À l’approche du scrutin interne qui désignera la prochaine ou le prochain secrétaire national-e du parti Les Écologistes, les visions s’affrontent, et les ambitions s’affichent. Quatre figures se sont détachées, bien décidées à redessiner les contours de l’écologie politique en France.
Dans ce contexte de recomposition interne, nous avons tout d’abord rencontré Karima Delli, eurodéputée de longue date, présidente du groupe PCPE au conseil régional des Hauts-de-France, et figure de proue d’une écologie populaire. Entre parcours militant, engagement de terrain et volonté de refaire de l’écologie un sujet populaire et inclusif, elle partage avec nous sa vision du parti, ses priorités politiques, et son regard sur les enjeux à venir pour Les Écologistes.
Retranscription
LBB : Bonjour Karima Delli, pourriez-vous vous présenter en quelques mots et nous dire depuis combien de temps vous êtes adhérente chez les Verts ?
Karima Delli : Bonjour je m’appelle Karima Dehli, je suis adhérente chez les Verts depuis près de 20 ans et j’ai été 15 ans députée européenne et notamment la première femme à présider une des plus grandes commissions du parlement européen pendant huit ans, la commission des transports et du tourisme.
LBB : Quelles ont été vos motivations pour vous engager au poste de secrétaire nationale ?
Karima Delli : Tout simplement parce que je considère qu’aujourd’hui ce congrès est majeur pour l’écologie politique mais également pour la gauche dans son entièreté. Je pense que face à tout ces bouleversements, c’est “LE” congrès de tous les bouleversements, on voit les bouleversements du monde, le bouleversement de l’Europe, de la France et dans ces moments là, nous devons nous poser la question de où allons-nous ? Quelle est la feuille de route des écologistes ? Et c’est là où ce cap n’est pas clair aujourd’hui, il n’y a pas réellement de vision pour pouvoir répondre aux enjeux. Moi je veux que l’écologie se hisse à la hauteur des enjeux colossaux en matière de climat, en matière de conflits, en matière de droits sociaux. Et ce qui me pousse, c’est qu’il faut refaire de l’écologie en France, il faut qu’on reparle de l’écologie et notamment de l’écologie populaire qui est une écologie du quotidien, des gens, notamment des classes populaires, des classes moyennes, déclassée, c’est une écologie réaliste. Donc aujourd’hui, moi je défends cette écologie pour toutes et tous et je considère que nous avons une urgence à répondre à ces enjeux.
LBB : Aujourd’hui beaucoup pensent que l’écologie est un “problème de riche”. Comment vous tentez de réconcilier justement les classes populaires avec cette thématique ? Et également, comment éviter la gentrification ?
Karima Delli : La première chose, c’est d’abord le constat. C’est-à-dire ; Où sont les classes populaires, notamment en politique ? Et aujourd’hui, rien que dans l’Assemblée Nationale, vous regardez le paysage politique, ils ne sont que 4 ou 5 % d’élus issus des classes populaires et souvent ils ne sont pas dans nos rangs. Donc c’est un problème. C’est la première chose qu’il faut se dire, c’est la représentation, c’est la raison pour laquelle moi je porte la parité sociale. C’est-à-dire que les écologistes doivent comprendre que l’écologie ce n’est pas seulement pour les bobos, c’est pour tout le monde et d’abord pour les classes populaires. Donc il faut mettre un quota obligatoire, pour la représentation des classes populaires sur des postes éligibles. Ici, on doit être le parti de l’avant-garde. Les Verts ont toujours été l’avant-garde des luttes et des combats. On doit être l’avant-garde de cette représentation politique. C’est la première chose. La deuxième chose, nous sommes dans un moment d’aménagement du territoire qui est terrible, c’est-à-dire qu’aujourd’hui on voit des métropolisations, on voit que la question est entre zone urbaine, zone rurale et le périurbain. La véritable question aujourd’hui c’est comment nous allons aider tous ces gens sur leur vie du quotidien, se déplacer, la question de la mobilité, la question du logement, la question également de l’alimentation. Sur les trois volets nous avons aujourd’hui trois grandes réponses. Tout d’abord nous considérons que sur la mobilité, la voiture aujourd’hui même dans les zones rurales n’a pas réglé la fracture territoriale. Il y a, en zone rurale, des gens qui ont deux voitures. Vous vous rendez compte ? C’est quand même beaucoup sur leur portefeuille. Donc ça sur le volet des transports, nous voulons renforcer les transports publics et dès qu’il faut les rendre gratuits, nous allons les rendre gratuits. Deuxième chose qu’il faut mettre en place, c’est véritablement plus de trains, plus de trains et plus de trains. Il faut rouvrir ce qu’on dit en France : des petites lignes. Moi je n’aime pas le mot petite ligne. Il faut faire en sorte que le train soit accessible. Donc ça c’est les TER. Il faut mettre en place des outils d’accessibilité et ça passe par le ticket climat. C’est un abonnement de 29 euros par mois qui permettrait à tous les français et toutes les françaises de prendre tous les TER, tous les bus, toutes les trottinettes, tous les transports publics, quelle que soit la ville où on habite, et de renforcer notamment les offres de transports publics, de covoiturage, mais également des vélos, assistance électrique, notamment pour ceux qui sont dans le périurbain et dans le rural. Il faut une offre quasiment à la demande pour ne pas justement qu’ils restent dans des marginalités de mobilité. Ça c’est pas possible. Sur la question du logement, ça c’est une vraie grosse question. Le logement aujourd’hui apparaît comme une vraie grosse thématique. Moi je considère qu’aujourd’hui c’est un défi majeur et on voit bien que dans la séquence dans laquelle nous vivons, nous avons un vrai enjeu, le logement c’est un enjeu de transition et un enjeu social sur lequel ça tombe bien, on a des propositions, on a des bilans, que ce soit à l’échelon européen, national et local. Donc par exemple sur le volet locataire, moi je le dis, on peut se féliciter quand même que des grandes villes comme Villeurbanne, Lyon, etc…ont mis en place l’encadrement des loyers et ça a permis d’avoir des enjeux de pouvoir d’achat, c’est très très important et l’enjeu majeur c’est vraiment de faire en sorte que cet encadrement soit fait de manière à respecter et quand il n’est pas respecté, devoir sanctionner les bailleurs parce que les locataires ont aussi les droits et cette expérimentation, et c’est là l’enjeu que nous allons avoir. L’encadrement des loyers n’était qu’un titre expérimental, il va s’arrêter en novembre 2026, c’est la raison pour laquelle nous allons lancer une grande campagne pour les municipales, pour faire en sorte que l’encadrement des loyers soit un référendum pour la poursuite de cette politique, parce que nous devons au sein de nos parlementaires, des associations, montrer que c’est un outil incroyable. Et bien entendu nous allons aussi pousser pour qu’il y ait plus de logements sociaux. Il n’est pas acceptable que dans des villes il y ait encore 350 000 personnes sans domicile vivant à la rue, on a encore des centres d’hébergement qui explosent, mais on a surtout 2,8 millions de ménages en attente, vous voyez, c’est pas possible, ça fait 800 000 personnes de plus depuis le début du quinquennat, il est grand temps d’investir notamment sur le logement, le logement social et c’est véritablement un enjeu qui va être pour nous très très important. Vous voyez, ça c’est la question du logement, et ensuite sur l’alimentation, on fera un grand focus, parce que justement nous voulons absolument faire en sorte que l’alimentation soit de qualité et en même temps montrer que nous sommes le pont avec tous ces agriculteurs, ces paysans locaux et nous permettre d’avoir des paniers accessibles à tout le monde, notamment les plus pauvres, pour pouvoir bénéficier d’une santé. L’alimentation est le premier des médicaments, donc nous allons renforcer cette dynamique-là. Je ne peux pas faire tout le programme parce qu’ils sont nombreux, en tout cas ce qui est sûr c’est que c’est ça que nous voulons faire, et ce sont des mesures très concrètes.
LBB : Pour ces élections, vous vous présentez face à Marine Tondelier, actuelle secrétaire nationale du parti. Vous avez évoqué, dans le journal La Voix du Nord, plaidé pour une ligne populaire fiable. Comment vous différenciez-vous dans cette campagne ?
Karima Delli : Il y a plusieurs choses, d’abord moi je suis très contente que Marine Tondelier existe dans les médias. Mais je considère qu’aujourd’hui la question ça n’est pas ça. La question ce n’est pas comment une personne apparaît dans les médias, mais comment l’écologie ne disparaît pas du débat politique ? Et donc moi ce que je veux, c’est que l’écologie puisse être vraiment centrale dans les médias. Vous voyez, ce n’est pas pareil comme projet. La deuxième chose, pour que l’écologie soit centrale, il faut partir du quotidien des gens. Et s’occuper au mieux des gens, c’est véritablement de les accompagner et de faire face à la montée des populistes incroyables qui sont en train de détricoter tout ce que les écologistes ont fait ou sont en train de faire, notamment à la hauteur des enjeux. Et pour ça, pour que justement on puisse être à la hauteur des enjeux, la première chose que moi je considère aujourd’hui, c’est qu’il faut faire confiance aux militants. De toute manière, et on le voit pour les municipales, on voit bien que quand le national tente de s’en mêler, comme à Paris, ça finit en pâte à caisse. Ça veut dire qu’il faut redéfinir la subsidiarité. Le rôle du parti, c’est pas de se mêler des stratégies des maires sortants, qui font un travail extraordinaire, c’est de mettre en avant leurs réussites. Moi je considère qu’aujourd’hui, il faut mettre en avant les réussites de nos élus. Et la deuxième chose, qu’est-ce qui me différencie grandement, c’est que moi je considère qu’on a un agenda qui s’accélère, et dans cet agenda qui s’accélère, je le redis, mais l’enjeu de notre parti, c’est pas les combinaisons aux municipales, c’est d’être à la hauteur du rendez-vous décisif de 2027. Et est-ce qu’on veut jouer les seconds persos, ou est-ce qu’on va tout faire pour battre le Front National porté notamment la carte de l’Union de l’écologie populaire, mais surtout commencer à travailler un réel programme, parce que moi je considère vraiment qu’il faut se mettre autour de la table et travailler le programme.
LBB : Justement, le 9 juin dernier, Emmanuel Macron a dissous l’Assemblée, tout de suite après, Marine Tondelier a pris l’initiative de réunir toutes les forces de gauche pour les législatives 2024. Vous présentez face à elle, en tant que leader écologiste, que pensez-vous de cette initiative politique ?
Karima Delli : C’était une obligation, c’était une nécessité. Mais le problème aujourd’hui, c’est qu’on a fait une union — et tant mieux, parce que c’était vraiment indispensable — sauf qu’on ne peut plus faire de l’union à géométrie variable. On a vu ce que ça a donné, notamment en termes de conséquences pour la présidentielle, on a vu ce que ça a donné pour les Européennes. Aujourd’hui, l’union doit être notre boussole. Et c’est pour ça que, moi, je considère qu’on ne doit pas être un trait d’union entre La France Insoumise et le Parti Socialiste. Ça ne m’intéresse pas. Nous ne sommes pas des traits d’union. Au contraire, je pense que la question de l’union, mes camarades et moi, nous la portons toujours. L’union de la gauche et des écologistes, ce n’est pas seulement une union pour résister. Nous pensons surtout qu’il faut une union pour gagner. Nous devons reconquérir les classes populaires, abandonnées au parti de l’abstention et à l’extrême droite. Aujourd’hui, il nous faut une gauche et des écologistes de combat, pour porter cette écologie populaire, qui fait le lien entre le front des retraites et celui du climat, entre la lutte pour le pouvoir d’achat et la lutte contre le patriarcat, pour l’Ukraine, pour la Palestine, pour une Europe forte. Bref, on ne peut pas tergiverser sur la question de l’union.
LBB : Le parti des écologistes a lancé un appel pour former une Constituante et sortir de la Ve République et de la crise politique actuelle. Comment qualifiez-vous cette crise, et pourquoi pensez-vous qu’une nouvelle Constitution serait la meilleure solution pour en sortir ?
Karima Delli : Il y a deux choses. D’abord, on appelle à une VIe République. Mais les statuts qu’on vient d’adopter pour ce congrès… ressemblent totalement à la Ve République ! Par exemple, le poste de secrétaire nationale : c’est un scrutin uninominal à deux tours, avec un système majoritaire. Ce n’est pas ça, la VIe République. C’est pourquoi, moi, je considère qu’on aurait dû s’appliquer à nous-mêmes le parti, la proportionnelle. Et on voit bien qu’aujourd’hui, les différentes sensibilités ne seront même pas représentées. Donc on ne peut pas dire : “On défend une VIe République” et, dans la pratique, ne même pas l’appliquer. Ça, c’est la première chose. La deuxième, c’est : quel type de VIe République voulons-nous ? Est-ce qu’on supprime le Sénat, ou pas ? Quel type de proportionnelle ? Moi, je suis pour une proportionnelle régionale, sans prime majoritaire. Je veux une proportionnelle intégrale. Je veux aussi qu’on revienne sur les référendums. Par exemple, sur la Constituante : Moi, j’aurais préféré qu’on parle d’un référendum sur les retraites, vous voyez ? Parce que c’est une vraie demande des Françaises et des Français depuis longtemps. Bref, cette VIe République, on ne doit pas la construire seuls. Elle doit se construire avec les associations, les syndicats, les autres partis de gauche. Il faut montrer qu’on a une feuille de route solide pour changer les pratiques, la manière de travailler, mais surtout pour rétablir la confiance entre les citoyens et la démocratie.
LBB : En 2020, le parti écologiste a été considéré comme l’un des grands gagnants dans des villes comme Lyon, Bordeaux, Strasbourg ou Grenoble. Si vous étiez élue, quelle politique mèneriez-vous pour conserver cette assise nationale ?
Karima Delli : Alors, d’abord, il va falloir travailler avec nos partenaires. Tous nos partenaires. Je sais que beaucoup évoquent La France Insoumise, mais je le dis : La question de Mélenchon ne doit être ni une excuse, ni un bouc émissaire. L’union de la gauche et des écologistes doit se réinventer. On doit montrer que dans les municipales, tous les maires sortants ont travaillé pour leurs habitants, et ils ont travaillé avec l’union de la gauche et des écologistes. Donc, il faudra d’abord construire des unions programmatiques, pour conserver ces villes, mais surtout pour montrer au grand public tout ce qui a été fait en six ans.
LBB : Pouvez-vous nous donner trois qualités et trois défauts sur le mandat de Marine Tondelier ?
Karima Delli : Alors, qualité, d’abord, Marine Tondelier a réussi à mettre dans le débat une veste verte qui a permis d’identifier un leader politique. Donc ça, c’est plutôt une bonne chose. La deuxième chose, c’est qu’on peut aussi montrer qu’on peut être une femme, une écologiste, et réussir des combats. Donc ça, c’est une bonne chose en termes de visibilité notamment. La troisième chose, la gestion de la dissolution qui fait que nous avons réussi à avoir, notamment grâce à l’union, une vision et un groupe au Parlement pour pouvoir avancer nos idées. Maintenant, trois choses qui, pour moi, ne vont pas dans le bon sens. C’est cette réforme des statuts qui n’avait pas à être faite en même temps que les européennes, parce que les européennes sont notre élection de base. Je pense qu’on aurait dû se consacrer vraiment qu’à ces élections européennes. Ça, c’est la première chose. La deuxième chose qui me paraît très très importante, c’est que ces nouveaux statuts ne font pas respirer la démocratie à l’intérieur de notre parti. Au contraire, on fait un bloc hégémonique et je ne comprends pas pourquoi. Et la troisième chose qui, moi, me paraît incroyable, c’est le manque de débat qui s’installe de plus en plus à l’intérieur de notre parti politique.
LBB : Quel message aimeriez-vous transmettre aux militants et citoyens qui nous écoutent ?
Karima Delli : Je voudrais leur dire : Vous avez une occasion en or de pouvoir redire que l’écologie, ce n’est pas un gadget. Ce n’est pas juste quelque chose à ajouter en guise de paillettes dans un programme. L’écologie, c’est véritablement votre quotidien. C’est l’air que vous respirez. C’est l’eau que vous buvez. C’est les transports que vous allez prendre. C’est cette volonté de laisser une planète vivable aux générations futures. Et pour ça, il faut faire en sorte que cette écologie soit accessible au plus grand nombre, et notamment les plus pauvres. C’est la raison pour laquelle nous avons réussi, nous déjà, dans notre parti, à réunir trois sensibilités intenses aux communes, les verts unitaires et terres, pour montrer que nous sommes capables d’avoir l’union de l’écologie populaire, parce que l’unité sera la donne du 21e siècle. Nous avons compris une chose, c’est que cette écologie, elle est là pour faire vibrer, pour changer la vie des gens, mais surtout pour montrer un avenir radieux au plus grand nombre.
LBB : Je vous remercie pour le temps que vous nous avez accordé.
Karima Delli : Merci à vous.