[Point de vue] Comme bien souvent dans cette République, ce sont les pauvres, les habitants des quartiers populaires qui vont payer pour les meurtres de quelques illuminés. Suite aux attentats du 13 novembre, l’ampleur du massacre est telle que nos lois ont évolué. Et notre système risque de basculer. Le tout sécuritaire a le vent en poupe. Des terroristes, des fanatiques qui n’hésitent pas à massacrer et à se massacrer pour une cause étrangère, nihiliste ont installé durablement la terreur dans notre quotidien. Mais faut-il lui sacrifier nos libertés ?
Médiapart le décrit très bien « À Saint-Denis, “on est en état de guerre !” » Ville populaire par excellence, Saint-Denis est en état de siège en ce mercredi 18 novembre. Est-ce cela qui attend les quartiers populaires de l’hexagone ? L’état d’urgence fera-t-il vaciller l’état de droit ? Ce pays va-t-il déroger à nos libertés les plus fondamentales que sont aller et venir, se réunir, manifester, faire vivre la démocratie sans risquer à chaque instant des perquisitions sans décision judiciaire ?
Souhaitons-nous, comme aux USA, voir nos libertés restreintes par un Patriot Act à la française ?
En prolongeant de douze jours à trois mois d’état d’urgence, le pouvoir nous “vend” une réponse à l’obligation de sécurité de l’État. Mais celui-ci doit s’inscrire dans le respect des droits humains. Aussi, on peut s’étonner que la gauche française s’inscrive dans la droite ligne des abus qui ont suivi le 11 septembre 2001. “Ils constituent [ces attentats NDLR] une agression contre notre pays, contre ses valeurs, contre sa jeunesse, contre son mode de vie. Ils sont le fait d’une armée djihadiste, le groupe Daech qui nous combat parce que la France est un pays de liberté, parce que nous sommes la patrie des droits de l’homme.” François Hollande a-t-il sciemment copié le style de Georges W. Bush lors de son discours au Congrès le 16 novembre 2015 ? Cette rhétorique a-t-elle réussi aux Américains ? Souhaitons-nous, comme aux USA, voir nos libertés restreintes par un Patriot Act à la française ?
Après la dangereuse loi sur le renseignement, une série de mesures liberticides se profile. Voici celles qui semblent les plus dangereuses :
– la république aura donc maintenant de nouveaux cowboys (en plus de la BAC), puisque la possibilité pour les forces de l’ordre d’utiliser leur arme, même quand les policiers et les gendarmes ne sont pas en service a été votée
– le gouvernement propose de dissoudre des “associations ou groupements de faits” qui participent, aident ou incitent à commettre des “actes portant une atteinte grave à l’ordre public”. Mais selon quels critères ?
– la fermeture des frontières remet en cause l’accueil des réfugiés sur notre territoire alors qu’il faudrait “ouvrir les frontières pour sauver des vies”. Le droit du sol est remis en question : Hollande a annoncé qu’il allait proposer de déchoir de leur nationalité les binationaux nés français et de leur interdire leur retour sur le territoire, en cas de condamnation pour fait de terrorisme.
Des mesures et un climat politique qui laissent la porte ouverte à une xénophobie d’État, hostile aux étrangers. Qui sera suspect de terrorisme ? Comment le traçage des terroristes potentiels va-t-il s’effectuer ? Combien de personnes seront fichées ? Qui se souciera du sort des expulsés ou de leur famille lorsqu’ils ressembleront au portrait type des méchants barbus musulmans ?
En élargissant la durée et les personnes visées par des mesures censées être d’exception, le pouvoir va accentuer le flou dans la loi ainsi que les risques réels d’arbitraire. Généralement critique lorsqu’il s’agit de s’en prendre aux libertés fondamentales, la ministre de la Justice Christiane Taubira soutient cette fois-ci les mesures proposées…
La France mérite tellement mieux !
Pourtant, il n’est pas nécessaire d’être bon observateur pour constater que le terrorisme provient avant tout des pays les moins démocratiques. Mais c’est en sacrifiant un peu de démocratie que le gouvernement et le parlement souhaitent le combattre. L’ascenseur social bloqué depuis des années, la démocratie faisait déjà bien pâle figure, sans que le parlement vote à la quasi-unanimité des mesures liberticides. Alors oui, la France est sûrement plus démocratique que la majorité des pays du monde, mais est-ce que cela suffit ? La France mérite tellement mieux ! “Il aura fallu une tuerie inédite en France depuis la Seconde Guerre mondiale pour que Hollande décide de relâcher la maîtrise draconienne des dépenses publiques qu’une partie de sa majorité lui réclame en vain depuis trois ans”, notait Médiapart, décidément bien seul à émettre un avis critique dans le champ médiatique. L’exigence de sécurité prime devant tout, devant l’emploi, la santé et l’éducation… Mais peut-on résumer nos vies à la sécurité ?
La parole d’or sera celle des musulmans
Les lois à venir et le climat politique actuel demanderont aux Français une extrême vigilance et un travail permanent pour s’informer par leurs propres moyens, en multipliant les sources, en croisant les informations et en débattant ensemble dans le calme. Écrire et contribuer sur internet, discuter en famille, entre amis, créer du lien pour se réapproprier le débat, première phase pour une société française libre et en mouvement. Les gouvernements successifs nous ont montré que les seuls qui pourront faire évoluer la société dans le bon sens par leurs actions sont les citoyens. Et parmi ces citoyens, la parole d’or sera celle des musulmans. Ils ont une partie de la clé du problème qui se joue actuellement. À l’inverse des clichés manichéens que colportent les médias depuis des années, leur voix doit être favorisée.
L’alerte du syndicat de la magistrature
“(…) les mesures tant judiciaires qu’administratives qui seront prises ne feront qu’ajouter le mal au mal si elles s’écartent de nos principes démocratiques. C’est pourquoi le discours martial repris par l’exécutif et sa déclinaison juridique dans l’état d’urgence, décrété sur la base de la loi du 3 avril 1955, ne peuvent qu’inquiéter. L’état d’urgence modifie dangereusement la nature et l’étendue des pouvoirs de police des autorités administratives. Des interdictions et des restrictions aux libertés individuelles et collectives habituellement encadrées, examinées et justifiées une à une deviennent possibles par principe, sans autre motivation que celle, générale, de l’état d’urgence. Des perquisitions peuvent être ordonnées par l’autorité préfectorale, sans établir de lien avec une infraction pénale et sans contrôle de l’autorité judiciaire, qui en sera seulement informée. Il en va de même des assignations à résidence décidées dans ce cadre flou du risque de trouble à l’ordre public. Quant au contrôle du juge administratif, il est réduit à peau de chagrin. La France a tout à perdre à cette suspension – même temporaire — de l’État de droit. Lutter contre le terrorisme, c’est d’abord protéger nos libertés et nos institutions démocratiques en refusant de céder à la peur et à la spirale guerrière. Et rappeler que l’État de droit n’est pas l’État impuissant.” Intégralité du texte à retrouver ici |