais on se faisait des plans sur la comète, en mode « on va percer », mais on ne se donnait pas les moyens ».
Portés par un producteur ambitieux, LAZULI et Boris se rencontrent en 2017. Il clippe toujours un peu pour des amis, quand elle, produit déjà un peu de musique. Lorsqu’il écoute ses premières maquettes, il est tout de suite happé « Quand j’ai écouté les premiers sons de LAZULI, je connaissais ses influences, je savais qu’il fallait y aller, qu’il y avait quelque chose à faire ». La symbiose entre les deux créatifs se concrétise par une série de clips au Brésil, début 2021, puis par des courts métrages sur Lyon. Pour lui, c’est une aubaine de mélanger autant de styles : « son univers visuel était parfait pour moi. Je pouvais travailler autour d’elle et y ajouter, en plus, des danseurs. Les premières maquettes avaient trop de puissance ».
Du textile haut en couleur, de l’image en noir et blanc…
Côté textile, le crew s’entoure que des meilleurs : « si tu veux une attitude, les vêtements doivent suivre. On devait élever le niveau, donc on a tout de suite su s’entourer de gens spécialisés, talentueux : Eliott Biant, Georgie Salma ».
Pour Boris, il ne suffit pas d’être compétent pour faire quelque chose, il faut être le meilleur. Le monde de la musique est devenu tellement concurrentiel que d’être simplement « bon » n’est plus suffisant. L’univers visuel qu’il a créé avec Izen pour LAZULI représente le paroxysme du travail. « Je ne suis pas styliste ni designer, j’ai besoin d’être entouré. Je n’ai pas un avis pertinent, donc comme dans le cinéma, tu peux être limité par le fait d’être seul. Il faut rajouter des couches avec les gens qui ont une plus-value, c’est nécessaire ». Si, selon lui, son avis ne semble pas être aussi important, le lyonnais développe pourtant énormément de projets mettant en valeur le textile travaillé, raffiné et bien porté.
Les références froides et américaines de son style vestimentaire confirment ses liens avec Tedax Max ou Laws Babyface (que tout le monde prend pour son manageur). « Je suis un mec basique du streetwear américain, qui a grandi avec des marques comme Fuct, Suprême, 10deep, Stussy, dans un univers entre le skate et le hip-hop. Je commence à arrêter de porter les trucs de jeunes et de me tourner vers des marques comme Fuck the population, plus lié au rap/hip-hop. »
Véritable étendard de sa ville, il porte sur ses épaules, au sens figuré et au sens propre, le projet vestimentaire des créateurs qui lui sont proches. Sa philosophie a totalement changé et transformé sa garde-robe : « je mets de moins en moins d’argent dans les grosses marques qui se foutent de notre gueule. Même Virgil Abloh (REP) a mis des douilles. Je préfère mettre mon propre stuff ou celui de mes reufs, prendre des trucs qui durent, à bambino (imprimeur lyonnais) par exemple. Je préfère faire ça à Lyon, aller sur mes clips avec des sappes solides, pour me sentir bien. ». Quant à son trio avec Laws et Tedax, il souhaite désormais s’impliquer dans une dimension plus large que par sa simple compétence de clippeur, à l’instar de Valentin Petit « une référence de Lyon à New York qui a bossé avec Asap Ferg ». Le rôle de producteur et de directeur de label l’appelle de plus en plus.
« Je tends plus vers la production que la réalisation. J’ai rencontré Eliott Biant sur « Chat Noir » de PLAVACE. On a produit un film avec Amax (réalisateur) et Eliott, qui était aussi présent sur le tournage, travailler avec eux c’est ce qui me plait le plus. J’essaye aussi d’avoir un œil plus global de mes projets. Quand j’ai voulu lancer le merch pour Tedax, Eliott m’a aidé énormément apporté. »
« La fripperie, c’est le tiroir de la mode au milieu du streetwear, du sportswear, du luxe »
Loin du greenwashing de certaines multinationales qui promeuvent des collections 100% coton bio, Camille, gérant du concept d’up-cycling MINIMAXXX, veut montrer que la mode à Lyon prend un autre tournant. Luttant contre les poubelles à vêtements, les stratégies prosélytes de grandes marques mais aussi les clichés, Camille a créé une friperie en pleine presqu’île. L’objectif est d’éduquer la jeunesse sur les biens-faits du recyclage de vêtements. De ses premiers vide-greniers aux bourses aux vêtements, ce jeune entrepreneur a toujours évolué dans ce milieu, avec l’envie de créer une sorte de boucle d’habits « que je ne garde pas plus de deux mois » confie-t ’il. L’objectif c’est de donner une seconde vie aux habits, d’être à propos de la nouvelle mode. Son concept : une friperie où le public vient « chiner », fouiller et trouver la pépite ré-utilisée de bonne qualité, à un prix abordable. C’est la création d’une nouvelle démarche créative de looks streetwear actualisée : « La friperie, c’est le tiroir de la mode au milieu du streetwear, du sportswear, du luxe. De nombreux vêtements encore en très bon état dorment dans des placards et sont voués à être réutilisés ».
Au début, Camille voyait surtout un public assez jeune, majoritairement étudiant, pousser la porte de son magasin. Depuis ce public s’est ouvert grâce aux univers différent que le magasin propose. « La mode nostalgique du vintage a permis de passer un cap dans la prise de conscience collective. La friperie ne doit pas être un argument marketing moralisateur utilisé par des grandes enseignes, sinon, cela perdrait toute son utilité ». Qui dit grande enseigne dit jeu autour de la marque. Or, la friperie MINIMAXXX ne vante pas les qualités de la marque à la virgule ou celle aux trois bandes. Le plus important est de contrer tous les clichés sur l’uniformisation, de créer des looks aussi excentriques que personnels pour son public.
La friperie : incompatible avec le marketing rap ?
La mode et le marketing créés par les grandes références de ce monde : Adidas, Nike, Carhartt, New Balance… ont engendré une uniformisation de l’habit. Selon Camille, « le monde de la fripe » tente de lutter contre cela : « Les habits que nous vendons répondent aussi à un certain style, une manière de coudre, de structurer et de porter un vêtement, qu’on ne retrouve plus forcément. Dans des gros magasins comme Citadium où je suis allé récemment, on a trois étages de hoodies, t-shirts, jeans, cargos, bobs où seule la marque change, mais on a toujours la même coupe, le même style. Chez nous on a du vintage comme de l’actuel, de la seconde main comme de la récup ».
Si le magasin fournit en nombre les fans de rap à Lyon, Camille se définit pourtant à contre-courant du streetwear actuel : « Je suis mal placé pour parler de streetwear. Je pense que c’est une culture de la marque, basée sur une hype, une identité. C’est ce que j’essaye d’éviter et au contraire de me rapprocher de l’unicité de la pièce. Quand je pense à du streetwear, je pense à Citadium, et à une uniformisation du vêtement. Ça ne m’intéresse pas ».
En plus d’acheter et revendre du textile, Camille veut également développer ses propres vêtements et agrandir sa cible. Créer, c’est exister : « Le futur de la friperie est la création par l’up-cycling et plus simplement la revente. On veut produire mensuellement des vêtements upcyclés, créés dans notre atelier de confection, en vente chez MINIMAXXX, en boutique et on-line. Ça renforce un aspect de vêtement unique et de collection ».
Malgré la place qui lui est fait durant les événements mode –comme au Heat dernièrement– ou dans les lieux orientés pour la culture hip-hop, Camille ne se sent pas encore assez respecté avec son titre de friperie. Malgré une concurrence plutôt saine, le mouvement n’en est qu’à ses balbutiements. « On a de bonnes friperies à Lyon : Look Vintage, Elephant Vintage, Frip Ketchup, qui restent des classiques du genre ».
Constat encourageant, le marché lyonnais du textile reste grossissant, la friperie y trouve une place de choix, également prisé par le monde du rap. La marque Vintage Football mettant en vente des maillots old school ont pris leurs quartiers d’été à Lyon. Pour l’occasion, on a pu y croiser Izen, qui ne manquait pas d’afficher fièrement ses derniers achats (des maillots de l’OL évidemment).
A travers cet épisode, nous avons tenté de mettre en avant des initiatives créatives lyonnaises portées sur l’unicité de leur démarche. A contrario de certains projets qui misent sur une identité plus marketée, Boris, Lazuli ou encore la friperie MINIMAXXX sont aujourd’hui des entités importantes par leur tentative de bousculer les codes établis.
Nous terminons ainsi notre dernier épisode sur le streetwear lyonnais (oui oui dernier, on sait que c’est passé trop vite). Nous avons tenté de dépeindre un croquis immersif de cet écosystème aussi fascinant qu’opaque. Nous vous remercions de nous avoir suivi jusqu’ici !
Tristan
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