Eline Roy : pour un travail domestique plus égalitaire, au tour des hommes de « se responsabiliser »

Depuis 2017, les comités locaux du collectif NousToutes, implantés partout en France, mènent un combat acharné contre les violences sexistes et sexuelles. La militante féministe Eline Roy, basée à Lyon, revient sur l’inégalité de genre qui persiste dans le partage des tâches ménagères et parentales.

Retranscription

LBB : Bonjour Eline, pourriez-vous vous présenter rapidement ?

Eline Roy : Bonjour, je m’appelle Eline Roy et je fais partie de l’antenne de NousToutes Rhône. J’ai commencé à suivre leurs actions en 2020 et en septembre 2021, j’ai rejoint le noyau qui organise des actions, qui gère l’antenne, etc.

LBB : NousToutes fait partie des organisations qui ont appélé à la grève féministe le 8 mars dernier. Le texte unitaire national élaboré pour la grève de cette année dénonçait une « inégalité dans la répartition du travail domestique » se traduisant par des « inégalités dans la sphère professionnelle », « salariales » et « patrimoniales ». Comment expliquer le fossé qui se creuse dans les couples en fonction du genre, quand il est question des tâches ménagères et parentales ?

Eline Roy : Je pense que ça vient d’un héritage millénaire, c’est ce qu’on appelle le patriarcat. C’est ce qu’on dénonce. Quand on a cette vision des discriminations et du féminisme, on parle de système, on dit que le patriarcat est systémique. La moindre inégalité – les inégalités au sein du foyer, la répartition des tâches domestiques, mais aussi les inégalités au travail, les violences, toutes sortes d’inégalités – si on tire le fil, elles ont toutes la même racine. C’est tout imbriqué dans système qui, pour plein de raisons historiques, sociétales et de religion, s’autonourrit d’un modèle de société où la femme est inférieure à l’homme, et donc doit être dans cette position de service. Les études montrent que ça va un peu mieux, mais seulement un peu, parce qu’on est toujours très loin de l’égalité dans les situations familiales hétérosexuelles. Certains hommes ont commencé à se dire « il faut que j’aide un peu plus », c’est bien messieurs, mais la formulation est intéressante. Se dire « j’aide un peu ma partenaire, ma conjointe », c’est non. Tu fais et tu participes. Je lisais aussi un article qui disait que suivant la définition du travail domestique, le taux d’inégalité n’était pas le même. Si on prenait « juste », même si c’est déjà énorme, le paquet lessive-ménage-enfants, c’était assuré à 70% par les femmes,  alors que si on rajoutait le bricolage et le jardinage, ça descendait à 60%. Là, les hommes faisaient plus, mais c’est encore une représentation genrée. Et en même temps, ça ne concerne pas tous les couples. Personnellement, dans mon appartement lyonnais, il n’y pas trop de jardinage à faire. Puis c’est plus ponctuel, monter un meuble ou faire une petite réparation, ça arrive de temps en temps, alors que le vaisselle, le ménage ou la lessive, c’est presque tous les jours.

LBB : C’est peut-être même associé, un peu, au loisir. Il ne doit pas y avoir beaucoup de personnes dont l’activité préférée est de faire la vaisselle.

Eline Roy : C’est vrai, alors que le jardinage… Tout ça interroge aussi l’inégalité économique que représente cette mauvaise répartition du travail domestique. Qu’est-ce que les femmes feraient de tout ce temps en plus ? Elles pourraient s’investir plus dans leur travail non domestique, dans leur activité professionnelle, monter les échelons plus vite, gagner plus, si c’est leur objectif. C’est une version capitaliste, parce que la notion de travail l’est, mais pour moi, ça interroge aussi la question de la santé mentale. Dans notre temps libre, on fait aussi des activités de loisirs pour prendre soin de nous et évoluer en tant qu’humains, en dehors de cette dichotomie entre le travail au bureau, puis le foyer, le fait de faire en sorte que la maison soit encore debout quand on rentre. Finalement, s’occuper du foyer, c’est faire en sorte que tous ceux qui y vivent, donc le conjoint et les enfants s’il y en a, soient dans un cadre de vie sain, prospère, pour pouvoir évoluer sainement. Mais qui prend soin de ces femmes ?

LBB : Voyez-vous des signes encourageants d’évolution au sein des nouvelles générations ?
Ou rétrograde-t-elles, par exemple avec des phénomènes comme celui des influenceuses « trad wife » ?

Eline Roy : Je pense qu’il y a un peu les deux. D’un côté, des fois, je reprends espoir, quand je vois plein de jeunes femmes en manif’, ou s’emparer de certains sujets, parler beaucoup plus fort de sujets qui n’étaient pas du tout mis sur le devant de la scène auparavant, entre autres ceux-ci. Je me rends compte, quand j’en parle avec mes amies, que ce « hors de question que mon mec ne fasse rien » est un vrai sujet. Et en même temps, c’est un sujet parce que chez la grande majorité de mes amies qui sont dans des relations hétérosexuelles, l’homme participe, mais ce n’est pas encore à 50/50. D’un autre côté, que ce soit sur cette question de la répartition des tâches ou de façon globale sur la question du rôle de la femme dans la société, on voit bien qu’il y a, comme dans toute vague de progrès, ce qu’on appelle le « backlash » [un retour de bâton, ndlr]. Quand on voit les Némésis, qui ne sont pas des féministes, malgré ce qu’elles estiment être, c’est beaucoup de jeunes femmes. Quand on voit les marches, par exemple, anti-avortement dans la rue, leurs jeunes figures sont beaucoup mises en avant. Et puis la tendance « trad wife » sur Internet… Je pense que ce qui est mal compris dans le féminisme, c’est qu’une personne peut rester à la maison pour s’occuper des enfants, si c’est son choix. Mais le féminisme, c’est promouvoir la liberté du choix, et non le « c’est ta place, donc tu fais ça ». Maintenant, il y a toute une génération de jeunes femmes et personnes queer qui sont plus alertes, mais il faut que les hommes entendent, écoutent et appliquent. C’est un peu les trois étapes.

LBB : Justement, quel rôle les hommes ont-ils à jouer dans la lutte pour une répartition et une valorisation égalitaire du travail domestique ? Ce 1er mai, le Lyon Bondy Blog a pointé du doigt l’invisibilisation de ce sujet dans la mobilisation pour les droits des travailleuses et travailleurs. Pensez-vous qu’il y ait une sorte de « deux poids, deux mesures » selon si ces tâches sont assurées par une femme ou par un homme ? On entend par exemple aujourd’hui parler des « nouveaux pères », dont l’investissement dans le foyer est valorisé. 

Eline Roy : Les « nouveaux pères », c’est l’image typique où quand un homme promène une poussette, tout le monde dit « waouh, quel beau papa ! », là où une femme qui promène une poussette, c’est normal. Sur le rôle des hommes et la valorisation, il y a plusieurs choses. Il y a le fait de se rendre compte de l’inégalité, de tout ce que fait sa partenaire. Il y a le fait d’arrêter de demander des applaudissements et une tape sur l’épaule à chaque fois qu’on a ramassé un mouchoir qui traîne par terre. Il y a aussi, sur cette image des « nouveaux pères », ce que je disais tout à l’heure quand je parlais du bricolage ou du jardinage, qui changent un peu le curseur selon si on les inclut dans le travail domestique ou non. J’avais lu un article qui disait que dans cette génération, dans certains couples, les hommes ont ouvert les yeux, les hommes ont écouté. Mais, en fait, ils n’ouvrent pas les yeux tout seuls. Ils le font parce que derrière, ce sont encore des femmes qui font le travail de verbaliser, de leur dire « lis tel bouquin » ou « écoute tel podcast ». Ça aussi, c’est la charge mentale. C’est encore à nous d’éduquer les hommes. Là où je voulais en venir, c’est que les hommes sont potentiellement plus impliqués dans l’éducation des enfants. C’est très bien, mais ils investissent plus ce champ-là. Le champ de la vaisselle et de la lessive, toujours pas, alors que c’est aussi éduquer ses enfants que de s’assurer qu’ils aient une assiette et un t-shirt propres. Sur le rôle des hommes, à ce sujet-là ou au sujet des violences, ce que je disais tout à l’heure sur le fait d’entendre, d’écouter et d’appliquer est assez pertinent. S’ils estiment avoir entendu, tant mieux, mais maintenant, on écoute. Essayer de comprendre, c’est aussi arrêter le « si tu me le dis, je le fais », parce que devoir penser à faire penser quelque chose à son partenaire est une étape de trop. Ça veut dire que, nous, on ne doit pas le faire, mais qu’on doit penser à leur faire une liste de courses ou leur rappeler de sortir la poubelle le soir. Ils doivent plus se responsabiliser. Je pense que ça passe par trouver des ressources qui nous aident à grandir en tant qu’humains. Si on n’aime pas la lecture, on peut écouter un podcast. Si on n’aime pas les podcasts, on peut regarder un documentaire. Il y a maintenant plein de ressources qui ne sont pas dures à trouver, si on veut les chercher.

LBB : Mais ce travail domestique non rémunéré devrait-il être reconnu comme tel, c’est‑à‑dire comme un travail, voire bénéficier d’une rémunération ? Quelles mesures faudrait-il mettre en place pour favoriser l’égalité de genre dans ce domaine ? Sandrine Rousseau évoquait par exemple en 2022 de la possibilité d’un délit de non-partage des tâches domestiques.

Eline Roy : Je ne sais pas si j’ai un avis tranché, parce que j’ai l’impression qu’il y a beaucoup de tenants et d’aboutissants que je ne maîtrise pas sur cette thèse de la rémunération. Peut‑être qu’à terme, il ne faudrait pas que ce soit payé, mais que si c’était à celui qui ne fait une tâche de payer l’autre, ça pourrait forcer les hommes à se réveiller plus vite. C’est un peu bête d’en arriver là, mais en même temps, ce serait peut-être l’électrochoc qu’il faudrait. Ça me questionne aussi sur qui choisit combien coûte le fait de faire une lessive. Pour moi, c’est recréer des inégalités que de dire qu’une lessive est égale à, je n’en sais rien mais par exemple cinq euros, pour toute personne. Je me dis que pour l’ouvrière qui vient de faire les trois-huit et qui est claquée, qui est rentrée à 6 heures du matin et a amené ses enfants à l’école, faire une lessive est peut-être plus coûteux que pour celle qui est rentrée à 17 heures. Puis pour celle qui a 4 enfants, ça poserait des questions de calcul. Ce qui est intéressant, c’est qu’il y a forcément une inégalité de genre dans cette répartition de tâches, mais qu’il y a d’autres inégalités, typiquement économiques, entre les foyers qui peuvent se permettre d’avoir une aide à domicile, qui est d’ailleurs très souvent une femme précaire. D’autres inégalités entrent aussi en jeu dans ce problème genré, si on cherche.

LBB : Cette question de la répartition des tâches domestiques est souvent renvoyée à la sphère privée, longtemps tenue à l’écart du champ politique, du débat public. Pourquoi est‑ce important, aujourd’hui, de politiser la sphère privée ?

Eline Roy : Parce que l’intime est politique et parce que si on estime que tout ce qui se passe derrière une porte close ne doit pas interpeller la société, ne doit pas être légiféré, ne doit pas entrer dans une sphère publique, ça ne fonctionne pas. Typiquement, la répartition des tâches domestiques est un sujet fort parce qu’elle se passe derrière des portes closes, mais se répercute après. Ça se répercute sur le temps que les femmes vont avoir à accorder à leur travail, sur leur santé physique et mentale, sur les enfants qui vont devenir les futurs citoyens de cette société… Ce n’est pas parce que ça se passe derrière une porte que tous les effets restent derrière cette porte. Au bout d’un moment, la porte ne peut plus tout garder. C’est comme ça qu’on se retrouve en 2025, notamment sur le sujet des violences sexistes et sexuelles, dans une grande phase de libération de la parole, ou de l’écoute, puisque les femmes ont toujours parlé. C’est comme si subitement les gens se rendaient compte du problème, parce qu’il a débordé de la porte. Se dire « c’est dans le cadre du foyer, donc je n’en parle pas », c’est aussi entretenir un certain climat d’impunité. Ne pas parler d’une femme qui est violée par son mari parce que ça se passe dans le foyer, c’est dangereux. C’est encore une fois inégal et sexiste. Récemment, dans le débat public, on a beaucoup parlé des violences faites aux enfants. Là aussi, que personne n’en parle parce que ça touche à la famille, que c’est caché derrière les portes, ce n’est pas possible.

LBB : Merci beaucoup, Eline. C’était notre dernière question.

Eline Roy : Merci à vous.

Interview réalisée par Cecilia Adrián Tonetti.

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