Le forfait patient urgence est entré en vigueur samedi 1er janvier. Désormais, tout passage dans un service d’urgences non suivi d’une hospitalisation donne lieu au règlement d’un forfait de 19,61 euros. Destinée à éviter les impayés, cette mesure risque d’augmenter les inégalités en terme d’accès à la santé.
Qui dit nouvelle année, dit nouvelles mesures. Depuis le 1er janvier 2022, le forfait patient urgence prévoit le paiement d’un montant de 19,61 euros en cas de passage aux urgences et non hospitalisation. Cette mesure, doit remplacer le « forfait accueil et traitement des urgences » qui s’élevait à 27,05 € pour la seule admission, auquel s’ajoutaient les coûts liés aux examens et aux soins. Prévu dans la loi de financement de la sécurité sociale, l’objectif est de simplifier les procédures et d’éviter les impayés.
Pour Sébastien Thollot, secrétaire générale du Secours populaire dans le Rhône, ce n’est pas une révolution : « Cette mesure ne représente pas un vrai changement, c’est une adaptation des frais avec un tarif unique. Les catégories exonérées l’étaient déjà auparavant. La vraie question, c’est comment les personnes qui n’ont pas de mutuelle vont pouvoir obtenir des soins en étant couvert par rien. » En effet, auparavant, le remboursement était à 80 % pris en charge par l’Assurance maladie et 20 % par la mutuelle (le ticket modérateur). Avec cette nouvelle mesure, l’Assurance maladie ne prend plus en charge le forfait, c’est le rôle de la mutuelle. En 2019, d’après la cellule de statistiques du ministère de la Santé, 5 % des Français n’étaient pas couverts par une mutuelle.
En moyenne, les cotisations de mutuelles santé se situent entre 30 et 100 euros par mois, une somme importante dans le budget d’un chômeur, d’un inactif, ou d’un travailleur précaire. Francois Canciani, infirmier dans un service d’urgence de l’agglomération lyonnaise et membre du collège régional de Médecins du Monde s’inquiète : « Nous craignons fortement que ce forfait augmente les inégalités en terme d’accès à la santé en impactant en premier lieu des publics sans droits ou avec des droits au rabais, déjà éloignés du soins : c’est le cas de 3 millions de personnes sans complémentaires santé, le plus souvent fragiles et vulnérables. »
La santé comme produit de luxe
Un avis partagé par Anick Karsenty, déléguée Auvergne-Rhône-Alpes de Médecins du Monde : « Vis-à-vis des populations avec lesquelles on travaille, c’est une catastrophe. Les plus précaires n’iront plus aux urgences, et puis en laissant leur santé dépérir, il y aura davantage d’urgence avec hospitalisation. » Un large public va donc être impacté par cette mesure et les risques sont connus : augmentation des inégalités, aggravation de pathologie, renoncement aux soins, et retard dans la prise en charge des plus démunis.
« Le système de santé est déjà à bout de souffle et les urgences représentaient un des derniers recours pour des personnes n’ayant pas de prise en charge ou de médecin traitant, comme dans les déserts médicaux par exemple », rappelle François Canciani. « Pour les plus précaires, la question de la santé est relayée au second plan. Il s’agit d’abord de subvenir aux besoins essentiels comme l’alimentation et les charges du logement si on en a un. On pense à soi ensuite », ajoute Sébastien Thollot. *
Alors qu’une pandémie sans précédent bouleverse notre société, le forfait patient urgence transforme la santé en produit de luxe pour une population précaire, de quoi indigner Anick Karsenty et Médecins du Monde : « Ce sont des décisions complètement hors-sol, déconnectés des réalités. »
Pierre Antoine Valade